La Gazette Nerrivik Épisode 4 Canaries/cap vert

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Arrivant à Las Palmas sur l’île Gran Canaria de nuit sans qu’el barco Bernick n’ait
pu contacter les instances portuaires nous accostons sur le ponton essence. Nous sommes
heureux, la fin de la navigation a été belle. Nous sommes fatigués aussi et Morphée ne tarde pas à nous accueillir dans ses bras pour notre première nuit sans quart et la promesse d’une grasse matinée bien méritée. Que nenni ma douce amie ! Thibault est réveillé à 8 heure par un espagnol ventripotent qui nous indique de déguerpir fissa ; un bateau bien plus gros, et donc plus riche, est annoncé dans l’heure. Nous filons au ponton d’accueil faire les différentes formalités et récupérer le sésame tant attendu : la clé des douches. Après une longue attente la sentence tombe, il n’y a pas de place au port. La météo n’étant (toujours) pas de notre côté, nous nous résignons à mouiller juste devant le port.

Le mouillage est top niveau sécurité grâce à l’édification de digues monumentales n’ayant rien à envier au Mur de Berlin ou la Muraille de Chine. La vue à 180° nous laisse pantois: sur bâbord des barres d’immeubles rappelant tristement Benidorm ; sur tribord les grues jouent aux kaplas avec des containers. Charmant. Fort heureusement nos sympathiques voisins néerlandais sur leur magnifique voilier moutarde et les régates d’optimistes juste devant le Bernick égayent nos moments sur le pont. Tout comme la visite de bateau-stoppeurs circulant en annexe de bateau en bateau pour trouver une bonne âme qui les mènera de l’autre côté de l’océan. Nous rencontrons de cette manière Jean et Léo, deux charpentiers français cherchant à voyager pour découvrir de nouvelles manières de pratiquer leur art. Ils se baladent avec deux sacs cabas pleins de livres à donner ou échanger, méthode chouette et originale pour entamer la discussion. Nous les laissons repartir allégés des Fleurs du mal et de Ne le dit à personne.

À la fin de cette première journée d’escale nous partons à la nuit tombante explorer la ville, son architecture et ses estaminets (en gros nous voulons boire une bière). L’annexe fait un peu des siennes mais Victor sort vainqueur de son duel avec le moteur et nous filons vers la ville. Là nous redécouvrons nos jambes et la marche. Le temps de rejoindre la vieille ville nos mollets se rappellent à notre bon souvenir et nous ne sommes pas fâchés de nous arrêter pour boire cette fameuse bière. Le lendemain après la grasse matinée tant attendue Pierre-Alexandre, Thibault et Antoine partent faire des images pour le journal de bord et les petits explorateurs nerriviens pendant que Temanu et Victor s’affairent sur le bateau effectuant les réparations nécessaires à un départ prochain pour le Cap Vert. Les reporters en herbe trouvent leur bonheur dans cette ville aux recoins charmants ; la cathédrale Sainte Anne avec sa façade monumentale en pierre volcanique et son intérieur blanc les séduisant tout particulièrement. Nous espérons que les différentes vidéos sur cette escale vous plairont ! Malheureusement le retard de la côte espagnole nous poursuit et il faut déjà songer à repartir.

Nous quittons donc Gran Canaria samedi 11 décembre en début d’après- midi. La houle et le ressac se croisent nous offrant un départ mouvementé. Le cap est mis vers San Miguel sur l’île de Tenerife où nous embarquerons Philippe, ami et stagiaire auprès de l’association, qui nous accompagnera jusqu’au Cap Vert, profitant de ce temps à bord pour vérifier et améliorer l’installation électrique et électronique du bateau. Nous le retrouvons au port de San Miguel dimanche midi et après quelques derniers préparatifs nous appareillons pour le Cap Vert. Temanu et Victor, respectivement routeur et skipper du Bernick, nous annoncent entre 8 et 10 jours de navigation. La météo s’annonce pour une fois clémente. Nous partons des Canaries, un peu déçus par cette escale qui ne nous aura laissés explorer qu’une seule ville et dont la durée nous aura gardés loin des pentes volcaniques où nous nous étions rêvés randonneurs.

Rapidement nous reprenons nos habitudes de quart qui deviennent plus confortables depuis que nous sommes six. Les quarts s’espacent, les siestes pas tant. Nous sommes donc plus reposés et le rythme du quotidien se cale sur celui des alizés qui nous accompagnent fidèlement en ces premiers jours de navigations. Le vent est en effet stable, bien que « mollasson » d’après Temanu.

La pétole qui nous attend 36 heures plus tard nous fera regretter même les vents les plus mous. Pour le moment nous filons sur un océan calme, bercés par une houle longue qui ne fait presque pas rouler Bernick.

