Un éclairage magistral sur la résistible ascension du nazisme

0

Eric Vuillard Goncourt 2017

« L’ORDRE DU JOUR » : un éclairage magistral sur la résistible ascension du nazisme

Comment ne pas avoir envie de partager ces quelques impressions de lecture d’une oeuvre littéraire, choisie non pas parce qu’elle a été primée mais en raison du thème qui l’a inspirée : les circonstances historiques dans lesquelles Hitler a accédé au pouvoir, en toute clarté sur ses objectifs, ses méthodes, sur la nature de son pouvoir et de la manière dont l’auteur, Eric Vuillard nous en fait le récit haletant dans un format très resserré ?

Il met le projecteur sur ces moments qui font basculer l’histoire et dont l’enchaînement a pu être perdu de vue, voire ignoré. L’auteur les reconstitue comme s’il avait assisté aux rencontres les plus secrètes dont il nous donne la teneur avec une précision chirurgicale grâce à ses sources puisées dans les archives, les mémoires des protagonistes, des ambassades, du procès de Nuremberg…

Il y met en scène les personnages qui occupèrent les premiers rôles en Europe occidentale, éclairant leurs positionnements ambigus ou carrément complaisants à l’égard d’Hitler, tout en cherchant à donner l’impression de vouloir éviter le pire.

Nous devenons les témoins de ces ralliements des banquiers et des grands industriels au parti nazi du nouveau chancelier qui les réunit le 20 février 1933, pour s’assurer de leur allégeance et obtenir leur concours financier au programme que nul n’ignore ici dans ce cénacle.

Ni dans les cercles du pouvoir en France et en Grande Bretagne qui signeront lâchement, le 30 septembre 1938, les accords de Munich permettant à l’Allemagne d’annexer la Tchécoslovaquie, six mois après avoir envahi l’Autriche le 12 mars. sans l’assentiment de personne si ce n’est celui de son très conservateur chancelier, Schuschnigg qui n’a même pas pu sauver les apparences connaissant l’enthousiasme des Autrichiens…qui approuvèrent le rattachement au Reich par référendum à 99,75% !
De la convocation au Berghof, résidence d’hiver du Führer, du chancelier autrichien à sa capitulation, digne du gangstérisme le plus classique, Eric Vuillard nous livre un récit hautement révélateur des petites lâchetés qui font les grandes trahisons.

Un récit émaillé de péripéties traitées avec un humour caustique comme la panne des panzers bloqués à la frontière, ce qui retarda les festivités mais pas la chasse aux juifs tirés par les cheveux dans les rues de Vienne avant d’autres destinations.

Le fait pour un récit de cette qualité de recevoir, 72 ans après la fin de la seconde guerre mondiale, un prix littéraire prestigieux, n’est peut-être pas tout à fait anodin. Il conïncide avec la résurgence sur fond de crise économique et sociale, des mêmes forces d’extrême-droite, à l’Ouest comme à l’Est de l’Europe, certaines se réclamant du nazisme et répandant le même poison du nationalisme, du racisme et de la xénophobie. C’est notamment le cas en Autriche et en Allemagne mais aussi en France, avec un peu plus de précautions.

« L’ordre du jour  » revient à ces noms qui avaient répondu à l’appel de Hitler ce 20 février 1933 au Reichstag. Ces 24, qui constituaient le clergé de la grande industrie de l’Allemagne nazie et qui ont fait tourner la machine de guerre dans leurs usines, « avaient loué des déportés à Buchenwald, à Flossenbürg, à Ravensbrück, à Sachsenhausen, à Auschwitz et à bien d’autres camps…leurs intérêts trouvaient leur compte. » L’extermination allait son train.

« Leurs noms sont toujours là aujourd’hui, partout, sous forme de choses… » les Krupp Thyssen, Bayer, Opel, Siemens, IG Farben, Allianz, Téléfunken, Quandt…

Un récit puissant qui invite à se poser la question de savoir si nous parlons là d’un temps lointain définitivement révolu ?

René Fredon

Eric Vuillard – L’ordre du jour – Ed. Actes Sud (16 euros)

À noter que le prix Renaudot 2017, attribué à Olivier Guez, « La disparition de Josef Mengele » dévoile, lui, les circuits de l’argent et des hommes qui ont permis au bourreau d’Auschwitz, d’échapper jusqu’à sa mort à la justice de son pays.

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.