Mission Nerrivik le grand départ

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Épisode 1 – Le grand départ, 24/10/2021
C’est une vision qu’aucun de nous n’aurait jamais imaginé contempler : notre voilier se tient fièrement amarré devant la statue de Monsieur de Culversville, en plein cœur de Toulon et de son port, la proue dirigée vers la passe, les cales pleines de nourriture et de matériel d’expédition, paré à larguer les amarres. Dans quelques heures, Le Bernick prendra le large et nous saluerons nos parents, nos amis et notre chère rade pour la dernière fois avant un an. Un an d’aventures, de joies et de peines, de coups de vent et de calmes plats, de rencontres et d’isolement…à cinq. Car si notre chère embarcation va connaître les grandes solitudes de l’océan et du nord, chacune des aventures que nous allons vivre sera partagée. Nous ne sommes plus seulement cinq amis, nous sommes désormais un équipage, et ce mot prend tout son sens lorsque nous quittons le quai pour embarquer sur le Bernick.

Pourtant, devant la foule d’amis qui se tient devant nous pour saluer notre départ, une
évidence s’impose : Nerrivik est bien plus grand que notre équipage. Nerrivik est grand parce que chacun de nos amis a un jour donné de son temps et de son courage pour installer un nouvel élément du bateau, peindre une pièce, aider au chantier. Parce que chacun de nos parents a apporté patiemment son aide et son soutien durant toute la préparation de l’expédition, tissant des liens précieux avec les autres membres de l’équipage. Parce que des centaines d’élèves ont pu s’émerveiller devant notre voilier et notre projet. Parce que des enseignants, scientifiques, marins, mécaniciens, électriciens, plombiers, secouristes, médecins, éducateurs, religieux, politiciens, graphistes, journalistes, photographes… ont participé à la construction de notre expédition, partageant avec patience et talent leur savoir-faire et leurs compétences. Parce que des jeunes du Rocher ont pu pour la première fois naviguer sur un voilier à bord du Bernick. Parce que des personnes de tout âge et de tout horizon, du quartier du Mourillon à celui de Sainte Musse, de l’amiral à l’écolier, ont chanté avec ferveur un adieu qui nous a marqué jusqu’au plus profond de notre âme en ce dimanche 24 octobre 2021. Ce fût alors pour chacun de nous une déferlante d’émotions et de souvenirs : ces jours et ces nuits de galères sur le chantier à rire avec les amis, le quai du club nautique couvert de matériel à embarquer, les conseils des vieux loups de mer, le tourbillon des tâches à accomplir, les cris des enfants découvrant le bateau, les étreintes de nos proches, et ce Miserere de la Mer qui a résonné, grave et profond, sous les voûtes de l’église Saint Louis et qui résonne encore dans nos cœurs.

mission Nerrivik

Oui, Nerrivik est grand, parce qu’il fut l’occasion de partager ce qu’il y a de plus précieux pour l’homme : la camaraderie, l’amitié, la fraternité, et un goût de la vie et du rêve qui pousse à se donner pour quelque chose qui nous dépasse. Aujourd’hui, notre équipage est immense, et nous embarquons un trésor. Lorsque nous le rapporterons polis par les embruns de nos navigations, il sera inestimable.

Retour sur les derniers mois avant le départ
Rarement nous avons été aussi occupés que lors des derniers moments de la préparation de la Mission Nerrivik, et s’il a fallu aller puiser dans nos ressources pour faire face à ce défi et sacrifier notre sommeil et tout autre loisir que celui de tenir une ponceuse ou une visseuse dans les mains, ces temps de préparation furent d’une richesse inouïe par les rencontres occasionnées et tout ce que nous avons appris et accompli en si peu de temps !

