Une invention qui ne manque pas de souffle, le respirateur artificiel

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En avoir ou pas, c’est l’inquiétude du moment ! Le respirateur artificiel est au cœur de la lutte contre la pandémie de Covid-19. Mais aussi de  bien des polémiques. Car en France, comme dans de nombreux pays, les respirateurs ne sont pas assez nombreux. Une cruelle réalité. C’est une technologie lourde et de maniement délicat dont la conception a mobilisé des médecins- chercheurs  tout le XX° siècle.  Son histoire  démontre une fois de plus l’utilité de la coopération internationale, la fraternité des cerveaux et des consciences.

Une médecine de l’extrême
Pour les médecins d’aujourd’hui, le recours à un respirateur est une mesure extrême, utilisée lorsque les poumons d’un patient ne parviennent plus à fournir à son organisme suffisamment d’oxygène par eux-mêmes. En pratique, un respirateur  est composé de tubes reliés aux voies respiratoires du patient, soit à l’aide d’un masque placé sur le nez et la bouche du malade, soit avec un tube glissé dans la trachée.

La trachéotomie une invention italienne
L’humanité connaît  depuis longtemps la trachéotomie qui permet de contourner un obstacle  et d’amener de l’air au malade. Cette intervention chirurgicale consiste à effectuer une petite ouverture (trachéostome) au niveau de la trachée et à placer une canule, petit tube courbé. Elle est réalisée entre la pomme d’Adam (cartilage thyroïdien) et la base du cou.

C’est en 1546  qu’Antonio Brasavola, un chirurgien italien, réalisait la première trachéotomie européenne réussie. À cette époque, la trachéotomie était surtout utile dans le croup, une complication fréquente de la diphtérie où l’inflammation et l’œdème du larynx entraînaient son rétrécissement qui pouvait se compliquer d’une asphyxie mortelle. Ainsi, en 1610, les trachéotomies ont été pratiquées avec succès lors de l’épidémie de diphtérie qui sévit à Naples. Les premières canules ont été développées par Girolamo Fabrizi d’Acquapendente à la fin du XVI° siècle.

…Une trouvaille allemande…
Mais que faire lorsque les poumons sont eux-mêmes déficients ? Le premier prototype médical de respirateur  pulmonaire date de  1907. Il fut mis au point par  l’Allemand Heinrich Dräger.  Spécialiste de l’air comprimé et des machines à pression pour la bière… Il inventa le Pulmotor. Ce respirateur à pression positive interne était déjà une machine préréglée puisque l’expiration se déclenchait quand la pression atteignait 20 cm d’eau. Le cycle ventilatoire était couplé ensuite, à une horloge démontrant déjà la volonté de remplacer complètement le cycle ventilatoire. Le Pulmotor est donc l’ancêtre de tous les ventilateurs mécaniques. Autre avantage, il était transportable et distribuait de l’oxygène à travers un masque facial jusqu’à ce qu’une pression déterminée soit atteinte dans les poumons.  Le brevet fut partagé entre l’Allemagne et le reste de l’Europe, même au moment de la première guerre mondiale, preuve de la solidarité médicale au-delà des nationalismes…

…perfectionnée par un aviateur…
On doit le premier respirateur artificiel moderne à un aviateur. Forrest Morton Bird né  le 2 juin 1921 à Stoughton au Massachusetts et mort le 2 août 2015 à Sagle en Idaho.  Il est considéré comme un des pionniers des respirateurs artificiels modernes. Après la Seconde guerre Mondiale, Forrest Bird, ancien pilote de l’armée de l’air américaine, a travaillé sur des appareils respiratoires pour l’aviation. En 1950, il crée le Bird Mark 7 Respirator qui permet aux pilotes de bénéficier d’oxygène même à haute altitude. Ensuite il l’adapte à des fins médicales et devient un des héros de la médecine respiratoire mondiale avec, en 1960, son Bird Mark 8 un ventilateur pulmonaire avec relaxateur de pression. Repris par le suédois Jensens en 1962 il  est  utilisé dans les  différents traumatismes du thorax. C’était déjà un grand progrés technique qui permet d’adapter la pression d’oxygène selon les pathologies.

…et par le suédois Carl-Gunnar Engström
Pourtant il a fallu attendre un génial médecin suédois pour que l’invention décisive du premier respirateur intégral sauve des vies. On était pendant la grande épidémie de poliomyélites. L’Engström 150 conçu en 1952 réussissait à ventiler des patients atteints de formes paralysantes bloquant le réflexe respiratoire. Grâce à ce ventilateur, le pourcentage de décès est passé en Suède de 85% en 1950 à 27% en 1953. Renonçant à l’exclusivité de son brevet, Engström permit que l’appareil soit commercialisé dans le monde entier. La personnalité d’Engström est  d’ailleurs fort attachante ; rien ne le destinait à la médecine de réanimation jusqu’au jour où il vit mourir un jeune malade d’étouffement. En 1928 étudiant à Oskarshamn en Suède il se spécialise en mécanique à l’Institut Karolinska de Stockholm et obtient son diplôme de docteur en médecine en 1941. Il  commence alors  à travailler dans le service des maladies infectieuses. Il consacre toute son énergie à trouver un modèle de respiration artificielle assistée. En 1963, reprenant les travaux de son compatriote  NK Jensens il publie une thèse sur l’utilisation des ventilateurs en chirurgie thoracique et en soins intensifs de réanimation en proposant une machine nouvelle permettant de maintenir en vie des malades aux poumons lésés, paralysés ou partiellement détruits.

C’est ce modèle qui sert de base aux respirateurs actuellement utilisés pour sauver les patients atteints du Covid-19.

Depuis, le respirateur artificiel a continué d’évoluer. De nombreuses études ont été menées. Et en 2000, une grande avancée est faite : une étude de l’OMS révèle que les taux de survie sont nettement plus élevés lorsque les médecins réduisent le volume d’air utilisé par leurs appareils. De nos jours l’électronique et l’informatique favorisent l’avènement de la gestion des valves proportionnelles, permettant de meilleurs réglages. Le but final est bien sûr d’assurer un maximum de sécurité pour le patient et d’être le moins délétère possible pour la fonction respiratoire.

Cette course contre la mort se matérialise par l’arrivée sur le marché des stations d’anesthésie où la ventilation par le monitorage  complet ainsi que  par l’acquisition des données d’anesthésie ne font plus qu’une seule et même machine.

Avec la pandémie actuelle cette technique médicale performante, déjà bien implantée, est devenue primordiale. Son histoire est la preuve tangible de la mobilisation du génie technologique humain. Il est donc souhaitable,  pour l’avenir, que sa production en quantité suffisante soit assurée dans chaque pays « quel qu’en soit le coût » grâce à une volonté politique au-delà de toutes considérations mercantiles.

Jean François Principiano

Sources :
Biographie d’Heinrich Dräger par Welf Böttcher
Engström CG. Treatment of severe cases of respiratory paralysis with the Engström universal ventilator.
L’histoire de la ventilation mécanique : des machines et des hommes C.Chopin (2006)

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