De l’incompatibilité organique entre partis politiques et assemblées populaires

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Réflexions autour de la constitution d’une liste censée concilier intérêts partidaires et décisions « citoyennes », ou le mariage impossible de la carpe et du lapin.

La liste Toulon en Commun, qui entend « changer notre ville et nos vies grâce à une démarche citoyenne et populaire » en s’appuyant sur une assemblée « populaire et citoyenne » (les deux adjectifs-clé ne sont pas toujours écrits dans le même ordre mais on comprend l’idée générale), a désigné ses champions lundi 16 décembre.

Numéro un : Guy Rebec, 70 ans, membre d’EELV, pourra peut-être continuer d’émarger aux conseils municipal et communautaire où, dans l’indifférence générale, il se décarcasse pour le bien commun depuis 6 ans déjà.

Numéro deux : Magali Brunel, secrétaire de section du parti socialiste, était déjà candidate aux régionales en 2015 derrière un célèbre homme de gauche, Christophe Castaner.

Numéro trois : Emmanuel Trigo, secrétaire départemental de la FSU, a oublié de signaler dans sa fiche de présentation destinée à l’assemblée populaire qu’il figurait sur la liste De Ubeda en 2014 (municipales), sur la liste Coppola en 2015 (régionales) et sur la liste Brossat en 2019 (européennes), bref, qu’il est un compagnon de route du PCF d’assez longue date.

Pas exactement des nouveaux venus dans l’arène. Pas exactement ce qu’on nomme des « citoyens », quand on veut les distinguer des apparatchiks.

Pourquoi pointer ces trois-là en négligeant celles et ceux qui viennent derrière ?

Parce que 3 conseillers municipaux sur 59, c’est l’effectif actuel et le minimum auquel puissent prétendre les partis toulonnais de gauche, du point de vue des partis toulonnais de gauche.

C’est aussi à peu près le maximum, en l’état actuel des choses.

Le problème n’est pas tant la désignation de cette tête de liste – à laquelle tout le monde s’attendait dans les grandes largeurs (PS + EELV + PC, LFI sur la touche et surtout, un grand merci aux figurant-e-s pour assurer la caution démocratique), mais qu’elle se targue d’être issue d’une assemblée populaire souveraine.

Souveraine, l’assemblée ne l’a jamais été, conduite par un groupe dit « de coordination » très perméable aux partis, décidant de l’ordre du jour et monopolisant l’estrade, transformant petit à petit la plénière en chambre d’enregistrement. Un appel à candidature a commencé à circuler avant même que l’assemblée ait été officiellement invitée à définir les modalités et le calendrier de désignation des candidats. Et bien que la prise de décision par consensus ait été gravée dans le marbre (voir ici : http://toulonencommun.fr/index.php/charte/), le consensus n’a jamais été envisagé pour la décision intéressant les partis politiques jusqu’à l’obsession : la qualification du trio de tête.

Deux façons antinomiques d’aborder le sujet politique

Rappelons quelques notions.

Un parti politique réunit des individus autour de valeurs pouvant évoluer au fil du temps, dans le triple objectif de conquérir le pouvoir, d’exercer le pouvoir et de conserver le pouvoir.

Les premiers partis sont apparus en France au tout début du XXe, soit plus d’un siècle après que la République et le système représentatif ont fait leur premiers pas. Ils obtiennent une

reconnaissance institutionnelle à partir de la Constitution de 1958. Le plus souvent structurés de façon hiérarchique autour de têtes d’affiche élues par les membres du parti ou désignées par les hautes sphères, ils restent consubstantiels au système représentatif. Nés en son sein, ils disparaîtront avec lui.

Autrement dit : les partis politiques ne sauraient être garants de la démocratie, à moins de confondre système représentatif et démocratie. Ce sont des écuries qui n’existent que pour la compétition imposée par l’agenda électoral. La Constitution de 58 expose d’ailleurs que « les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. » On ne saurait être plus clair. Il est dans l’ordre de choses que les partis cherchent à maximiser leur position sur les listes électorales. Il est naturel que ça discute en coulisses, que ça joue des coudes, que ça bricole, que ça instrumentalise : il faut bien se donner les moyens de gagner.

