Rwanda Le témoignage d’un ex-officier français en poste en 1994

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Dans mon précédent article « L’assassinat politique : seulement « le poison russe » ? je m’efforçais de montrer que le parti-pris médiatique et politique tendant à désigner la Russie de Poutine comme la responsable avérée de l’assassinat de deux ex-espions russes à Londres, relevait d’une conception de la « justice » expéditive même si l’ONU a été prise à témoin.

Non pas que l’hypothèse soit à écarter, bien sûr, encore faut-il qu’elle soit démontrée et confirmée par une juridiction ad hoc. Sinon ce serait encourager les États à se faire « justice » eux-mêmes. C’est d’ailleurs très répandu si l’on considère le non-respect des résolutions de l’ONU, tenues pour négligeables ainsi que les initiatives unilatérales sans passer par l’ONU ! Les rapports de forces militaires tenant lieu de critère de décision…et les alliances justifiant l’internationalisation des conflits. On vole au secours de ses amis pour des raisons humanitaires, c’est bien connu.

Les pratiques des services secrets, à l’Ouest comme à l’Est, au Nord comme au Sud, rivalisent de cynisme et d’efficacité pour se débarrasser physiquement d’ennemis jugés particulièrement dangereux pour les intérêts stratégiques, politiques, économiques de leurs États respectifs. Les guerres font ça très bien et à une plus grande échelle, sauf que ce sont de simples citoyens qu’on envoie au feu ! Les donneurs d’ordre sont toujours épargnés.

En France aussi nous avons nos zones d’ombres -généralement justifiées par le secret-défense- et même nos ratages (Rainbow Warrior) qui en disent long sur nos pratiques dans ce domaine, sur l’absence de scrupules pour composer des versions qui sauvent la face des États et/ou du commandement militaire. Ce qui revient au même, le président de la République étant le Chef des Armées.

À titre d’exemple je posais la question de savoir si au Rwanda, 24 ans après le génocide aux 800 000 morts en trois mois, on en avait fini avec la recherche de la vérité sur la présence militaire française avant et après le 6 avril 1994 ?

Voilà que le lendemain, 15-3-18 le journal Le Monde publie l’interwiew (1) d’un ex-lieutenant-colonel de l’armée française, Guillaume Ancel, alors capitaine de la légion étrangère au moment du génocide dans ce qui s’appelait l’opération Turquoise au Rwanda. (2500 soldats français et 500 de cinq pays d’Afrique) Il était officier de guidage de tir aérien,. Il vient de sortir un livre « Rwanda, la fin du silence…témoignage d’un officier français » (éditions Belles lettres).

Sa motivation : ne plus pouvoir se taire et contester la version officielle selon laquelle l’opération turquoise n’était qu’une intervention strictement humanitaire : « qu’on mente aux Français de manière éhontée est inacceptable…mon témoignage est incompatible avec cette fable humanitaire…on nous respecterait de dire la vérité et de faire preuve d’un peu d’humilité… » (propos recueillis par David Servenay).

À la question pourquoi 24 ans après ? l’ex-officier (il a quitté l’armée en 2005, après un petit détour par le Kosowo) répond que la question fait toujours débat en France et que la lumière n’est pas faite, qu’il souhaite y contribuer. Il a sorti un polar en 2014 « Vent sombre sur le lac Kivu » sur le sujet qui lui a valu quelques pressions de politiques, ce qui l’a décidé à témoigner publiquement. On ne sait jamais.

Guillaume Ancel avait été interwievé le 7 avril 2014 sur France Culture (3), sur ce qu’il avait vécu et compris de l’engagement de la France aux côtés de l’ancien président Hutu du Rwanda, Habyarimana que Paris soutenait politiquement,financièrement et militairement depuis 1990.

Il considère que les premiers jours de l’opération Turquoise ont dérogé au mandat onusien et qu’elle a fini par devenir humanitaire après la mi-juillet 1994 , c’est à dire après la victoire du FPR (Front patriotique du Rwanda)

On le voit, le rôle de la France, à travers cette présence…humanitaire, reste très contesté parce que visiblement loin de la neutralité que les gouvernements successifs continuent de prétendre.

