Stade de Nice : le gâchis des finances publiques

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L’émission d’Elise Lucet, Cash-investigations, a une fois de plus, tenu, mardi 18 octobre,
toutes ses promesses. Elle s’attaquait aux gaspillages des deniers publics à travers trois enquêtes toutes plus révélatrices les unes que les autres : le financement du stade de Nice, le marché de Microsoft avec le Ministère de la Défense et la sous-traitance au privé de Pôle-emploi.

Si vous n’avez pu la regarder, ne manquez pas de vous la reprogrammer…elle vaut le détour. Sans parler de la fin qui a viré au clash, y compris hors antenne, Christian Estrosi ayant choisi l’offensive quitte à contester l’évidence : il avait refusé de recevoir les journalistes en mairie, préférant leur répondre par écrit puis s’invitant au dernier moment pour ne pas se l’entendre reprocher.

Je n’évoquerai que le premier sujet : le coût du stade de Nice construit et financé  par Vinci qui en restera propriétaire pendant 27 ans, jusqu’en 2041, selon le contrat de partenariat public privé (PPP) choisi par la ville, renonçant donc à la maîtrise d’ouvrage public.

Moyennant quoi la ville versera une redevance de 12 millions par an (x27) avant de devenir propriétaire du stade de 35 624 places, soit un montant de 324 millions d’euros pour un coût de construction évalué à 204 millions d’euros et qui reviendra à 400 millions sur la durée du contrat. Soit 5 828 euros la place (204 000 : 36 000), le double d’autres stades construits par Vinci.

Mais ce n’est pas tout : la ville prend aussi à son compte 12 millions d’impôts et taxes divers que n’aura pas à supporter l’heureux partenaire qui construira également un programme immobilier sur une surface de 29 000 m2 ainsi qu’un musée du sport. Il gérera le stade, à son profit, comme un équipement multifonctionnel. Le foot-ball y étant prioritaire… heureusement.

Où est, dans ces conditions, l’intérêt pour la ville du point de vue des contribuables niçois ? On se le demande et ce n’est pas le moindre mérite de cette émission courageuse et bien inspirée de nous apporter une preuve palpable, si on peut dire, du gâchis financier pour les finances publiques de telles opérations qui reviennent beaucoup plus cher, presque le double qu’un emprunt classique …à condition qu’il ne soit pas toxique.

Nous avions signalé l’intervention de Christian Barlo, adjoint à La Seyne, à TPM sur ce mode de financement  choisi par le département pour la rénovation de trois collèges. Mêmes conclusions : beaucoup plus cher pour les collectivités publiques.

Le PPP résoud le problème du financement initial qui évite à la commune d’augmenter le poids de sa dette en apparence puisqu’elle n’emprunte pas mais va transférer dans les dépenses de fonctionnement un loyer considérable au terme du contrat, au seul profit du financeur-constructeur. Ce qui affaiblit la capacité d’auto-financement de la ville.

Inutile de dire que Christian Estrosi, qui était maire à cette époque (et qui l’est resté de fait)
était dans ses petits souliers mais se voulait droit dans ses bottes, à la fin de l’émission pour tenter de justifier ses choix et leurs conséquences. Il avait donc longtemps refusé de recevoir l’équipe en mairie, puis de venir s’expliquer à l’antenne et s’était ravisé. Il s’est essayé à déstabiliser Elise Lucet « qui n’était ni juge ni magistrat… », l’accusant de diffuser des « inexactitudes, de fausses informations… » fustigeant « la médiocrité de ses méthodes d’investigations… »

Un Estrosi qui était manifestement venu « faire un palet » sur cette empêcheuse de gérer en rond qui se mêlait de ce qui ne la regardait pas alors que lui, tenez-vous bien, s’est élevé au rang de bienfaiteur de la Nation avec cette tirade : « si j’ai fait  ce PPP c’était parce que c’était la meilleure garantie offerte à la France parce que sans le stade de Nice il n’y aurait pas eu d’euro 2016 « !!! On ne voyait pas si ses chevilles gonflaient.

Tout un échange de correspondances, y compris autour de la production tardive du contrat de partenariat et de ses annexes que la mairie refusait de communiquer puis devait s’y résoudre au dernier moment.  Estrosi ne reconnaissait aucune critique. Le « dialogue » a forcément tourné court. Il aura des suites.

