Santé et Pharmacie : il ne faut pas se tromper

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Depuis plusieurs mois j’alerte sur la stratégie que je trouve incertaine de Sanofi. Ayant présidé aux destinées de Rhône-Poulenc, puis de Sanofi, ayant épaulé Pierre Fabre entre temps, je pourrais être considéré comme susceptible d’avoir un point de vue pertinent, et je recueille de la part de mes anciens administrés quelques acquiescements qui me font chaud au cœur.

De quoi s’agit-il ? d’un secteur compliqué où la stratégie industrielle et les problèmes de santé ont disparu année après année derrière une politique financière suicidaire. Les fusions-acquisitions, les ventes par appartements et les spéculations sur les start-ups ont disloqué profondément le secteur qui a vu disparaitre des noms prestigieux, a vu apparaitre des conglomérats mondiaux présents dans tous les pays sans réelle logique scientifique, technique ou industrielle. Le marché solvable le plus mur est celui des USA, tandis que les législations mondiales ont une tendance à l’unification, c’est-à-dire que pour un produit nouveau, les dépenses d’essais préalables augmentent de façon exponentielle tandis que les sanctions en cas d’accident d’un malade mettent en péril non seulement le produit incriminé mais l’entreprise elle-même avec la puissance des hommes de loi américains. Dans ce secteur les dix premiers mondiaux ont chacun plus de 100 milliards de capitalisation boursière et s’engagent dans des acquisitions de plus de 20 milliards comme certains vont le dimanche matin au marché acheter un kilo de carottes. Il y a de quoi avoir le vertige, et on comprend que les hommes en charge encaissent des stress importants et qu’ils attendent les décisions de la justice américaine sur tel ou tel produit existant ou à lancer avec angoisse. Prendre du recul n’est pas facile d’autant que les commentateurs économiques et financiers ne leur font pas de cadeaux, chacun pointant du doigt la chute de l’action devant telle ou telle nouvelle. Je me préoccupe du cours de l’action, mais je pense qu’il est aussi nécessaire d’avoir une vision et d’expliquer à la sphère financière qu’il peut y avoir des accrocs, mais que les objectifs ne sont pas en cause.

Pour réussir la dernière grande acquisition de Sanofi, celle d’Aventis (ex-Rhône-Poulenc), la société a dû se délester d’une partie de son empire. Je le regrette, mais il en est ainsi dans notre monde dirigé par des financiers obsédés par le « recentrage » et le « cœur de métier ». Il y avait encore, heureusement, quelques pépites, en particuliers les vaccins et la santé animale. Le patron nommé en 2008 a continué, après avoir restructuré le groupe, à chercher toutes les opportunités de croissance tandis que l’avenir de ses produits vedettes s’effritait. C’est ainsi, entre autres, que Genzyme, spécialisée dans les maladies rares, a été acquise pour 20 milliards de dollars et que cette société représente aujourd’hui 13% des ventes du groupe. Etait-ce trop cher ? Etait-ce suffisant ? en tous les cas ceci montrait la faiblesse du portefeuille existant et la nécessité de promouvoir de nouvelles compétences en biotechnologie à l’intérieur du groupe.

Depuis quelques mois le nouveau Président se bat pour réaliser une nouvelle grande acquisition pour doper son portefeuille produit, il se heurte à des résistances internes des sociétés qu’il convoite et à l’argent qui semble infini de ses concurrents, le dernier ayant été Pfizer, le numéro 1 avec Johnson and Johnson, Roche et Novartis dans la pharmacie. Le fait que Pfizer se soit séparé de son département santé animale en 2013 a sans doute inspiré la politique de Sanofi, mais je continue à penser que Mérial, « notre » pépite santé animale, était de qualité mondiale et devait être conservée.

Il est très délicat d’être parmi les premiers de la classe et de voir soudain qu’il est difficile de suivre, cela mérite réflexion et puisque les « financiers » ont l’air de s’interroger, pourquoi ce ne serait pas aux « industriels » de proposer des solutions.

Johnson and Johnson, leader du secteur avec plus de 300 milliards de capitalisation boursière, est parti dans une autre philosophie, celle de la Santé, du bien-être, avec la pharmacie, l’hygiène, les cosmétiques et les services, Roche a investi dans les diagnostics, une autre manière de décliner la Santé, d’autres vont dans la prévention par l’alimentation ou dans les prothèses. Chacun décline sa vision de la Santé dans les années qui viennent sans négliger, bien sûr, les produits phares mondiaux qui manquent sans doute cruellement à Sanofi. Mais, à cet égard, je crois dans le murissement lent des coopérations, dans le travail en commun avec les sociétés moyennes, qui peut se conclure un jour par une première prise de participation suivie quelques années après par une fusion. Il y a des hommes et des femmes derrière la froide ambition de posséder une entreprise, il faut se faire aimer, convaincre et disposer d’une force de conviction qui n’est pas seulement financière. Je pense que l’on fait fausse route en écoutant les financiers qui veulent nous montrer les « opportunités » avec leur seule logique, une fusion se réussit vraiment quand elle est souhaitée des deux côtés, sans cela elle coute beaucoup plus cher que le chiffre qui court dans les gazettes.

Revenons donc, excusez-moi, à la naissance de ce grand groupe, Sanofi, avec ses dirigeants exemplaires René Sautier et Jean-François Dehecq, il s’agissait de se préoccuper de la Santé des hommes et des femmes et de saisir toutes les occasions de grandir pour faire un empire diversifié. Personne ne peut me dire que la santé animale est éloignée de la santé humaine. Personne ne peut me dire qu’aujourd’hui l’avenir de Sanofi passe par une acquisition majeure « à l’aveugle » et brutale d’un concurrent génial qui apportera la solution miracle. Cette façon de raisonner va peut-être chez certains financiers, mais elle n’a pas de sens industriel et elle est contraire aux intérêts de notre pays, la France, qui a su bâtir un outil exceptionnel au service de la santé.

Loïk Le Floch-Prigent

 

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