« Nous ne voulons plus de vos vies ! »

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Dr Vincent Carret

« Ils n’en veulent plus ! »
Fracture, rupture, bascule inter générationnelle ?

Des jeunes diplômés des plus grandes écoles qui remettent en cause la finalité de leur cursus jusqu’à nos Internes en Médecine, nous vivons la fin d’un cycle et une période révolue ! Un virage au sein de notre société que nos élites et gouvernants n’ont pas vu venir.  La période de crises qui s’enchainent ne fait que renforcer leur volonté et leur détermination. « Ne plus perdre sa vie à la gagner!» revient en prise de conscience et en effet boomerang général.

Ils sont jeunes , brillants, talentueux, compétents et lucides. Ils sont notre jeune génération de Médecins.

Les déserts médicaux partout sur nos territoires les réclament et les attendent.

Nos six ex-ministres de la Santé dans une Tribune du Monde du 12 Août 2022 font part de leurs regrets. Ils n’ont pas su anticiper ni voir venir l’évolution de notre société et son impact sur ses Soignants. Le seul numerus clausus et ses effets attendus pour pouvoir normaliser la situation de pénurie médicale en 2040 ne suffira pas tant le balancier et les paradigmes de société ont évolué.

La vision des jeunes générations de médecins et leur féminisation est claire et lucide, plus que la nôtre. Leur parole est sans ambiguïté. « Quand nous observons nos aînés, leur engagement, leurs sacrifices, le mépris et la non considération dont ils font preuve, leurs familles, leur épouse ou mari et enfants sacrifiés, notre choix est vite fait : nous ne voulons plus de leurs vies, de leur passion chèrement payée, de leurs vies souvent brisées, de leurs illusions perdues ! »

Ils ne feront plus jamais 48 heures à 72 heures de gardes non stop là où aucun métier au monde ne l’acceptait et ne l’autorisait ! 15 à 20 gardes par mois, 3 week-ends sur 4 de gardes, 7 à 8 nuits par mois à l’hôpital, dormir sur un lit de camp quand les rares moments de récupération s’y prêtaient et des salaires indécents eu égard la charge de travail, la pénibilité des nuits et les responsabilités. Tant mieux ! C’était une folie ! Les choses ont changé et la raison s’est imposée.

« La raison avant la passion ou un plus juste équilibre de vie entre vie professionnelle et vie privée » sont leurs exigences devenues la norme. Nos gouvernants ne s’y attendaient pas et n’avaient pas senti ce vent de révolte qu’ils ont eux-mêmes contribué à faire naître au fil du temps.

Nos anciens, nos emblématiques Chefs de services et Maîtres charismatiques et « vieux sages »  nous mettaient pourtant en garde et nous alertaient, ils voyaient et se projetaient sur l’avenir «  Prenez soin de vous, nos métiers aussi prenants soient ils sont destructeurs, ils vous détruiront si vous n’ apprenez pas à doser et si vous ne vous protégez pas !».

Nous ne les avons jamais assez écoutés et n’avons jamais pris soins de nous ! Beaucoup y ont laissé leur santé, leurs proches, leurs familles et leurs vies !

De ces consignes oubliées et négligées la « Une » de Médiapart du 28 Mai 2022 passée inaperçue pour le grand public durant la crise des services d’Urgences en cet été 2022 sonnera comme un coup de tonnerre dans le monde Médical des Urgences. « Comment le CHU de Bordeaux est-il parvenu à broyer ses Urgentistes? ».

« Broyer les Urgentistes et les Soignants » le mot est fort mais il sonne juste avec le temps chez beaucoup !

Comment le remettre en cause quand le monde des blouses blanches est lui aussi parvenu à dénoncer un système de soins devenu par la force des choses « malveillant » en «perte de sens en tout» et même de plus en plus « violent » ?

Violent à un point qui conduit certains à partir, je cite : « Pour sauver leur peau ! ».

Que valent les regrets de six ex-ministres de la Santé face à un tel constat, un tel bilan, leur(s) bilan(s) ? Un bilan de « quarante ans où la France a été gérée de manière calamiteuse et les résultats sont en train d’éclater au grand jour. Ça craque de partout » dénonce Marcel GAUCHET.

À leurs regrets bien furtifs et insignifiants face à l’ampleur de la situation se joint le bilan de cet été 2022 sur le front des Urgences savamment minimisé sous les éléments de langage habituels des cabinets ministériels qui ne trompent plus personne. Oui les services qui ont pu rester ouverts et pallier la fermeture de ceux qui ont du fermer ont réussi à tenir, mais à quel prix ?

À quel prix et quel regard en terme d’attractivité pour les plus jeunes ? Leur silence parle déjà pour eux et en dit long sur ce bilan estival 2022 et leur futur qui interroge…

Notre société et son nouveau monde ont dicté leurs codes et laissé s’effondrer des digues qui devaient nous protéger à jamais. L’indifférence générale imposée par le culte de l’individu roi à qui « tout est dû » sont avec l’immédiateté du « tout, tout de suite », les deux fléaux du monde actuel et de ses crises.

