La PrEP, expliquée par le Dr Alain Lafeuillade

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Investi dans la lutte contre le VIH/Sida depuis plus de 25 ans, ancien chef du service des maladies infectieuses au Centre Hospitalier de Toulon, le docteur Alain Lafeuillade est aujourd’hui établi comme médecin spécialiste à La Valette.

Depuis le début du mois de juin, la prescription d’un traitement spécifique pour éviter les contaminations – la PrEP – est ouverte aux médecins généralistes.

Avec pédagogie et clarté, le Dr Lafeuillade répond aux interrogations que peut se poser un public concerné…ou pas.

En 2020, le Dr Lafeuillade a publié un ouvrage à partir du témoignage de 20 patients et soignants sur un sujet qui tend à être banalisé : « Vies et VIH » aux éditions Sydney Laurent.

NF

La « PrEP » chez le médecin généraliste
Depuis le premier juin 2021 en France le médecin généraliste peut initier une « PrEP », chose qui était jusque là réservée à un médecin hospitalier.
Mais de quoi s’agit-il ?
La « PrEP » ou Prophylaxie pré-exposition au VIH s’adresse à des personnes encore non infectées (séro-négatives) et consiste à prendre un comprimé par jour d’une association de 2 molécules anti-VIH, le Truvada*, maintenant génériqué (environ 180 euros/mois, pris en charge totalement par l’assurance maladie) pour éviter d’être contaminé par le VIH.

La première question que l’on nous pose est : est-ce économiquement justifié ?

En effet le préservatif coûtant seulement 1 euro, la comparaison peut être troublante. Et pourtant la réponse est oui. Oui car la population concernée est bien ciblée : il s’agit d’hommes ayant des rapports avec d’autres hommes, pratiquant le multi-partenariat et dont les rapports ne sont pas protégés. Ils le disent eux-mêmes : dans leur recherche constante du plaisir, le préservatif est une barrière à des sensations complètes. Or si ces personnes se contaminent par le VIH c’est en moyenne un coût de 700 euros par mois pour la tri-thérapie, plus les consultations, les bilans…à vie car on ne guérit toujours pas du VIH, voire des hospitalisations en cas de complication, et des arrêts de travail.

Mais est-ce que ça fonctionne au moins ?
La réponse est aussi oui, sur le VIH uniquement. Des études randomisées effectuées aux USA et en Europe montrent des taux de protection vis-à-vis de l’infection à VIH de 90 à 100%. D’ailleurs le produit a été autorisé aux USA dès mai 2012 et, en France, en 2016 lors de la création des CeGIDD (Centre Gratuit d’Information, de Dépistage et de Diagnostic des infections à VIH, des hépatites virales, et des infections sexuellement transmissibles : IST ». Cela a permis, les premières années, de réduire en France le nombre annuel de nouvelles contaminations par le VIH, passant de 6500 à 6000.

Mais la crise sanitaire de la COVID-19 est passée par là
Les personnels des CeGIDD ont souvent été affectés à d’autres tâches, considérées comme plus urgentes, les prescriptions de dépistage et de PrEP ont chuté, les personnes n’étant plus très décidées à venir à l’hôpital pour cela de peur de contracter la Covid.
D’où l’initiative du Ministère de permettre la prescription première et le suivi aux médecins libéraux. Mais encore faut il qu’ils en soient informés et formés !

Notions pratiques générales
La première consultation permet de faire un interrogatoire complet des pratiques sexuelles, pour confirmer l’indication, d’analyser la motivation et les antécédents médicaux de la personne. Puis de lui prescrire un bilan biologique complet (bilan sanguin standard avec fonction rénale, sérologie VIH mais aussi des hépatite A, B et C, sérologie de la syphilis, recherche de gonocoque et de chlamydiae par PCR sur les urines, au niveau anal, au niveau pharyngé. J’en profite pour rappeler à mes confrères que la sérologie des Chlamydiae n’a, elle, aucune valeur). Et la personne ne sera revue qu’après un mois avec ces résultats. Sa motivation sera re-testée et si le bilan le permet la première prescription du générique du Truvada* (Ténofovir disoproxil/Emtricitabine) sera faite pour un mois. Les principales contrindications de mise en route du traitement sont une insuffisance rénale et une hépatite B active (car les 2 molécules utilisées ont une action partielle sur le virus de l’hépatite B et risquent ainsi de favoriser la sélection de mutants). Il est donc important à cette seconde consultation de proposer de vacciner contre l’hépatite A et l’hépatite B les personnes qui n’ont pas déjà d’anticorps protecteurs. L’hépatite A aussi, oui, car bien que de transmission alimentaire dans la population générale, des épidémies ont été observées chez les hommes ayant des rapports avec d’autres hommes par des pratiques bucco-anales.

Le suivi routinier
Au début vous verrez donc votre « patient » tous les mois, avec un bilan de tolérance et de toutes les IST vis-à-vis desquelles il n’est pas protégé.
Bien que devenu routinier ce suivi est un véritable engagement du médecin et du « patient » (entre guillemets car à priori non malade). L’observance est capitale pour tendre à une efficacité de 100%. Quant au praticien il doit s’attendre à diagnostiquer plus d’IST chez ces personnes (Syphilis, Gonocoque, Chlamydiae) qui heureusement se guérissent, elles, à peu de frais.

En conclusion
Les CeGIDD avaient apporté l’avantage de l’unité de lieu dans le parcours « PrEP » : consultations, bilans biologiques, dispensation du médicament mois après mois en un seul lieu.
La prescription et la prise en charge en ville va « éclater » ce concept : consultation au cabinet, bilan dans un laboratoire d’analyses médicales de ville, dispensation du traitement en officine de ville. Le praticien devra bien noter sur l’ordonnance TRUVADA* générique (ou Ténofovir disoproxil/Emtricitabine) 1 cp/jour pendant 1 mois. Prescription dans le cadre de l’extension d’AMM (autorisation de mise sur le marché) pour la prophylaxie pré-exposition. Ainsi la personne n’aura rien à débourser. Par contre, à la différence de l’hôpital où tout le reste (consultations, bilans) était gratuit (car les CeGIDD reçoivent un financement spécifique des Agence Régionales de Santé -ARS), dans cette conformation de ville le PrEPeur devra avoir non seulement sa carte vitale mais aussi une mutuelle. D’où l’intérêt d’une forte motivation pour que ce passage en ville de la PrEP ait un effet sur l’épidémie d’infections à VIH.

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