Nucléaire français : entre les paroles et les actes

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Il y a maintenant deux ans, Emmanuel Macron a annoncé, après une volte-face spectaculaire, la relance d’un grand programme nucléaire en France. Deux ans plus tard, où en sommes-nous ? Lorsqu’en 1973, le Premier ministre Pierre Messmer a présenté son plan pour électrifier le pays majoritairement avec de l’énergie nucléaire, il a donné la direction, la vision, le rythme d’installation et l’organisation ainsi que les financements pour y parvenir. Nous en sommes loin.

Le 10 février 2022 à Belfort, le chef de l’État a annoncé le grand retour du nucléaire français avec six nouveaux réacteurs à l’horizon 2035, suivis par huit autres à l’horizon 2040. C’était il y a deux ans ! Que s’est-il passé depuis ? Curieusement, les Français, étouffés par les annonces, anesthésiés par la communication gouvernementale, ne demandent rien ! Ils subissent les augmentations des prix de l’électricité, les propositions alléchantes (toutes à la hausse) de la noria de fournisseurs créée depuis plus de dix ans. Ils n’y croient plus, tandis que la peur de tout et de rien continue à agiter les médias. Résignés, ils attendent tandis que l’hiver est doux et que l’on ne parle plus de pénurie ! Ils paient et l’électricité fonctionne… c’est toujours cela.

La construction de réacteurs nucléaires en France a été arrêtée en 1997 avec l’entrée en service de celle de Civaux. Puis elle a reprise avec un prototype en 2007, l’EPR Flamanville 3, qui devrait commencer à produire cette année. Les industriels nationaux ont conservé une partie de leur potentiel productif (environ 200 000 personnes sur 400 000) grâce aux programmes chinois, finlandais et britanniques, et, bien entendu, aux travaux de maintenance des 56 (58 quand les deux de Fessenheim fonctionnaient) réacteurs existants.

Pour mener un tel projet, il faut une organisation et des chefs compétents, indépendants et respectés

Après l’arrêt de Fessenheim (2020), centrale en parfait état, et du programme Astrid de réacteurs de quatrième génération dits à neutrons rapides (2019), il a fallu des circonstances techniques et géopolitiques singulières pour redonner vie et espoir à toute la filière. La volte-face inattendue du 10 février 2022 !

Mais entre les paroles et les actes… Que s’est-il donc passé depuis deux ans, déjà, et quand verrons-nous la réalité du renouveau nucléaire ? Lorsqu’en décembre 1973, le Premier ministre Pierre Messmer a présenté son plan pour électrifier le pays majoritairement avec de l’énergie nucléaire, il a donné la direction, la vision, le rythme d’installation et les conditions de financement. Et il y a mis en place un suivi à la fois gouvernemental et parlementaire ! Il y a aussi une organisation pour mener ce projet gigantesque et stratégique décidée et confortée par le pouvoir politique et légitimée par les centaines de milliers de personnes qui vont se mettre en ordre de marche pour respecter les coûts et les délais.

Il y a des chefs pour « cheffer », en particulier pour désigner les directeurs de projets qui ne vont avoir ni jours ni nuits, ni vacances ni week-ends pendant les cinq ans de mise en place de chaque projet qui va sortir de terre. Le chef, c’est Marcel Boiteux, responsable d’EDF qui a pesé avec beaucoup d’autres sur la solution des réacteurs refroidis à l’eau pressurisée de technologie Westinghouse. Il a fait le pari que les Français peuvent faire mieux et moins cher que les Américains mais que la filière d’outre-Atlantique est la meilleure à date. Il désigne un chef d’orchestre, Michel Hug, directeur de l’équipement, qui va organiser les chantiers et les entreprises contractantes.

Ce dernier, menacé par les anti-nucléaires, sera déplacera dans un véhicule blindé pendant des années et sillonnera le pays dans tous les sens pour rendre visite à tous les contractants et se faire expliquer comment ceux-ci vont travailler pour respecter les cadences, les délais et la qualité. Un soudeur « nucléaire » suppose une qualification qu’il va mettre sept ans à obtenir ! Une centrale nucléaire, c’est beaucoup de tuyaux et donc beaucoup de soudures. Et un grand programme d’infrastructures énergétiques se construit au moins pour cinquante ans !

