Il faut optimiser nos schémas vaccinaux

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Dr ALain Lafeuillade

Docteur Alain Lafeuillade, spécialiste en Médecine Interne et Infectiologie, ancien Chef de Service des hôpitaux de Toulon, en exercice libéral à La Valette du Var.

Combinaison de différents vaccins anti-Covid-19 : la vraie réponse aux variants ?
Je voudrais dans cet article démonter l’argumentaire des anti-vax devant la reprise de l’épidémie dans des pays largement vaccinés, car comme l’a récemment dit publiquement Arnold Schwarzenegger: « je sais tout sur le biceps, je l’étudie depuis 50 ans, alors faites confiance à des virologues, comme le Professeur Antony Fauci, qui étudie les virus depuis 50 ans et suivez ses recommandations . »

Oui l’épidémie repart malgré la vaccination
C’est le cas de pays comme Israël où 40% des personnes contaminées ont pourtant eu un schéma vaccinal complet avec le vaccin Pfizer.

Ce pays est le laboratoire grandeur nature de la vaccination contre le SARS-Cov-2 puisque la moitié de sa population a été vaccinée. Or n’oublions pas que l’objectif premier des vaccins à ARN messager est d’éviter les formes graves de la maladie, pas les contaminations.

Début juin, le spectre de la Covid-19 semblait s’éloigner pour de bon dans ce pays. La plupart des restrictions avaient été levées, les masques n’étaient plus obligatoires en intérieur comme en extérieur, les salles de concerts, théâtres et discothèques avaient repris leurs activités normales. Israël a vacciné vite et très tôt ses quelque 9 millions d’habitants ; aujourd’hui, 90 % des plus de 50 ans et entre 85 % et 89 % des 20-49 ans ont déjà reçu leurs deux doses. Néanmoins, cette reprise épidémique ne se traduit pour l’instant pas par une tension sur les hospitalisations.

Ensuite, il est normal lors d’une reprise épidémique que dans un pays déjà largement vacciné les patients hospitalisés soient sur-représentés par les vaccinés, par rapport aux Antilles Françaises où la population est peu vaccinée. Ce sont des mathématiques de base. Car la reprise épidémique est bien due à un variant plus contagieux et plus agressif, le variant Delta, et non à un échec total de la vaccination. Rappelons aussi que pour les Centers for Disease Control américains, le variant Delta est aussi contagieux que la varicelle, la grippe, ou Ebola. Malgré cette reprise des infections ont voit bien dans les pays suffisamment vaccinés que la nouvelle vague est en partie contenue, par rapport à des pays comme l’Algérie où avec un taux de personnes vaccinées de 3,5%, l’épidémie explose.

Non nous n’atteindrons pas l’immunité collective
Ce concept cher aux infectiologues stipule que lorsque 60% d’une population est immunisée contre un pathogène, cela protège les 40% qui ne le sont pas.

Or, pour la pandémie à SARS-Cov-2, on a pu évaluer dès l’apparition du premier variant d’importance, le variant britanique Alpha, qu’il faudrait pousser le curseur de 60 à 90%. L’arrivée du variant indien, Delta, n’a fait que confirmer cette exigence. Et d’autres variants encore plus difficiles à maîtriser suivent, tel le variant colombien auquel il n’a pas encore été attribué de lettre grecque. Introduit récemment dans un EHPAD en Belgique il a fait 5 morts pour 5 personnes infectées qui pourtant avaient un schéma de vaccination complet.

Nous n’atteindrons pas l’immunité collective en partie parce qu’il y des irresponsables (et je traduis les paroles d’Arnold Schwarzenegger de façon « soft ») qui au nom de leur « liberté » sont contre la vaccination. Ceux que Bernard Kouchner a déjà qualifiés de collabos du virus.

Ces personnes n’ont aucune formation scientifique et défilent tous les samedis dans notre pays sous la forme de groupes hétéroclites comportant des gens d’extrême droite et d’extrême gauche, des catholiques intégristes, des anti-sémites…bref, un conglomérat nauséabond.

Qu’ils s’intéressent plutôt au réchauffement climatique et à la pollution des océans, qui sont de vrais défis pour nos enfants, et laissent les virologues et les épidémiologistes faire leur travail et conseiller les autorités. Dans ce sens je suis d’accord avec certaines voix de La République en Marche qui appellent à une vaccination obligatoire contre la Covid-19, ainsi il n’y aura plus de débat sur un pass sanitaire nécessaire où et quand.

Après tout ces manifestants acceptent bien sans contester l’obligation vaccinale contre la diphtérie, le tétanos et la polio. Les élucubrations de certains, qui n’ont aucun bagage scientifique, dans les médias et sur les réseaux sociaux, relèvent bien d’une hystérie collective.