Le chantier du Bernick
Une chose est certaine : cet aspect de la préparation avait été largement sous-estimé.
La première partie du chantier a duré deux mois pendant l’été, durant lesquels notre cher Bernick avait été sorti en aire de carénage. Pendant ces semaines, de nombreux amis ont défilé pour nous donner un coup de main : ponçage, peinture, tri ont ponctué nos journées jusque tard le soir, où nous contemplions, harassés par la journée de travail, le coucher de soleil depuis le pont du Bernick en rêvant du temps où nous vivrions le même instant en mer. Mais quelle joie de pouvoir travailler de nos mains à la préparation de notre bateau, de pouvoir partager nos projets et notre rêve avec tous les copains qui sont passés sur le chantier, et quelle chance de pouvoir réaliser tout cela au club nautique de la marine, au cœur de Toulon ! Ce ne fut donc pas l’été le plus reposant de notre vie, mais il demeurera comme une belle étape de notre préparation. Un immense merci à tous ceux qui y ont participé, de près ou de loin !

Mais voilà, une fois le bateau remis à l’eau, il restait un détail à régler : la partie électricité et électronique de bord. Une bagatelle puisque nous avions estimé que seuls quelques changements mineurs seraient nécessaires… C’est alors qu’un personnage essentiel, que dis-je, inestimable a surgit au cœur de la Mission Nerrivik : Philippe, notre stagiaire ! Travailleur infatigable, petit génie de la voile, de l’électricité, de l’électronique, de… un peu tout en fait. Alors qu’il vient jeter un coup d’œil à notre voilier un samedi, il nous alerte immédiatement : en l’état, Bernick n’est pas prêt pour une expédition au Groenland ni à être indépendant en énergie. Le chantier s’annonce colossal, coûteux, et les délais sont très courts : il reste un mois avant la date de départ. Branle-bas de combat : nous recrutons Philippe comme stagiaire, signons une convention avec son école, et démarrons sans tarder la course contre la montre. Comment décrire les quatre semaines qui ont suivies ? Nous avons tout donné, nos nuits se sont faites courtes et nos journées si pleines qu’elles nous laissaient sans force. La recherche de sponsors, les problèmes de livraisons et les délais problématiques, les tâches qui s’accumulent… La charge mentale s’est faite de plus en plus lourde, et nous n’aurions jamais réussi à achever la préparation de notre voilier sans l’aide de nos amis et de nos proches. Elle fût formidable, fantastique, pleine de joie et d’entrain ! Cette aide a transformé ce chantier en lieu de partage, de vie, de rires et de galères que nous partagions ensemble, ouvrant notre grande aventure à tous ceux qui ont gagné leurs galons de nerriviens par la sueur de leur front, de jour comme de nuit. Lors des weekends, le
Bernick se transformait en ruche, chacun se trouvant assigné à une tâche sous la supervision de Philippe : installation du circuit électrique, passage de câbles, installation des antennes dans les mâts, pose des panneaux solaires, de l’hydrogénérateur, construction de boxes électriques, installation des batteries, révision des différentes parties du bateau… Chaque journée offrait son lot de déceptions amères et de joies victorieuses, et l’exaltation de cette préparation nous donnait une énergie précieuse.

Le programme du Petit Explorateur Nerrivien
Les marins du Club Nautique ont dû être bien étonnés lorsque pour la première fois ils ont vu surgir une joyeuse troupe d’enfants devant le quai du Bernick. De nombreuses classes ont pu visiter notre voilier et découvrir notre expédition pendant les semaines précédents le départ.
Trois créneaux étaient ainsi réservés chaque matin dans ce but, ralentissant le chantier mais permettant à des enfants de multiples établissements de pouvoir découvrir concrètement ce que nous allions vivre pendant un an. Un excellent moyen de les faire rêver et de les aider à matérialiser tout ce que nous allons leur envoyer à travers nos vidéos pendant cette année ! Les pauses de midi étaient réservées à la présentation du projet directement dans les écoles pour les classes qui n’avaient pas pu se déplacer. Un programme chargé pour l’équipage mais devant les réactions enthousiastes et les questions pleines d’entrain des élèves, pour rien au monde nous n’aurions voulu alléger notre emploi du temps avec les écoles ! Chaque rencontre fût unique et précieuse pour nous, et pouvoir éveiller la curiosité des jeunes toulonnais à notre grand voyage un privilège. Ce sont donc une trentaine de classes et près de mille élèves que nous avons pu rencontrer dans ce court laps de temps ! Nous avons également pu achever l’impression des carnets de bord qui seront distribués à chaque élève, un travail couronné de succès grâce à l’aide essentielle de Didier, le graphiste à l’origine de la mise en page du carnet et dont les conseils auront été d’un précieux secours.

