Six-Fours-les-Plages : Reprise en main

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Comme son père avant lui, Cédric travaille dans une entreprise de mécanique de précision en Haute-Savoie. L’usine doit être de nouveau cédée à un fonds d’investissement. Épuisés d’avoir à dépendre de spéculateurs cyniques, Cédric et ses amis d’enfance tentent l’impossible : racheter l’usine en se faisant passer pour des financiers !

Gilles Perret

Après vingt ans de documentaires, vous passez à la fiction.
Pourquoi ce changement de registre : est-ce par pur désir de cinéma, ou par impossibilité de raconter cette histoire autrement ?
Un peu des deux ! Passer à la fiction est devenu de plus en plus évident pour moi. Au fur et à mesure de mes documentaires, mon dispositif s’en rapprochait de plus en plus. Ce passage m’a donc paru assez naturel.
Et puis oui, ce sujet aurait été difficile à traiter en documentaire,
les personnes interviewées auraient pu se mettre en danger vis-à-
vis de leurs clients ou leurs patrons. Alors ce qu’elles auraient pu
me confier, j’ai voulu le mettre dans la bouche des acteurs ! C’est un
des avantages de la fiction : ça ouvre du possible et ça donne de la
liberté. Dans ce cas précis, la fiction pouvait aussi porter un discours
optimiste. Alors qu’un documentaire sur les impacts de la finance
dans les entreprises, on se serait surtout rapproché du drame (rire)…

C’est vrai qu’on rit dans ce film. On pleure aussi.
Est-ce important pour vous de jouer sur ces émotions ?
J’adore ça. C’est aussi le cas dans mes documentaires. Je crois que cette
façon de faire permet de rendre digeste des mécanismes qui paraissent
complexes ou rebutants au premier abord. Dans Reprise en main, cela
permet de mettre de l’humain dans des stratégies financières où tout est
fait pour perdre le commun des mortels, ceci afin qu’il ait l’impression de
ne plus avoir prise sur quoi que ce soit quant à son devenir.
Appréhendiez-vous le poids du tournage, de l’équipe et du budget ?
C’est sûr que ça a été le grand écart avec mes deux derniers docs…
Avec François Ruffin, on n’était que deux à tourner ! Ça a pu me paraître
vertigineux au départ. Et puis, j’ai immergé toute l’équipe dans mon
milieu, chez moi, dans la vallée de l’Arve. Ils étaient impressionnés par
le décor naturel, les montagnes, les usines et moi par leur présence, leurs
expériences, ça équilibrait les choses. Les comédiens ont tout de suite
été très mobilisés, très concernés par le scénario et leur implication a
rendu le travail extrêmement joyeux et précis. Même s’il pouvait y avoir
une petite place pour l’improvisation dans les scènes de vie, le scénario
et le texte étaient précis notamment sur les opérations et les techniques
financières. Tout était très écrit. On a eu autant de semaines de prépa que
de tournage, ça a été très utile. On a gagné du temps pour le choix des
cadres, les lumières au quotidien sur le tournage. Et les décors naturels,
je les connais bien, on les avait en tête dès l’écriture. Ça facilite le travail.

Jusque-là vous étiez toujours resté éloigné du monde du cinéma…
De par mes origines sociales, je n’étais pas prédestiné à faire du cinéma.
J’ai vu mon premier film au cinéma alors que je devais avoir 13 ans et c’était
« Le Gendarme et les extra-terrestres » (rire). Mais disons qu’entre mon
intérêt pour le cinéma qui s’est nettement révélé depuis (rire) – je fréquente
pas mal les salles – et mon expérience en tant que documentariste, j’étais
plutôt serein sur le tournage de ce film. Il faut dire que je me suis inspiré
de ma propre histoire, de celle de mon père, de celle de mes copains, dans
un environnement qui est le mien, tout cela était rassurant.
Le fait d’avoir travaillé au tout début de ma vie professionnelle dans l’usine
que l’on voit dans le film (c’est l’usine d’un copain, j’y ai installé des machines,
j’ai un diplôme d’ingénieur à la base) ça m’a permis de me sentir à ma place
sur le plateau. Et finalement, je crois que le fait d’être assez loin du milieu
du cinéma et d’avoir été un cinéphile sur le tard est aussi une chance. Ça
libère de toutes références et tout est possible, non ?