Comme le demandait le PCF (« L’Humanité » 8 avril 2014″ (2), « Qu’attendent encore les autorités françaises pour ouvrir leurs archives diplomatiques et militaires sur le génocide au Rwanda et les années qui l’ont précédé ?

Si monsieur Juppé et les acteurs de l’époque veulent vraiment défendre l’honneur de notre pays, c’est très simple, qu’ils commencent par demander la levée du secret-défense, la communication aux chercheurs, aux parlementaires et au public de tous les documents officiels concernant le rôle de la France, y compris les archives de l’Élysée portant sur le génocide.
La réalité est qu’il y a beaucoup trop de zones d’ombre sur ces années entre 1990 et 1994 où la France a soutenu le pouvoir rwandais qui préparait le génocide, en livrant des armes et en participant au commandement militaire à Kigali (opération Noroît). Les services diplomatiques et militaires avaient alerté en vain le gouvernement français sur l’imminence d’un massacre organisé. Le rôle complice des autorités françaises dans le génocide est hélas attesté. Elles ont même facilité la fuite des assassins vers le Congo voisin… »

Autre analyse concordante, celle d’Universalis qui rappelle que « D’octobre 1990 à décembre 1993, la France avait soutenu le gouvernement -exclusivement Hutu, NDLR- de Habyarimana dans son effort de guerre contre les rebelles du F.P.R. Notamment, à travers l’opération Noroît déclenchée le 4 octobre 1993, les militaires français avaient été aux côtés des F.A.R (forces armées gouvernementales), donnant des conseils à l’état-major et assurant les formations des corps spécialisés, dont la Garde présidentielle et les unités de la défense civile. Cela était un inconvénient majeur »
Nombre d’observateurs, journalistes, historiens, sociologues, auteurs… convergent aussi sur le fait que les assassinats de Tutsis, bien avant le génocide, restaient impunis et qu’il y avait un projet génocidaire que les plus extrêmistes des Hutu, conditionnés par le pouvoir ont mis à exécution dès l’annonce de la mort de leur président, un missile ayant abattu l’avion qui le ramenait à Kigali le 6 avril 1994. Sans qu’aient été déterminés les auteurs. Ce fut le déclencheur, à raison de milliers de Tutsis massacrés chaque jour durant 100 jours.
Comment ne pas s’interroger sur le fait que les forces militaires françaises et africaines sur place n’aient pas pu empêcher le développement de cette furie meurtrière ? Comment et pourquoi les gouvernements successifs se refugient-ils dans le déni de leur complicité antérieures avec les génocidaires ? Au nom de quels choix stratégiques ? Soutenir les gouvernements en place, sans discernement de leurs intentions et de leurs actes ?
Que de zones d’ombre encore à clarifier.
Comment ne pas souligner l’orientation dynamique prise par ce pays dirigé fermement par son libérateur à la tête du FPR, Paul Kagamé, pour en finir avec les divisions « ethnistes » héritées de la colonisation ? Pour tout reconstruire dans un Etat portant un tel fardeau ? Des progrès spectaculaires ont été enregistrés en termes de croissance, avec une volonté de réduire les inégalités sociales mais ça prend du temps après une épreuve pareille dans un pays sous-développé.
Efforts populaires qui ne peuvent que susciter solidarité et admiration.

René Fredon

(1) http://www.lemonde.fr/international/article/2018/03/15/guillaume-ancel-nous-devons-exiger-un-reel-controle-democratique-sur-les-operations-militaires-menees-au-nom-de-la-france_5271448_3210.html

(2) https://www.humanite.fr/genocide-au-rwanda-la-decision-du-gouvernement-francais-est-grave-et-regrettable-pcf

(3) https://www.franceculture.fr/politique/nouvelles-revelations-sur-loperation-humanitaire-francaise-au-rwanda-en-1994

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