Cela me rappelle l’arrivée, en 1996, des premières trithérapies anti-VIH: il y avait beaucoup de comprimés à avaler et de nombreux effets secondaires, mais elles sauvaient des vies. Cependant certains patients refusaient de les prendre car, pour eux, ces effets secondaires étaient ressentis comme plus toxiques que le VIH lui même, le « serial killer » par excellence.

Il faut optimiser nos schémas vaccinaux
Je pense qu’avant de faire des analyses et des commentaires sur la situation actuelle il faut avoir un minimum de bagage scientifique, et nous l’avons bien vu avec l’interview du Professeur Gallo dans ces colonnes, Directeur de l’Institut de Virologie Humaine à Baltimore (USA).

Donc exit les commentaires fallacieux de certains maires qui disent que les personnes vaccinées sont plus contaminantes que les non vaccinées, exit les positions d’un certain individu, pur produit de l’administration française, qui utilise le pass sanitaire pour aller en Italie manifester contre ce même pass, exit les positions anti-vax de ces catholiques intégristes qui sont déjà opposés à l’avortement des filles violées.

Il y en a assez d’une société où celui qui est reconnu dans son domaine se permet d’avoir des avis tranchés dans les domaines qu’il ne connait pas.

Il faut donc optimiser nos schémas vaccinaux.

Comme le relevait le Professeur Gallo dans l’interview déjà mentionné, il faut mieux comprendre le rôle de la réponse cellulaire dans l’infection à SARS-Cov-2.

En pratique quand notre organisme rencontre un pathogène il y a deux types de réponse immunitaire possibles: la réponse humorale, c’est à dire la production d’anticorps (ce que font les vaccins à ARN messager), et la réponse cellulaire, c’est à dire la production par l’organisme de lymphocytes T cytotoxiques (qui tuent les cellules infectées par le pathogène), ce que font bien les vaccins à vecteur viral (AstraZeneca, Johnson & Johnson). L’idéal étant que ces réponses immunitaires soient complémentaires.

Or, nous venons de le dire, un type de vaccin favorise l’une des réponses et l’autre type l’autre.

L’idée est donc de combiner les 2 types de vaccins.

Car les vaccins à ARN messager, qui font produire à l’organisme des anticorps contre la protéine Spike du coronavirus, seront efficaces tant que les mutations des variants n’altèreront pas trop la conformation tri-dimentionnelle de cette protéine. On est dans une configuration où l’anticorps, qui est la clef, va parfaitement s’intégrer dans la structure de la protéine Spike, qui est la serrure. Quand les mutations accumulées font que l’anticorps ne correspond plus à la serrure, il faut adapter le vaccin à ARN messager au nouveau profil de la protéine Spike. Cela se conçoit facilement, même pour le non averti.

L’immunité cellulaire est bien plus difficile à percer dans ses mécanismes car les outils pour l’étudier sont bien plus récents. En fait leur développement est une conséquence de l’épidémie à VIH dans les années 80. Avant on savait grossièrement différencier au laboratoire les lymphocytes B, responsables de la réponse anticorps, des lymphocytes T, en charge de la réponse cellulaire. La pandémie à VIH a nécessité de pouvoir mesurer une sous population de lymphocytes T, les lymphocytes T CD4, tués par le virus. Pour les mesurer le microscope ne suffisait plus, il fallait une autre technique, la cytométrie de flux. En pratique ce sont des appareils très coûteux qui mesurent un à un dans des capillaires des lymphocytes marqués par des anticorps pour savoir si ce sont des lymphocytes T, CD4, ou CD8 etc…

On a pu déterminer que les vaccins à vecteur viral comme celui de Johnson & Johnson, permettaient surtout d’acquérir une réponse cellulaire contre le virus. Ce vaccin utilise un adénovirus humain vivant (virus bénin des angines) pour introduire dans l’organisme un coronavirus inactivé (mort). La réponse immunitaire va donc être contre la protéine Spike mais aussi contre d’autres antigènes de membrane du virus, et sera essentiellement cellulaire.

Quels schémas envisager en attendant la mise à jour des vaccins actuels ?
Par MAJ vous aurez tous compris qu’il s’agit de Mise à Jour…et peut être certains anti-vax moins bornés que les autres peuvent le comprendre. Car face aux mutations du SARS-Cov-2 il va falloir mettre à jour nos vaccins comme nous mettons à jour notre antivirus sur notre ordinateur, sauf que là il ne s’agit pas d’un simple téléchargement, mais de la modification de toute une chaine de production.

Cependant il existe déjà des données préliminaires en faveur des schémas mixtes de vaccination.

