L’amarre lâchée, l’âme à l’envers, l’estomac au fond des bottes, le Bernick encore
en chantier et la Méditerranée qui semble vouloir nous montrer dès le début qui
commande. Voilà le décor d’un départ hors du commun. C’est donc un vent d’Est qui nous mettra sa première caresse iodée. Alors que le pont du Bernick était clair au moment du départ, l’intérieur lui, était le volume immergé de l’iceberg. Pas d’électricité, pas de lumière, pas de gaz, pas de frigo, pas même de quoi recharger un téléphone. Ce sont donc dans ces conditions plus que sommaires que nous avons accueilli Farès et Ines, deux jeunes du Rocher que nous avons emmené jusqu’à Marseille. J’admire la façon avec
laquelle ils ont rapidement répondu présent à un moment où nous n’étions pas prêts à
les recevoir. Heureusement qu’ils ignoraient les conditions dans lesquelles ils
allaient être reçus. Seraient-ils venus s’ils avaient su ? Pas évident de savoir. De plus,
trouver une place dans un équipage qui se connait déjà sur le bout des doigts a dû vraiment être compliqué.
Mais finalement, c’es† une belle façon de sortir complètement de son quotidien, en ayant pour seul repère la confiance que l’on place dans l’équipage.
Notre premier mouillage fût notre premier atterrissage depuis un long moment. Pouvoir dormir, se poser, ne rien faire, ne serait-ce qu’une demi-heure avant le dîner. Le lendemain cap sur les calanques, le vent se calme, la navigation s’annonce moins sportive que la veille. Les premiers plaisirs en mer, la première bonite à la traîne, mouillage dans les calanques : on sort le drone.
Après une nuit dans ce lieu béni, nous faisons cap sur Marseille ! Plusieurs objectifs nous y attendent : finir les travaux, proposer d’autres sorties en mer avec les jeunes du Rocher de Marseille. Ces moments partagés avec ces jeunes s’avèrent aussi riches pour eux que pour nous. S’ouvrir à l’autre, essayer de comprendre son monde, sauter au-dessus de celui qui nous sépare : un beau moment de partage !
Au programme de notre séjour à Marseille : suite et fin des travaux. Ce fut un moment de joie pour tout l’équipage de voir de nombreux travaux enfin aboutir. Avoir enfin de la lumière en branchant tous les fils qui ne demandaient que ça, avoir ce plaisir de voir les lumières s’allumer les une après les autres, de cuisiner sur notre gazinière, avoir une chasse d’eau, entendre le frigo faire son premier coup de froid, pouvoir ranger les choses afin qu’elles aient une place définitive.
Mais après ces joies simples vinrent les peines. Temanu dans un mouvement énergique c’est renversé une cafetière fraichement coulée sur la nuque et sur tout le haut de son dos. Le verdict et rapidement tombé : impossibilité pour lui de prendre la mer avec nous et une immobilisation obligatoire à terre de deux semaines minimum. Le premier vrai coup dur pour la mission Nerrivik. Il a donc fallu se résoudre à partir mer lui en direction de l’Espagne. Perdre le second de l’équipage et le routeur à cause d’un petit moment d’inattention est une grosse piqure de rappel sur la vigilance qu’il nous faut avoir sur chaque tâche faite sur le bateau. Heureusement que nous étions à quai, heureusement que les urgences n’étaient pas loin ; s’infliger la même erreur en haute mer serait tout simplement impensable.
Temanu nous a écrit quelques lignes sur son retour prématuré à la maison :
‘’ Fatigue. Cet adjectif commençait à faire partie de notre quotidien depuis presque 3 semaines tant la fin des travaux a été éreintante d’intensité et de pression. Je commençais presque à m’habituer à elle quand je pris conscience sur un lit d’hôpital que je venais de compromettre mon départ sur une action d’un manque de lucidité énervant, qui est en grande partie dû à elle (et à ma maladresse légendaire aussi). Je me repasse la scène dans la tête, le café tout chaud qui me fait déjà saliver, quelqu’un qui me demande d’ouvrir la vanne eau de mer situé sous le four et moi qui inexplicablement essaie de l’ouvrir, malgré cette cafetière branlante posé sur un four instable. Résultat des courses, le haut de mon dos est brulé au deuxième degré. Quand je sors de l’hôpital je reste dans le déni à me dire qu’en fin de compte, un départ est toujours possible. Mais la météo, la douleur et les recommandations des infirmières (pas d’humidité, surtout pas de sel et une bonne hygiène … !) ont finalement raison de mon obstination et je me retrouve du jour au lendemain chez moi dans un canapé. Après des examens plus poussé à l’hôpital Saint Anne de Toulon, le couperet tombe : deux semaines au moins à Toulon et une possible greffe de peau, gros coup dur. 4 jours pour encaisser la nouvelle et puis on se fait une raison en se disant qu’il vaut mieux que ça arrive à ce moment-là plutôt qu’au fin fond du Groenland, et que de toute façon si cette expédition allait être un long fleuve tranquille, on ne serait probablement pas parti avec autant d’entrain et de volonté. Et puis finalement on y trouve des bons côtés comme profiter de la famille tant le mois précèdent le départ avait été tout sauf des moments de partage avec eux ‘’
Une autre erreur aurait pu nous couter le bateau, suite à l’installation d’une pompe à eau de mer sous pression. Le fonctionnement de cette machine est simple : dès que la pression en sortie diminue, la pompe se met en action. Donc dès que vous ouvrez le robinet, elle se met en marche et l’eau coule. Jusque-là, rien d’anormal. La sureté de l’installation réside donc dans la faculté du circuit d’eau à tenir la pression. Or, le seul collier de serrage que nous n’avions pas changé a sauté après quelques minutes sous pression. Dans la cohue du chantier marseillais, nous nous sommes rendu compte du remplissage discret mais efficace des fonds de cales au bout de quelques minutes. C’est Pierre-Alexandre qui vit arriver le flux d’eau continu jusqu’à la cale moteur. Bilan comptable : 5 compartiments remplis d’eau et une belle frayeur. Quand on réalise que si nous étions partis boire une bière en ville, nous aurions probablement trouvé le Bernick au fond du vieux port de Marseille… Cela fait froid dans le dos de se dire qu’une simple pompe peut nous envoyer par le fond. On apprend peu à peu, par nos erreurs, que rien ne doit être laissé au hasard, que chacune d’entre elles peut être fatale.
