Angoisse, violences et dépression : les effets indirects de l’épidémie

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La prise en compte de l’état psychologique des français est désormais un facteur déterminant dans les décisions, liées à l’épidémie de Covid-19, prises par le gouvernement. Il était intéressant de savoir si les professionnels de notre région font le même constat. Kheira GUERNAN, dont le cabinet assure des consultations psychologiques et psychothérapeutiques, intervient également dans le secteur de la protection de l’enfance, et en formation continue, en particulier auprès des policiers municipaux. C’est dire qu’elle a une vision élargie des effets de ce virus mutant sur des populations différentes, et pourtant fragilisées…

N.F

TV83.info : Psychologue clinicienne à La Seyne et La Valette, avez-vous constaté l’arrivée de nouveaux patients et des troubles spécifiques liés à l’épidémie?

Kheira GUERNAN : Lors du second confinement, j’ai en effet constaté qu’une partie de ma patientèle souffrait d’anxiété, les adolescents en l’occurrence.
Certaines familles ont commencé à vivre ensemble 7j/7j et 24h/24h, il est donc inévitable que des tensions apparaissent.
J’ai malheureusement accompagné davantage de femmes victimes de violences conjugales dont des violences sexuelles.

TV83.info : Parmi les patients suivis pour d’autres pathologies, constatez-vous une aggravation de leur état ?

Kheira GUERNAN : Je ne parlerai pas « d’aggravation » mais les interactions sociales et rencontres étant réduites, les problématiques prenaient pour certains plus « d’espace » dans leur vie quotidienne.
Pour certains, le « confinement » a été associé à « sortir, c’est risquer de mourir » aussi les craintes, peurs ont été plus importantes.

TV83.info : On parle beaucoup des difficultés rencontrées par les jeunes : est-ce un constat que vous partagez ?

Kheira GUERNAN : Tout d’abord, je dirai que les enfants et adolescents ont été plus que participatifs et impliqués !
En effet, je constate que les jeunes ont rencontré des difficultés.
L’enfance et l’adolescence sont des périodes de vie durant lesquelles les interactions sociales sont fondamentales. Malheureusement le contexte sanitaire, oblige à repenser les interactions avec les différents environnements (écoles, collèges et lycées, universités, milieu sportif…).
Concernant les enfants, les parents, pour la majorité, ont fait preuve d’adaptation et surtout de créativité !
Pour les adolescents et les étudiants, c’est quelque peu différent … Beaucoup d’étudiants se sont retrouvés dans un contexte de vie plus que précaire (isolement social, familial, précarité financière..). Certains ne rencontraient plus personne.

TV83.info : Les violences intra-conjugales semblent en augmentation également : comment « libérez-vous » la parole des femmes qui viennent en consultation sur ce sujet?

Kheira GUERNAN : Je travaille auprès des personnes victimes de violences conjugales et intra-familiales depuis quelques années et j’ai en effet reçu davantage de personnes victimes de violences et en particulier des violences sexuelles lors du premier confinement.Pour répondre à votre question, je dirai que pour aider et « libérer la parole » il est nécessaire d’accompagner la personne dans son processus de « penser ».
La violence est un rapport de domination, un rapport de force qui n’a ni plus, ni moins comme objectif que d’annuler l’autre dans ce qu’il « est », dans ce qu’il « pense » afin d’asseoir son emprise psychique.
Le regard que nous portons sur une personne permet parfois de faire exister autrement l’autre. Il y a des regards qui élèvent l’autre !
Libérer la parole : c’est commencer par écouter et entendre, ce qui ne s’entend pas, ce qui ne se dit pas ou ce qui n’ose pas se dire.
Certaines femmes ont rarement les moyens de consulter un psychologue clinicien en libéral, l’isolement, dans lequel elles se trouvent, limite leurs possibilités d’action.
Pour celles qui viennent en consultation, l’objectif est de créer un espace de parole empreint de confiance leur permettant alors de « se raconter » lorsqu’elles le pourront.
La parole se libère, si nous respectons et accompagnons la temporalité psychique de l’autre.
Permettre la pensée, autorise la personne à exister en tant que sujet. Et c’est parce qu’elle pense, qu’elle peut dire et « parler ». La mise en mots est l’aboutissement d’une pensée qui a pu s’élaborer.
C’est donc avec la pensée, que j’accompagne la libération de la parole.

TV83.info : Quels conseils pratiques pouvez-vous donner à tous ceux qui ne consultent pas mais vivent mal cet « état d’urgence » permanent ?

Kheira GUERNAN : Bien, justement de rencontrer un professionnel afin de rompre l’isolement et rencontrer des proches afin de maintenir du lien social et affectif.
La rencontre avec un professionnel permettra certainement à la personne de prendre de la distance avec l’état dans lequel elle se trouve. L’urgence est un « instant T », le corps s’épuise progressivement, s’il reste dans cet état en continu. L’objectif est d’identifier et de mobiliser les ressources de la personne pour l’accompagner.
Continuez à vivre, à vivre avec !
Nous sommes en vie, ne pas l’oublier…

TV83.info : Vous avez une pensée particulière pour les enfants placés…

Kheira GUERNAN : J’aimerais simplement ajouter deux pensées pour conclure.
La première pensée, une phrase d’Hannah ARENDT qui dit que : « c’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal », alors continuons à penser, à nourrir notre appareil à penser !
La seconde pensée, je suis psychologue clinicienne et j’ai la chance de me lever chaque matin, heureuse de pratiquer mon métier, « spychologue » comme disent les enfants !
Une partie de mon activité s’exerce en cabinet et une autre partie en institution dans le secteur de la protection de l’enfance.
J’accompagne des enfants « placés » et des enfants « victimes de violences conjugales et intra-familiales » en maison d’enfants à caractère social. Le confinement, le placement fait partie des doubles épreuves de vie qu’ils ont traversées et pour la majorité sans se plaindre.

Mes pensées à tous ces petits et grands qui nous font confiance et à tous mes collègues et professionnels psychologues, pédopsychiatres, médecins, infirmiers, éducateurs spécialisés, chefs de service, maitresses de maison, lingères, cuisiniers et tant d’autres … qui ont été là pour ceux qui ne font pas de bruit et qu’on entend peu, « les enfants placés ». Ces enfants ont traversé ces confinements avec le sourire.

Ne pas les évoquer, ne pas parler d’eux serait les oublier.

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