Contrairement à des partis centralisés qui ne vivent que par et pour les élections via des programmes réactualisés de loin en loin, et qui prospèrent sur la confiance qu’on voudra bien leur accorder (confiance dans les promesses, dans une « charte éthique » ou un programme), les assemblées populaires se veulent des espaces politiques locaux, permanents, où se réajustent continuellement la réflexion et l’action au fil des désirs exprimés par les gens au plus près de leurs conditions d’existence.

Il n’aura échappé à personne que l’abstentionnisme a la cote.

Le refus de la représentation, c’est ce qui peut arriver quand on s’est finalement rendu compte que la confiance n’était pas une vertu politique, ne serait-ce que parce qu’aucune espèce d’engagement ne contraint les élus vis-à-vis de leurs électeurs (article 27 de la Constitution de 58 : « Tout mandat impératif est nul »).

De fait, les assemblées populaires ont elles aussi la cote dès qu’il s’agit de réinventer l’organisation collective et la puissance politique. Principes de base : l’assemblée réunit des gens ordinaires qui disposent chacun du même pouvoir de décision. L’assemblée est souveraine. L’assemblée privilégie le consensus. L’assemblée porte ses décisions par le biais de mandats impératifs et uniques… Pas de chef, pas de comité central, pas de consigne donnée à la base, pas de blanc-seing… Ici, la confiance n’est plus un enjeu majeur, car les individus ne représentent qu’eux- mêmes.

…On mesure alors bien l’incompatibilité de principe entre partis politiques et assemblées populaires.

Tout ça pour ça
Habitué-e-s des assemblées populaires toulonnaises qui s’organisent depuis près d’un an autour du mouvement des Gilets jaunes, certain-e-s toulonnais-e-s ont pourtant eu envie de faire fleurir leurs convictions démocratiques en s’investissant dans la mise en place de l’assemblée qui allait devenir le socle de Toulon en Commun, réussissant même à faire inscrire les principes énumérés ci-dessus dans sa charte de fonctionnement avec la ferme intention de pérenniser l’initiative au-delà de l’élection.

L’illusion n’aura pas duré très longtemps. En l’espace de deux mois, les partis sont passés du « soutien à l’assemblée » (voir ici : http://toulonencommun.fr/index.php/appel/) à sa prise de contrôle, attendu qu’en les laissant vivre au sein de l’assemblée, ils finiraient naturellement par l’instrumentaliser et détourner son concept, opportunisme électoral oblige (à ne pas confondre avec le pragmatisme).

On pourrait alors moquer la naïveté de celles et ceux qui ont voulu tenter l’expérience en forçant quelque peu la main des partis. Sauf que l’honnêteté, la sincérité et l’envie de « réenchanter

le politique », comme on dit, ne sont pas des sujets de moquerie. On moquera plutôt les partis parce qu’ils continuent d’organiser le dégoût d’eux-mêmes, indiquant le chemin en creux : l’avenir de la démocratie est ailleurs.

Plutôt que se mettre en retrait, et faire de ces élections toulonnaises qu’ils savent perdues d’avance un laboratoire d’expériences démocratiques, ils ont choisi de poursuivre leurs logiques d’appareil, au risque du ridicule, au risque de disparaître complètement des radars.

Bien plus grave : ils laissent accroire que les principes de l’assemblée populaire pourraient se fondre dans leurs pratiques. Qui pourra en effet s’intéresser à la vitalité des assemblées, si la structuration en assemblée aboutit à de tels résultats ?

Voilà pourquoi il est essentiel de dire les choses : les partis de gauche toulonnais ont organisé leur entente cordiale sur le dos de notions démocratiques qui les dépassent. Prochain épisode : cortège de lamentations autour des urnes désaffectées et de la montée du RN.

Note 1 : les deux têtes de liste sont parfaitement Macron-compatibles. Pratique, dans le cas d’un second tour avec LREM.

Note 2 : à celles et ceux qui ne comprendraient pas pourquoi on peut consacrer un article à démonter cette pantalonnade plutôt que s’attaquer à la droite de Falco ou au RN, et donc, à faire implicitement le jeu des méchants, il convient de souligner la totale responsabilité des forces progressistes (ou se considérant comme telles) dans ce délabrement, quand on prétend incarner le progrès humain contre le cynisme et la manipulation.

Gilles Suchey

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