Le chantier, une fois fini, laissa place au départ, un tout autre départ plus confidentiel, mais cette fois-ci pour le grand large, pour la première nav’ de nuit, pour les premiers quarts d’une longue série.
La fenêtre semblait bonne pour rejoindre le Nord de l’Espagne : 15 nœuds au portant suivi d’une bascule en milieu de nuit. On prend quand même la décision de faire nos quarts à deux au vu de l’imprévisibilité de la météo en Méditerranée. Cependant, la bascule fut bien plus soudaine et forte que prévue, 35 nœuds établis, rafales à 40.
La fin de la nuit fût longue pour notre Bernick et son équipage. Mais cette météo aura été l’occasion de se rassurer. Tout d’abord sur la capacité de l’équipage à bien réagir dans le gros temps, ensuite sur la capacité du Bernick à tenir malgré les 3 mètres de creux et les rafales force 8. Notre voiler traça sa route sans perdre son cap. L’arrivée en Espagne fut un répit de courte durée puisque le vent s’étant levé en mer des Baléares pour une durée indéterminée, rafales à plus de 55 nœuds au large, pas question de sortir une voile dehors. En partant en automne, on savait qu’on allait se faire corriger de notre témérité mais là c’est une série d’uppercuts météorologiques. On pourrait presque dire que les coups de vents sont devenus notre quotidien.
Nous avons donc passé 5 jours en arrêt forcé au port d’Estartit. Un moment privilégié pour bien manger, bien ranger, bien dormir, donner des nouvelles, remercier tous ceux qui nous aidés. Il était aussi temps pour Gauthier de nous quitter pour qu’il finisse ses études ; il nous retrouvera en décembre sous le soleil des iles du Cap Vert. Victor a dû faire un aller-retour en France pour les obsèques de sa grand-mère.
Au vu de la réduction soudaine de l’équipage, Paul-Marie Ferri a été appelé en renfort. Cette petite fée du logis a su rapidement trouver sa place au sein de l’équipage grâce à son sens du rangement qui peut parfois manquer à l’équipage !
Il ne resta donc à bord que 3 équipiers : Pierre-Alexandre, Thibault et Paul-Marie. Le vent a fini par nous donner quelques répits, direction Barcelone, mais encore une fois rien ne s’est passé comme prévu …
Au large de Tarragone, le moteur décida de se mette en grève. L’équipage, dont notamment Thibault – promu chef des machines – se lança dans une course contre la montre mais après des heures, il fût contraint et forcé de se faire remorquer jusqu’au port. Un remorquage au gout amer au vu de l’effort fourni. Mais Thibault n’avait pas dit son dernier mot et le moteur finit par bien vouloir vrombir de nouveau grâce à sa détermination!
La panne provenait d’une accumulation de crasse dans le circuit de gasoil. Après une bonne purge, le moteur redémarrait comme si de rien n’était.
La bonne nouvelle de Tarragone fut aussi la rémission et le retour de Temanu dans l’aventure Nerrivik avec l’accord du médecin :
‘’ Finalement grâce aux soins parfait des infirmières (merci Clémence) je peux rejoindre le bateau à Tarragone deux semaines seulement après la brulure, et même si la leçon est dure car pas de soleil sur la cicatrice et obligation de mettre de la crème quotidiennement pendant au moins six mois, elle est néanmoins primordiale tant les facteurs fatigue et santé sont souvent minimisés. Déjà une semaine que je suis sur le bateau et j’ai la douce impression de ne jamais être parti, merci à tous pour vos messages et bonne mer.’’
Temanu
Petit point sur nos différentes missions :
Avec le retour d’un temps plus calme nous avons pu enfin sortir nos différents filets de prises d’échantillons et les protocoles commencent à être rodés. Le manta pour les microplastiques donne ses premiers résultats ainsi que le filet à planctons, nous commençons à trouver notre petit rythme quotidien de relevés. La première vidéo pour les élèves vient de sortir, elle est l’occasion de faire une première introduction au sujet de leur petit carnet d’explorateur, sur la culture hispanique, mais aussi des nœuds marins. Les retours des enseignants sont super positifs, de quoi nous donner encore plus de motivation pour tourner ces petites vidéos afin de faire découvrir la mer aux plus jeunes.
Une chose est sûre, la mission Nerrivik est bien lancée. Elle commence déjà à transformer les Hommes qui l’accomplissent.
La suite au prochain numéro, notamment pour le sud de l’Espagne, le passage de Gibraltar et la découverte d’un nouvel océan !
Bonne Mer
L’équipage du Bernick de la mission Nerrivik.