Des crises, depuis toujours,  deux notions émergent : la notion de gravité, de drames, de non préparation et de défaut d’anticipation et la notion d’opportunité, de prise de conscience et de renouveau pour ne plus reproduire le modèle passé qui a failli.

Des drames il appartient à la société d’en connaître les causes et les responsabilités tout en étant lucide des stratégies de diversion utilisées pour détourner les regards, pour fuir et toujours chercher à regarder ailleurs.

De l’opportunité et de la prise de conscience il appartient à chacun d’entre nous d’accepter le prix à payer de l’indifférence générale et des dérives qui ont fini par voir les soignants prendre de plus en plus de recul et de distance. La violence envers les soignants, sous toutes ses formes, jamais aussi dramatiquement élevée, l’irrespect et les incivilités, l’effondrement des valeurs, la dé sanctuarisation des soins acceptée par tous et réduite à la seule valeur marchande, la perte de sens en tout, toutes ces évolutions ont eu raison du sacerdoce et de l’altruisme.

D’une société devenue faussement empathique, qui les applaudit un jour pour les violenter le lendemain, nos jeunes générations ne rêvent  plus car devenues bien trop lucides.

« Les gens vous apprennent à vivre » disaient nos anciens dans nos villages. Plus que jamais leur parole raisonne aujourd’hui comme un effet boomerang et d’un balancier parti trop loin. Cette « société des réciprocités » n’a pas compris ce qu’elle avait créé et laissé construire et ce qu’elle allait maintenant devoir assumer.

Si beaucoup ne savent ou ne veulent pas tirer les leçons du passé et de l’évolution du Monde, nos jeunes générations dont celle de médecins et de Soignants savent et n’hésitent plus. Leur temps n’est plus à la compréhension ni à la  recherche des causes du passé, il est déjà acté et tracé devant eux, sans état d’âme, ils savent tous ce qu’ils ne veulent plus.

« Prendre soins de soi et de ses proches là où nous avons failli, toutes et tous! » dicte et dictera leurs vies. Ils ne vivront plus nos vies et l’assument haut et fort ! L’évolution des esprits et des mentalités au sein de notre société les auront bien aidés et y aura grandement participé.

De ces digues qui rompent les unes après les autres et qui redessinent nos vies et notre quotidien, Jérôme FOURQUET dans « l’archipel français , où allons nous ?  » et « la France sous nos yeux » en explique parfaitement les fondements et le long délitement d’une société qui ne sait plus trop bien où elle a été conduite sans réagir ni où elle va.

Pour ne pas avoir soutenu leurs soignants et pensé qu’ils étaient un « dû » nos concitoyens appelés à l’esprit de responsabilité et de sobriété vont découvrir comme nos six ex-ministres le temps des regrets et des prises de consciences oubliées.

Nous vivons une période de transition et de prise de conscience inédite sur le front de la Santé et de ses acteurs  oubliés et trop souvent malmenés. L’avenir nous envoie un message : «  Prenez plus soins de vous parce que la société ne prend plus soin de vous! »

Parce que la raison à laquelle nous appelaient nos Maîtres et vieux « sages » est venue s’imposer face aux nouveaux codes dictés au quotidien, il est bon aujourd’hui d’entendre enfin leur voix : « Les cimetières sont remplis de médecins et de Soignants partis trop tôt et à qui l’on faisait croire qu’ils étaient indispensables ! »

Nul n’est indispensable, ils le savent aujourd’hui dans ce monde déshumanisé et indifférent ou « un pion remplace un pion » et « une case vide comble une case vide ».

« La raison avant la passion » est devenue la « sagesse » de nos jeunes générations. Notre société, pour le meilleur et pour le pire, aura plus qu’investi dans cette voie de la sagesse pour nos Soignants et nos plus jeunes

Cette jeunesse , écrit Xavier ALBERTI dans le Monde ce 12 Septembre , s’inscrit dans « un nouveau rapport à l’humain et au vivant et vers un changement de rythme. Nombre de dirigeants et chefs d’entreprises constatent au quotidien la vitesse et la profondeur des mutations en cours ».

« Partout la société et son économie tendent à devoir définir un nouveau modèle qui, à partir de l’humain et d’un fonctionnement différent, participe directement ou indirectement à la réalisation du bien être humain et au respect du vivant, ce qui définit une nouvelle économie humaine ».

…et cette mutation économique et sociétale profonde engagée, partout, semble « sans capacité de retour en arrière ».

Se réinventer tous, en Santé, comme partout ailleurs, là sont les nouveaux défis qui arrivent et que personne n’avait vu venir ni su évaluer dans son ampleur.

Dr Vincent CARRET
Ancien Chef de Services des Urgences
Praticien Hospitalier
Responsable AMUF Toulon-la Seyne et VAR

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