Aux activités évoquées dans la gazette précédente, quart, relevés scientifiques, service, viennent s’ajouter les réparations quotidiennes et d’autres travaux plus importants. Philippe est en partie là pour ces derniers. Il doit nous aider à fignoler le Bernick pour les deux
gros morceaux de l’expédition : la Transatlantique et le Groënland.
Frontale sur la tête, il vaque sur le bateau en essayant de rayer de la liste le plus de
choses possibles en attendant la Cap Vert pour les gros travaux. Ses compétences
sont variées et précieuses. Il nous transmet toutes les infos qu’il juge utiles, devant souvent simplifier son vocabulaire et traduire les barbares anglicismes qui fleurissent tout au long des notices. Il finit par peu à peu se laisser séduire par les technologies
« amérindiennes », comprenez système D et bricolage, que nous avons développées
depuis le départ. Il en sécurisera tout de même quelques-uns durant la traversée, Philippe il est carré-carré.

Côté pêche la bredouille nous fait aussi innover. Gauthier notre pêcheur vice-champion de France n’étant pas là pour optimiser l’utilisation de nos cannes de compét’, Temanu, Victor et Antoine mettent au point une merveille de bricolage amérindien à base de ligne de traine et d’élastique. Et ça paye. Dans l’après-midi nous sortons le plus gros thon pêché depuis le départ. Le lendemain, Temanu ramènera jusqu’au bord du Bernick une daurade coryphène qui se décrochera juste devant l’épuisette. C’est un régal, pour les yeux : des reflets jaunes et bleus jouant avec la lumière du soleil, un profil taillé pour la vitesse, des nageoires effilées et tachetées de bleu, une queue immense ; pour beaucoup c’est le plus beau poisson que nous n’ayons jamais vu. Cela n’enlève pas la déception d’avoir raté de quoi remplir nos estomacs. Temanu passera la fin de la journée à guetter la tension sur l’élastique, en vain. Mais la patience paie toujours et alors que nous nous remettons des émotions de la veille, l’élastique se tend. Cette fois pas question de le rater, nous avons mangé notre dernière pièce de viande fraîche hier et sortir ce poisson devient plus qu’une histoire d’ego. Nous prenons le temps de bien remonter le poisson, de ralentir le bateau. Entre deux vagues nous apercevons les superbes reflets jaunes et bleus : c’est une daurade coryphène ! Belotte ! Temanu remonte la traine sur laquelle nous pensons avoir piqué, quand Victor qui remonte l’autre nous annonce : « Le poisson est sur ma traine ! ». Les lignes se sont emmêlées. Lorsque nous hissons la daurade à bord, Temanu nous confirme qu’il a bien un poisson sur sa traine et quelques instants plus tard un second poisson atterri sur le pont. Une autre daurade coryphène ! Rebelotte ! Nous mangerons du poisson frais pendant au moins deux jours, l’équipage est aux anges et Temanu peut enfin relâcher sa vigilance. Comme quoi c’était aussi une histoire d’ego.

La météo ne pouvant visiblement pas être de notre côté pendant plus de trois jours le vent finit par tomber puis cesser complétement. Malgré le peu d’intérêt de la navigation au moteur, cela nous permet de vivre une expérience peu commune. Dehors l’océan est aussi lisse que le lac de Sainte- Croix. Pas une vague, pas une ride. Encore une bonne occasion de bricoler.

Nous fendons l’eau paisiblement, la lune presque pleine éclairant cette étendue calme et donnant au cockpit des allures de décors de cinéma. Dedans c’est une ambiance totalement différente. En faisant abstraction du ronronnement du moteur, plus proche du lion que du chaton, nous avons l’impression d’être dans un refuge de montagne. L’étroitesse du carré en bois, l’absence de roulis (miracle !), le bon dîner et les tâches de rouge sur la table nous renvoient à nos paisibles soirées d’hiver à la montagne. Nous sortons le Trivial Poursuite pour le premier jeu de société tous les six. C’est si calme dehors que l’équipier de quart n’a juste qu’à aller régulièrement, entre deux gorgées de liqueur de thym, regarder si un paquebot ne nous fonce pas dessus. Nous passons une chouette soirée en espérant tout de même que le vent revienne avec l’aube.

Si le lendemain le vent est de retour comme espéré, il revient avec des nuages. Le ciel s’obscurcit et le soleil disparaît. Lui qui avait fait tomber les vestes de quart, les pantalons et les pulls, voilà qu’il nous abandonne lui aussi. Heureusement la température reste plus qu’agréable et l’absence de soleil est rattrapée par la présence du vent. Nous nous interrogeons tout de même sur cette météo qui ne semble jamais vouloir s’accorder avec nos désirs et la géographie. Alors que la navigation entre les îles Canaries et celles du Cap Vert promettait des alizés stables et du soleil comme s’il en pleuvait, la météo aura montré un visage plus varié, mais pas forcément plus plaisant. A un moment donné, alors que la pluie se mettait à tomber par averses, nous sommes venus à nous demander si nous étions au large de Concarneau, plutôt qu’au large de la Mauritanie.