Autre avantage que l’ancien maire n’a pas évoqué, la formule lui garantissait la livraison du nouveau stade juste avant les élections municipales : quelle coïncidence !

Le nouveau président du conseil régional se serait bien passé de cette publicité qui en dit long sur ces talents de gestionnaire des fonds publics.

Il n’avait sans doute pas pensé que Cash-investigations se mêlerait de ses affaires niçoises en donnant aux conclusions de la chambre régionale des comptes un éclairage public qu’hélas ses rapports d’observations n’ont pas souvent. On en connaît trop rarement les suites.

Un rapport édifiant (1)

La signature du fameux contrat PPP a eu lieu le 11 février 2 011 avec la société Nice Eco Stadium dont le principal actionnaire se trouve être… »Vinci concessions pour la conception-réalisation-maintenance jusqu’en 2041 d’un stade multifonctionnel de 35 624 places, du Musée national du sport et d’un programme immobilier d’accompagnement de 29 000 m2 dont 22 700 de surfaces commerciales. »

Un stade inauguré en septembre 2013 qui « apparaît trop important au regard des besoins du club, l’OGC Nice que de la rareté des évènements sportifs de grande ampleur organisés en France (Euro ou coupe du monde de foot-ball ou de rugby)… »

…Il apparaît que le recours au PPP ne répondait pas aux critères légaux… ce stade, destiné prioritairement aux matchs de l’équipe professionnelle de l’OGC Nice et pouvant accueillir le reste du temps des concerts ou des activités de séminaires purement concurrentielles, ne constitue pas un équipement nécessaire à un service public relevant de la responsabilité de la commune…

…Ensuite, la commune n’a pas démontré se trouver dans l’impossibilité de définir ses besoins et de pouvoir conduire elle-même ce projet…

Enfin, le contrat concerne pour une part importante un centre commercial de très grande ampleur, « Nice One », intégré en grande partie dans la structure du stade (sous le parvis) et construit dans le cadre d’un « programme immobilier d’accompagnement » (PIA) inclus dans le contrat de partenariat, bénéficiant d’un bail de longue durée de 99 ans. Ce volet sera le principal générateur de recettes de l’opération (plusieurs centaines de millions d’euros). Le centre commercial sera la propriété d’un actionnaire de l’OGC Nice qui en a acquis les droits auprès de Vinci pour 80 M€ HT. Il a de facto été payé en partie par la commune…

…En effet, si Vinci a versé 25 M€ au titre de la participation du programme immobilier d’accompagnement (PIA) à la construction du stade, ce qui a été déterminant dans l’attribution du contrat, le gros œuvre du PIA étant intégré pour partie dans celui du stade, cette contribution a aussi en grande partie financé le PIA lui-même… »

Ces quelques extraits de la synthèse du rapport d’observations définitives de la CRC suffisent à éclairer la nature  avant tout affairiste de cette opération au détriment des contribuables.

Estrosi est, comme d’habitude, fier de son oeuvre, ce qui lui permet de se décerner des galons de grand bâtisseur et de non moins grand sportif, lui, le motard qui roule à 300 kmh et se baigne au 1er de l’an. Il crée des emplois par son dynamisme économique, voyons, et on lui cherche des poux dans la tête ?

Le problème c’est que ce n’est pas son argent qu’il gère mais celui des contribuables niçois qui ont peut-être leur mot à dire sur la bonne utilisation des deniers publics surtout lorsqu’ils découvrent ce genre de pratiques. Sans doute n’a-t-il pas forcé sur la communication, en dehors de l’obligation d’en informer le conseil municipal en séance publique.

Il n’a pas apprécié que le projecteur ait été mis sur un aspect de sa gestion  qui pose effectivement de très sérieuses interrogations. Les journalistes ont fait leur travail avec efficacité et pugnacité.
Les deux autres sujets étaient aussi dérangeants pour les mis en cause, deux institutions : le ministère de la Défense et Pôle emploi.

C’est tout à l’honneur de la chaîne publique. Et je n’en suis pas un inconditionnel à bien des égards.

René Fredon

(1) https://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Construction-du-grand-stade-de-Nice-Nice-PPP-Rapport-d-observations-definitives

crédit photo : https://paris2024.org/fr/site/stade-de-nice

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