Le Rocher
Enfin, après des mois d’efforts pour rencontrer des jeunes et tenter de les embarquer dans
notre aventure, nous vivons nos premières expériences en mer avec des jeunes du Rocher ! Après plusieurs weekends organisés qui tombent à l’eau au dernier moment, nous sommes passablement découragés lorsqu’une sortie avec Yassin et Nassrédine s’improvise subitement. En quinze minutes, ils sont propulsés de leur quartier de la Beaucaire au port de la Seyne où ils embarquent sur le Bernick pour une sortie à la journée ! Une expérience inoubliable, durant laquelle ces jeunes nous auront touché par leur émerveillement devant ce nouvel univers qu’ils découvrent avec nous. Quelques semaines plus tard, ce sera au
tour de Saber et Inès d’embarquer. Cette dernière, qui a décidément un sacré courage et
une âme de navigatrice née, ne craindra pas d’embarquer avec nous lors du départ de la Mission Nerrivik pour quelques jours en mer entre Toulon et Marseille. Elle sera accompagnée par Farès, un jeune du Rocher de Paris, qui lui aussi n’aura pas peur de plonger dans l’inconnu à nos côtés. C’est un premier aboutissement pour notre jeune association dont la vocation est de pouvoir faire découvrir l’aventure maritime à ces jeunes, et une grande joie pour nous tous ! Tout ceci peut se mettre en place et promet de belles choses pour la suite grâce au travail acharné de Sandra, ancienne responsable de l’antenne du Rocher de Sainte Musse avec qui nous préparons ce projet depuis le début. Nous ne saurions lui exprimer toute notre reconnaissance pour ce qu’elle apporte à Nerrivik !

Plusieurs opportunités de rencontre et de présentation du projet dans divers antennes du Rocher à Marseille et Toulon nous permettent de faire découvrir Nerrivik à toujours plus de jeunes, ce qui est d’excellente augure pour la suite de l’association…

Les formations
Pour partir dans les meilleures conditions, il nous a fallu apprendre, grandir, se
former ! Pour cela, nous avons pu compter sur de nombreux spécialistes qui ont su nous offrir leur temps, leur pédagogie et leur patience pour nous instruire dans des domaines aussi variés que la navigation, la météorologie, la survie en haute mer, la mécanique, l’électricité, le secourisme… Ainsi nous avons pu profiter de l’expérience de Cécile Poujol pendant une journée pour un stage survie en accéléré extrêmement précieux pour l’équipage : procédures en cas d’avaries, évacuation du navire, recherche d’homme à la mer, équipement du bateau… C’est fou tout ce que l’on peut aborder en une journée lorsque le temps presse ! De même, grâce à Cédric, notre génial urgentiste et médecin support de l’expédition, nous avons pu nous entraîner aux gestes de premiers secours, à la pose de points de suture, à la gestion de blessures en tout genre en mer… Tout en préparant une trousse à pharmacie digne des plus grandes traversées, qui fût ensuite très bien organisée par Moana, la grande sœur de Temanu.

Les médias
Cette période fût également pour nous celle des premières interviews, passages à la radio et reportages. Cette couverture médiatique est précieuse puisqu’elle nous permet de mettre en lumière ce que nous souhaitons créer et ainsi donner plus de crédibilité à notre action. C’est donc autant pour la pérennité de l’association que pour soutenir la Mission Nerrivik que nous avons accepté avec joie toutes ces opportunités.