Le passage du 23° Nord allait nous faire encore parler de météo. En effet une des missions de l’expédition consiste à larguer des bouées météorologiques pour Météo France. Nous
sommes partis de Toulon avec 5 bouées à larguer entre les Canaries et le Cap Vert pour l’une d’entre elles, et pendant la Transat’ pour les autres. C’est de nuit que Thibault, Px et
Antoine procèdent au largage de cette première bouée au moment où nous croisons le degré en question. Nous sommes heureux de participer à notre échelle à la collecte de données météo ; et aussi de faire un peu de place dans le bateau, c’est énorme ces machins-là ! Si notre participation à la collecte des données météo était acquise, la réception de ces dernières étaient compromises par le refus de fonctionnement de notre Iridium GO, qui est censé nous permettre un accès à ces données depuis le milieu de l’Atlantique. C’est pour remédier à cette absence de données que Philippe et Temanu s’attellent à un outil rivalisant de modernité avec le dernier téléphone : la BLU, comprenez Bande Latérale Unique.

Cette radio utilise des fréquences courtes pour envoyer des signaux sonores qui une fois convertis par une application laissent place à une carte météo dessinée, rudimentaire mais qui a le mérite d’exister. A les voir s’escrimer devant leur poste de radio, l’antenne hissée sur la drisse de spi, nous ne savons pas si nous sommes sur un bateau ou dans un grenier normand en 1944 où des résistants chercheraient à capter les ondes de Radio Londres. Après plusieurs tentatives, nos deux compères captent, non pas Les Français parlent aux Français, mais bien Boston parle à Bernick ! C’est incroyable de voir, depuis le large des côtes africaines, se dessiner sur notre écran une carte envoyé depuis Boston ! Nous avons une météo, chapeau à nos deux résistants modernes qui auront mis tout de même un quart d’heure pour se rendre compte qu’il fallait faire pivoter l’image en « pas-haute » définition pour la lire. La précision du dernier téléphone on vous dit !

Si pendant toute la traversée nous cherchons, en vain, à apercevoir la queue ou la respiration d’une baleine, les dauphins viennent nous rendre régulièrement visite. À toutes heures du jour ou de la nuit, par petit groupe ou en vraie bande, ces visites sont à chaque fois un spectacle magique qui ne nous laissera jamais de marbre. Samedi 18 décembre c’est une véritable réunion de famille devant l’étrave. A trente mètres sur bâbord, comme sur tribord, des ailerons fendent l’eau et des silhouettes font du surf dans les vagues. Partout où nos regards se posent, nous voyons des dauphins. Ce spectacle magique dure une bonne demi-heure durant laquelle nous essaierons en vain de les compter. « Une grosse vingtaine » disent les plus raisonnables ; « au moins quarante » disent les plus marseillais Disons mille ! Nous observons aussi des nuées de poissons volants frôlant le bateau. Parfois certains se posaient sur le pont pour se reposer un peu, avant qu’un de nous les renvoie à Neptune. Un soir nous remontons de la traine une vraie terreur des abysses. Un poisson n’ayant rien à envier aux monstres des dessins animés de notre enfance.
Un corps tout en long, des yeux globuleux, des dents acérées : il fait peur. Nous le remettons aussi sec à l’eau où il doit encore aujourd’hui terroriser les fonds marins au large
du Cap Vert. Il pourra faire connaissance avec le tangon du Bernick qui un beau matin est passé par-dessus-bord reprendre sa liberté, bien aidé par Michel (la rédaction souhaite préserver l’anonymat du coupable).

Plus nous nous rapprochons du Cap Vert, plus l’eau se réchauffe. Dimanche 19 décembre, pendant les relevés scientifiques qui ralentissent le bateau, Pierre-Alexandre, Thibault, Temanu et Antoine se jettent à l’eau. L’eau est à 25,5° : c’est une véritable partie de plaisir. Mêlant l’utile à l’agréable nous en profitons pour nous défouler dans l’eau et se laver. La fin des relevés sonne la fin de la baignade et nous remontons à bord heureux de ce premier bain en eaux chaudes, le premier d’une longue série jusqu’aux Antilles.

Lundi matin, pour la première fois depuis 8 jours nous apercevons la terre. C’est le début de l’archipel du Cap Vert. La traversée s’est très bien passée, pas de casse humaine, peu de casse matérielle. Des souvenirs plein la tête et des fous rires à se faire mal au ventre. Nous avons passé 8 jours de rêves hors du temps. Nous filons vers une des îles les plus au sud pour la capitale de ce pays : Praia. Le soleil se cache toujours derrière les nuages, heureusement il fait bon et le vent souffle. Nous croisons aussi nos premiers bateaux, des pêcheurs embarqués sur des petits barques qui tanguent fortement. Ils ont l’air d’avoir l’estomac bien accroché les locaux ! C’est de Praia que repartirons Philippe et Antoine direction la France. Mais c’est surtout là-bas que nous attend depuis hier soir, Gauthier. Fort de la fin de ces études il rejoint l’équipage auquel il aura bien manqué.

D’ici quatre heures les retrouvailles seront consommées, les hommes se tomberont dans les bras et l’équipage, enfin, sera au complet.

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