Au printemps dernier, les personnes de moins de 55 ans ayant reçu une première dose d’AstraZeneca devaient se tourner vers un vaccin à ARN messager (Pfizer ou Moderna) pour leur deuxième injection, en raison du risque de thrombose mis en évidence et ayant conduit les autorités de santé à réserver l’AstraZeneca aux plus âgés.

De nombreuses études se sont penchées sur ce sujet pour évaluer l’efficacité de cette combinaison dite « hétérologue ».

En juin dernier, des résultats préliminaires de recherches espagnoles, présentés dans la revue Nature, étaient déjà encourageants. Ces travaux montraient non seulement qu’injecter deux vaccins différents semblait sûr, mais aussi serait tout autant voire plus efficace pour lutter contre la Covid-19 ! La combinaison de deux vaccins (AstraZeneca puis Pfizer) pouvait générer une réponse immunitaire plus forte et par conséquent mieux aider à lutter contre les variants du SARS-Cov2.

Deux nouvelles études, de scientifiques de l’université de la Sarre et de l’institut d’immunologie de Hanovre (Allemagne), fraîchement parues dans la revue Nature qui est considérée comme de haut niveau scientifique, confirment cette hypothèse.

Dans ces essais, les chercheurs ont suivi près de 200 patients qui avaient d’abord reçu une dose d’AstraZeneca puis une seconde de Pfizer. Ils confirment que la combinaison de deux sérums différents engendrerait bien la production d’anticorps neutralisants et de lymphocytes (TCD4 et TCD8 spécifiques du SARS-CoV-2) en quantité plus importante que lors d’un schéma vaccinal classique avec deux doses d’un même sérum, qu’il s’agisse d’un vaccin à vecteur viral, comme l’AstraZeneca ou à ARN messager comme Pfizer. Par ailleurs, leurs résultats montrent qu’il n’y a pas significativement plus d’effets secondaires avec cette vaccination « hétérologue ».

Dans une étude d’observation comparant des personnes vaccinées avec deux doses d’AstraZeneca à 12 semaines d’intervalle, à un « mixt » comportant AstraZeneca et Pfizer, le surcroît d’immunité est de 60% avec le panachage (AstraZeneca puis Pfizer).  Les anticorps sont aussi plus variés, selon les chercheurs.

À tel point que la Grande Bretagne vient d’investir 8 millions d’euros dans un essai évaluant cette stratégie. C’est l’essai appelé « Cov-boost ».

Il est d’autant plus permis d’espérer de cette stratégie que des données dites « en vie réelle » venant d’Espagne sont encourageantes.

En Espagne, une vaste étude portant sur 600 patients a ainsi été mise en place par l’institut de recherche en Santé publique Carlos III. Un tiers d’entre eux, soit 448 personnes, se sont vus administrer une dose de vaccin à ARN messager Pfizer huit à douze semaines après avoir reçu une première injection d’AstraZeneca. Le dernier tiers a simplement été placé en observation, sans nouvelle injection. Selon les résultats, publiés dans The Lancet, les patients ayant bénéficié de deux doses ont développé « une réponse immunitaire robuste », bien supérieure à ceux placés en observation.

D’autres signaux positifs pour cette vaccination mixte viennent de la Corée du Sud où le même type d’étude a été mené.

Il semblerait donc, dans l’état actuel des connaissances, plus judicieux de combiner un vaccin à ARN messager (type Moderna, le mieux toléré) à un vaccin à vecteur viral (type Johnson & Johnson).

Cette technique du « prime boost hétérologue » est déjà utilisée contre certaines maladies infectieuses comme Ebola. « Ces stratégies sont très communément utilisées depuis 20 ans, cela n’a rien d’extraordinaire », soulignait d’ailleurs dès avril dernier à l’Express Morgane Bomsel, immunologue à l’institut parisien Cochin.

Donc, tournons nous vers la combinaison des vaccins déjà existants, pour mieux faire face aux variants, avec une immunité à la fois humorale et cellulaire, avant d’avoir des vaccins qui « couvrent » tous les variants.

Un patient vacciné par Pfizer ou Moderna pourra donc bénéficier d’une troisième dose par Johnson & Johnson, et un patient initialement vacciné seulement par une injection du vaccin Johnson & Johnson, pourra donc bénéficier d’un « rappel » par Pfizer ou Moderna.

Il faudra pour en évaluer la supériorité, non pas mettre en place des essais cliniques qui prennent trop de temps à être analysés, mais des registres observationnels dans la vraie vie car, pour le moment, nos technologies contre ce coronanirus avancent moins vite que le virus n’évolue.

La situation actuelle est préoccupante mais ce n’est que COLLECTIVEMENT et UNIS, sans arrières pensées personnelles, en faisant confiance à la Science que nous parviendrons à inverser cette tendance.
Docteur Alain Lafeuillade

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