Dimanche 24 octobre 2021 – Jour du Départ
Le vendredi soir, personne n’aurait parié que nous partirions vraiment dimanche. Jusqu’à la dernière minute, nous aurons travaillé sur le câblage du Bernick, son système électronique, son moteur et tant d’autres choses, terminant les journées à la lampe frontale en fond de cale. Une multitude d’amis nous faisait l’honneur de leur présence pour ce grand moment et bientôt le quai du Bernick était plein de rires et d’animation. Une montagne de matériel et de boîtes de conserve en tout genre recouvrait le sol, prêt à être chargé. C’est un rêve d’enfant quise matérialise : charger son bateau pour une expédition, recevoir les équipements techniques, vestes de quart, survie, appareils de communication, de mesures et de prélèvements… La tension monte progressivement, tout le monde s’active pour nous aider à être prêts à temps. Depuis des semaines le temps nous manque et malgré toute notre bonne volonté et un effort constant de la part de tout l’équipage, nous sommes acculés par la montagne de choses qu’il reste à faire avant de larguer les amarres. La préparation personnelle du départ en pâtira : nos paquetages seront réalisés en moins de trente minutes et les derniers instants avec nos proches seront aussi fugaces que précieux.

Le matin du départ
nous sommes sur le pont dès l’aube après une courte nuit pour finir de charger le bateau, puis pour le déplacer au quai d’honneur. La manœuvre n’est pas simple, un fort vent d’Est est en train de se lever. Miraculeusement, le Bernick est amarré à temps et nous débarquons pour assister à notre messe de départ en jetant un regard empli de fierté sur notre beau voilier trônant seul dans sa place d’honneur, Philippe restant à bord pour terminer certaines connexions. La messe est un moment de partage profond et intense où nous découvrons toujours plus intensément la grande grâce qui nous est faite d’être entourés de si bons et fidèles amis et parents. Les frères, amis et pères chantent un Miserere de la Mer hors du temps. A la fin de la célébration nous nous dirigeons vers le port, entourés de tant d’amis que nous en avons le tournis. C’est une sensation incroyable que de se sentir soutenus par tant de monde ! Entre temps, notre alternateur ne fonctionne plus et le moteur ne peut plus démarrer. Une équipe d’irréductibles s’acharne à trouver une solution à l’intérieur tandis que nous recevons les hourras de la foule amassée sur le quai. Ces héros de l’ombre ne quitteront le navire qu’au dernier moment, leur devoir accompli. Chapeau bas messieurs. Le Rocher est présent en nombre avec des familles de Sainte Musse, un déjeuner est ensuite prévu au Fort de la Gavaresse, magnifique lieu utilisé par l’association pour faire grandir les grands jeunes et qui est au cœur de notre projet commun. Nous irons braver le vent d’Est pour saluer le fort avant de quitter la rade, accompagnés par Farès et Inès, nos nouveaux membres d’équipage. Des enfants de plusieurs écoles colorent l’ambiance de leurs cris joyeux et une troupe du Cours Tabarly (Association Espérance Banlieues) chante « Hé garçon, prends la barre » pour saluer notre départ. Nos familles nous ont préparé un chant magnifique sur l’air de « Santiano » que tout le monde entonne après la bénédiction du bateau.
L’émotion devient intense pour chaque membre de l’équipage, debout depuis le pont du Bernick, devant cette multitude de visages aimés que nous contemplons pendant encore quelques minutes de communion. Oui, nous avons réalisé quelque chose de grand : pas seulement de partir, mais surtout de partir en gardant dans notre cœur chacun de ces visages qui rayonne devant nos yeux. La Mission Nerrivik portera le fruit qu’elle devra porter, mais une chose est certaine : alors que nous larguons les amarres sous les acclamations et que les amis marins nous saluent depuis leurs navires, nous partageons tous un même émerveillement sans distinction d’âge ni d’origine, une force qui nous pousse vers l’Autre et vers l’Ailleurs. C’est peut-être cela finalement, la vocation profonde de Nerrivik…

Pierre-Alexandre

 

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