Politique industrielle : la France en pleine confusion mentale

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Loïk Le Floch-Prigent

Une subvention de 4 millions d’euros a été accordée à la société indienne Electrosteel, le concurrent principal de Saint-Gobain PAM. Une annonce qui passe mal pour le fabricant français de tuyaux de canalisation. De son côté, Bercy assure qu’il y a de la place pour deux.

Nous y voilà ! Cela fait deux ans au moins que la confusion mentale sur « l’attractivité » de la France bat son plein et que l’on se réjouit des capitaux internationaux qui découvrent l’industrie de notre pays et qui viennent s’y investir, rachetant ses fleurons, ses pépites, s’installant ici ou là en pompant sans vergogne ce qu’il reste de notre savoir-faire industriel . Et puis l’entreprise « Electrosteel » indienne veut s’installer en France, concurrençant ainsi Pont à Mousson leader mondial du tuyau en fonte , elle est accueillie à bras ouverts avec le concours de « France Relance » , 4 millions de subvention, « le but de France Relance est de favoriser les implantations de sites industriels dans l’Hexagone , et le projet Electrosteel y répond « …avec la création de 190 emplois d’ici 2023 !

Cela fait cependant plusieurs mois que Ministère de l’Économie et Ministère de l’Industrie sont alertés, ainsi que leurs divers bras, sur la nécessité impérieuse de protéger nos industriels et donc de les privilégier lorsque des fonds publics, les impôts des contribuables sont distribués. On avait fait remarquer déjà que fin 2020 les subventions de soutien à l’automobile et à l’aéronautique (sous-traitance) avaient bénéficié pour la moitié à des entreprises possédées majoritairement par des groupes étrangers , tandis que la modernisation conduisait à faire acheter pour 80% des matériels en provenance d’autres pays que le notre ! Soutenir l’industrie avec des fonds d’Etat devrait être en priorité aider à maintenir ou créer une industrie française pour satisfaire le marché intérieur et développer les exportations . Parler sans arrêt de l’emploi industriel sans tenir compte de la propriété des entreprises concernées nous fait ressembler à des pays en voie de développement, mais cela fait longtemps que la Chine, l’Inde, le Brésil…ont abandonné cette ambition comme un nombre de plus en plus important de pays africains, la mondialisation c’est aussi pour tous développer un capitalisme national pour rester maitre de son destin. La dérive mondialiste et universaliste de notre politique tient de la confusion mentale , ainsi sur le sujet du jour, les tuyaux en fonte des Indiens : « ils installeront leur usine ailleurs en Europe, et donc nous aurons leurs tuyaux , mais pas les emplois qui vont avec ! ». Mais c’est ignorer, ou feindre d’ignorer, que Pont à Mousson a tenté à maintes reprises de s’implanter en Inde et que la société française n’a pas pu le faire, et donc d’in coté on subventionne , et de l’autre on interdit ou dissuade !

Il faut revenir à la raison, nous n’avons pas à subventionner avec de l’argent public une concurrence en France à nos entreprises. Si nous voulons subventionner les tuyaux, faisons le avec Pont à Mousson et que l’État fasse en sorte que nous puissions nous installer dans tous les pays, que nous ne soyons pas « empêchés » par des politiques castratrices. Nous avions déjà remarqué cette confusion mentale chez nos responsables qui tentaient de rassurer nos partenaires industriels sur l’ouverture de notre pays aux capitaux étrangers , mais depuis quelques mois on a fait un pas de plus, on se réjouit lorsque les américains, les chinois, les japonais et les autres rachètent nos industries et on commence à subventionner les capitaux étrangers pour concurrencer nos entreprises déjà appauvries par un manque de compétitivité – impôts, normes et règlements, bureaucratie … Lorsque par manque de lucidité ou de courage nous avons abandonné une partie importante de notre souveraineté industrielle, nous ne pouvons plus partir de zéro et il nous faut accrocher un partenaire étranger pour bâtir une implantation en France (batteries, électronique…) on peut accepter alors  que l’argent public vienne compléter une volonté entrepreneuriale , et il va sans doute falloir le faire vite, mais susciter une concurrence non nécessaire à l’intérieur de nos frontières c’est tout simplement absurde et il ne devrait même pas y avoir de discussions.

Revenons donc  au réel et au bien commun . L’euro cher nous a mis en difficulté compte  tenu de la structure de notre industrie .Nous n’avons pas fléché nos capitaux nationaux disponibles vers l’industrie et pour les financer nous avons préféré les emprunts devenus insupportables.  Dans la mondialisation capitalistique  nous n’avons pas pu alors lutter à armes égales car  notre ambition restait de  gagner  sans mobiliser notre  capital national  . Le sujet principal sinon unique est  donc  de régler cette question des fonds propres pour les entreprises de toute taille en utilisant notre épargne qui est une des plus importantes en proportion du monde .

Inutile donc de faire de la communication sur des chantiers irréels et illusoires , il ne s’agit pas de déverser des milliards pour aller chercher nos richesses futures au fond des mers ou dans la lune , il faut simplement fournir le capital nécessaire à l’industrie, c’est-à-dire au minimum dix ans , former les personnels nécessaires au développement industriel et faire confiance aux industriels français en évitant qu’ils veuillent s’expatrier, et  tout ceci en préservant l’existant sans le vendre en bombant  le torse . Mais le mot clé est celui de la réciprocité, et le mot à proscrire est l’exemplarité . Nous n’avons pas à nous excuser d’être ce que nous sommes , ce qu’ils veulent faire chez nous, on doit pouvoir le faire chez eux. Cette philosophie de l’exemplarité ne marche pas , c’est parce que la démocratie réussit qu’elle peut être imitée, pas parce qu’elle se couche. C’est parce que notre industrie va se redresser que nous pourrons de nouveau être imités et nous devons donc exiger toujours la réciprocité.

Ce qui vient de se passer avec les tuyaux de Pont à Mousson n’est pas un cas isolé, il porte simplement sur une entreprise emblématique . Il y a des dizaines de cas semblables qui irritent les industriels français et les conduisent souvent à arrêter des lignes de production car la concurrence subventionnée conduit à des prix plus attractifs. La doctrine Gouvernementale est donc manifestement erronée, elle est contraire à la fois au bon sens et à l’intérêt du pays. C’est une philosophie qui est ici en défaut, c’est plus qu’une politique et presque une idéologie.

Loïk Le Floch-Prigent

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