Le casting est impressionnant pour une première fiction, l’aviez-vous en tête dès l’écriture ?
Pas vraiment. Sauf pour Laetitia Dosch qui est arrivée très tôt sur le projet
car je la connaissais personnellement. Pierre Deladonchamps nous a
rejoints plus tardivement et on a vite été en phase sur le projet global et
le personnage, même s’il y a amené sa patte. Il a donné plus de rondeur
au personnage tel qu’il était écrit, et au final on a plus d’empathie pour le Cédric qu’il interprète. C’est plus fort ainsi et c’est tant mieux ! Ça fait
partie des belles surprises au tournage et aussi des belles découvertes au
montage, parce que des fois sur le tournage on ne se rend pas compte de
tout : comme on fait plusieurs prises, les comédiens font des propositions
différentes, on les dirige aussi parfois sur plusieurs pistes de jeu pour
avoir du choix.
Travailler avec Constance Demontoy à la direction de casting a été une
grande chance, nous étions très connectés tous les trois, Marion Richoux
(la co-scénariste et directrice artistique), elle et moi. Tous les comédiens ont
eu envie de faire le film immédiatement après avoir lu le scénario, grâce à
sa charge politique, son ton Pieds Nickelés, son aspect choral. Ils avaient
envie de faire partie de cette bande-là et c’était très encourageant de voir cet enthousiasme dès le départ pour le projet de la part de tout le monde,
techniciens, comédiens, producteurs, distributeurs… C’est tellement
mieux de faire les choses dans la joie et la bienveillance, ça porte !

La montagne aussi est au casting, très présente aussi dans le montage…
C’est la culture du coin ! Je fais de l’escalade moi-même et le personnage
de Cédric est inspiré d’un ouvrier décolleteur que je connaissais et qui
partait escalader sans cordes après les journées de boulot. C’est le lieu
où peuvent encore se croiser des ouvriers et des patrons, sans apparat,
sans barrière sociale, la montagne a le pouvoir de redistribuer les cartes.

Était-ce important pour vous de prendre le cas très local du décolletage pour parler de la mondialisation ?
Oui, et c’est je crois ma marque de fabrique. J’ai toujours voulu raconter
le monde à travers des particularismes locaux. Et je crois que je ne serais
pas capable d’écrire un scénario de fiction sans connaître le lieu, les
gens ou la problématique concernés. Il me faut du réel et un attachement
personnel pour raconter des histoires. C’est le cas ici, comme je le disais,
mes parents ont travaillé dans ces usines de décolletage, j’y ai travaillé
en sortant de mon école d’ingénieur. C’est un milieu bien plus familier
pour moi que celui du cinéma ! Au lycée, on était tous prédestinés à être
responsables d’atelier dans ces usines-là, mes copains étaient fils de
patrons ou fils d’ouvriers, cette histoire d’amitié dans le film, c’est un
peu la mienne. Le personnage de Denis existe vraiment par exemple, on
a tourné dans son atelier.

Restez-vous malgré tout optimiste sur l’avenir de cette filière dans votre région ?
C’est justement un des buts du film : montrer qu’il existe en France une
industrie performante. Pourtant, ça fait 30 ans qu’on nous fait croire que
l’industrie est finie, qu’il n’y a plus d’ouvriers, que les Français sont nuls,
tout en modifiant les règles pour que l’industrie puisse partir. Il y a eu
une irresponsabilité dramatique de la part des responsables politiques.
Comment a-t-on pu laisser croire aux gens qu’un pays allait pouvoir vivre
sans produire ? C’est ahurissant. On en paie le prix cher aujourd’hui.

Un film qui nous entraîne dans un grand écart : un pied à l’usine et l’autre dans les hautes sphères de la finance. La montagne est aussi au casting de ce film tourné dans la Savoie natale de Gilles Perret. Selon lui : « c’est le lieu où peuvent encore se croiser des ouvriers et des patrons, sans apparat, sans barrière sociale. La montagne a le pouvoir de redistribuer les cartes ». 
Et il en est évidemment question, dans ce film, de redistribution ! Car Gilles Perret est ce que l’on peut appeler un cinéaste citoyen. Après« Debout les femmes ! » et « J’veux du soleil ! » (deux films co-réalisés avec François Ruffin), il ouvre à nouveau le débat et porte un regard lucide sur l’ultra-puissance de la finance, tout en nous offrant une histoire et des personnages malins, des personnages qui « en veulent » et relèvent la tête, pour nous dire, finalement assez simplement, que rien n’est impossible !
Avant-première exceptionnelle en présence du réalisateur Gilles Perret: « Reprise en main »

 

Vendredi 7 octobre à 20h30 au Cinéma Six n’étoiles – 48 Rue de la République, 83140 Six-Fours-les-Plages
Réservations conseillées via le lien suivant : https://www.ticketingcine.fr/?nc=1038&lang=fr&ids=44395&ps=erakys

 

 

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