Chacun savait ce qu’il fallait faire

La France n’avait pas des finances publiques aussi mal gérées qu’aujourd’hui ni en conséquence un tel endettement. L’argent a vite été mis en place, tandis que la planification a été faite rapidement et efficacement : combien de centrales, deux par an, combien de chantiers en parallèle, quatre à six, combien de gens sur le terrain, beaucoup. Chacun savait ce qu’il fallait faire pour obtenir les résultats escomptés. Plusieurs centaines de milliers de techniciens ont donc été formés et mobilisés entre 1973 et 1997, pendant vingt-quatre ans, mettant notre pays en tête mondiale d’un secteur fondamental pour notre avenir, encore plus aujourd’hui avec les considérations sur la nécessité de diminuer notre exposition aux fossiles. C’était déjà vrai en 1973 pour éviter une trop grande dépendance au pétrole du Moyen-Orient.

Chaque période a son modèle et il serait vain de vouloir revenir à une situation qui n’est plus la nôtre aujourd’hui, mais l’étude du passé a le mérite de bien montrer les ressorts de la réussite, en particulier pour les grandes opérations industrielles, les grandes infrastructures. À commencer par un chef légitime. Il ne s’agit pas de nommer dans un cabinet le responsable. Il faut aussi que des centaines de milliers de travailleurs se retrouvent autour de lui en considérant que lui obéir, c’est aller dans la bonne direction et le succès.

Pour le millier d’entreprises qui concourent et concourront au renouveau du nucléaire, cette confiance est essentielle, car elles vont devoir investir en hommes et en machines des sommes considérables et personne ne viendra leur tendre la main si la direction choisie a été mauvaise, ce sera regrets sans couronnes ! La légitimité s’acquiert aussi dans le combat, dans la désobéissance et la fermeté dans les convictions. Marcel Boiteux n’a jamais dit que les centrales nucléaires étaient complémentaires des énergies éoliennes et solaires, parce que ce n’est pas vrai et qu’on ne peut pas mentir aux professionnels. Le solaire et l’éolien ont besoin comme compléments des centrales à gaz, tout le monde le sait, un responsable pour être légitime doit le dire et le reconnaître.

Des délais trop longs et des questions de légitimité

Il reste donc beaucoup à faire. À définir le programme de travail, les délais, les coûts et le fonctionnement de l’ensemble industriel et de lancer les appels d’offres correspondant avec les contrôles de la qualité à la fois des installations actuelles ou prévues et du personnel. Nous savons ce qui est en préparation, des organes ont été désignés pour ce faire, des personnes ont été nommées. Ont-elles conquis leur légitimité ? Chacun peut avoir son opinion. J’ai la mienne et ma réponse n’est pas enthousiaste.

Pour l’instant, il y a eu quatre années de travail sur l’EPR2 qui a reçu les autorisations. Il reste deux ans avant que tout soit effectivement ficelé et rien ne s’oppose à ce que, deux ans après le réveil présidentiel, les premiers coups de pioche soient donnés à Penly (ou ailleurs). Mais où est l’argent ? Qui est le premier directeur de projet légitime ? Qui est l’organisateur moine-soldat ? Je n’aime pas les délais qui nous ont été annoncés, ils sont trop longs, même si notre industrie nucléaire a été dévastée pendant plus de vingt ans. Je n’aime pas plus les coûts qui sont annoncés. Je considère qu’il faut examiner si toutes les précautions et sur-précautions prises sont vraiment nécessaires et se demander pourquoi nos concurrents américains, russes, sud-coréens, chinois ne prennent pas les mêmes. Notre compétitivité industrielle va dépendre de notre coût final du MWH nucléaire. Notre avenir, notre prospérité, la vie de nos enfants et petits-enfants vont dépendre des choix que nous allons effectuer dans les semaines et les mois qui viennent. Ne nous trompons pas !

Les grands professionnels encore en activité existent dans notre pays. L’activité nucléaire s’est maintenue malgré les coups de boutoir. Nous avons tout pour réussir. Mais cela ne pourra se faire comme autrefois qu’avec des hommes et des femmes dont les qualités premières ne seront pas l’obéissance et la soumission.

Loïk Le Floch-Prigent

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