Rapport d’observations définitives sur le Centre Hospitalier

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crédit photo : Brunet Saunier Architecture http://www.brunet-saunier.com

Le centre hospitalier intercommunal de Toulon/La-Seyne-sur-Mer (CHITS) est un établissement public de santé issu de la fusion, en 1988, des centres hospitaliers de ces deux villes. Fin 2013, son compte de résultat consolidé (un budget principal et quatre budgets annexes) de plus de 306 M€ de recettes de fonctionnement, sa capacité de 1 282 lits et places et son effectif de 3 659,5 équivalents temps plein en font le premier établissement du Var et le premier centre hospitalier non universitaire de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Depuis l’entrée en fonctionnement du nouveau site en 2012, l’activité progresse à un rythme soutenu (+ 6,7 % en hospitalisation et + 21 % en consultations externes entre 2012 et 2013). L’établissement est toutefois en retrait sur plusieurs sujets qui le pénalisent tant en matière de prestations servies aux usagers qu’en matière de recettes. Le nombre de places de chirurgie ambulatoire reste insuffisant au regard de la taille du centre hospitalier et des objectifs arrêtés dans le schéma régional d’organisation des soins. Ses parts de marché en médecine, obstétrique et chirurgie ambulatoire sont inférieures à celles d’autres établissements dont le positionnement est comparable et les durées de séjour en médecine et chirurgie restent trop élevées.

Au regard de son positionnement d’hôpital de référence, la complémentarité qu’il met en œuvre avec d’autres établissements de santé est limitée : l’articulation avec l’hôpital d’instruction des armées de Toulon demeure faible et la communauté hospitalière de territoire dont il est membre est sans réelle consistance faute, à ce jour, d’un projet médical commun.

Constatant en 2011 un défaut de formalisation de ses procédures comptables et tirant l’enseignement d’un pilotage défaillant de certains secteurs d’une importance stratégique avérée, le centre hospitalier a engagé la démarche de certification de ses comptes à partir de l’exercice 2015. Il a fait le choix d’un accompagnement extérieur en s’attachant les services d’un groupement de conseils en novembre 2011. Les corrections d’écritures comptables ont été initiées en 2012 et se sont poursuivies en 2013. La démarche de fiabilisation des comptes demeure cependant largement en cours avec une analyse des risques comptables insuffisante, plusieurs insincérités comptables concernant les tarifs journaliers de prestations, certaines provisions, la reprise de la provision constituée au titre du financement des surcoûts financiers du nouveau site, des durées d’amortissement excédant les préconisations de l’instruction budgétaire et comptable M21, les facturations du budget principal aux budgets annexes.

Si la construction du nouvel hôpital et les transferts de services d’un site à l’autre ont présenté une évidente complexité et requis une forte mobilisation des ressources, il est toutefois difficile de concevoir que l’établissement ait pu si tardivement s’engager dans la nécessaire structuration de son service informatique et du bureau des entrées. Force est de constater un déficit de longue durée en matière d’encadrement de ces services et un défaut évident d’anticipation sur certains projets de premier plan dont la mise en place du nouveau circuit administratif du patient à Sainte-Musse et l’efficience de la chaine de facturation.

L’accroissement d’activité a généré une hausse des recettes (+ 8,9 % soit + 10,8 M€ en 2013) indispensable à l’établissement pour couvrir la hausse des charges d’ores et déjà effective et à venir. Plusieurs points invitent toutefois à la prudence. Une partie (cessions d’actifs, aides en crédits non reconductibles) présente un caractère exceptionnel (5,3 M€ en 2013) et doit donc être retirée des prévisions de fonctionnement. La progression de l’activité connaîtra nécessairement un effet plateau, une fois le nouvel hôpital en fonctionnement de routine. Enfin, l’évolution des tarifs s’inscrit dans la politique nationale de retour à l’équilibre des comptes de l’Assurance Maladie.

Parallèlement, si la mise en fonctionnement du nouveau site a représenté un coût qui n’a pas vocation à perdurer, les charges de personnels liées au déploiement de nouvelles activités, à l’accroissement de capacités existantes (+ 96 lits), celles résultant des nouvelles modalités de fonctionnement du bâtiment présentent un caractère pérenne que l’établissement devra couvrir par des produits. Elles ont été évaluées à 24 M€ (20 M€ pour les charges de personnel et 4 M€ sur les services techniques, logistiques et biomédical). Les charges financières devront également faire l’objet d’une vigilance particulière compte tenu du niveau d’endettement atteint.

Les résultats déficitaires ont notablement réduit la capacité d’autofinancement de l’établissement, posant la question des possibilités d’investissement du CHITS pour les années à venir. L’enjeu pour l’établissement est de calibrer le niveau de ses charges de façon à restaurer puis maintenir durablement une situation d’équilibre budgétaire réel.

Le financement du nouveau site a bénéficié d’aides octroyées dans le cadre du plan hôpital 2007 et du plan d’investissement en santé mentale (265,2 M€). L’apport des cessions d’actifs s’est avéré plus modeste que prévu compte tenu de l’écart entre l’estimation de France Domaine et les prix de cession, nets de la nécessaire intégration des amortissements restant à constater. Lors de la cession de la partie du site de Font Pré à Bouygues, le centre hospitalier a fait le choix d’un appel à projets sans que la mise en concurrence ne puisse pleinement produire ses effets (critères inclus dans le cahier des charges, analyse des offres). Le coût de construction du bâtiment a connu une réelle dérive depuis le concours de maîtrise d’œuvre (125,58 M€) jusqu’au décompte général des dépenses qui était toujours en cours fin août 2014 (307,98 M€), soit + 182,4 M€, en raison des modifications actées en cours d’opération. Lors de la négociation du protocole transactionnel signé avec le groupement d’entreprises, l’établissement n’a pas su servir au mieux ses intérêts.

Des investissements d’un montant très élevé, des fonds propres insuffisants et un besoin en fonds de roulement non maîtrisé, ont conduit l’hôpital au surendettement. L’encours de la dette est ainsi passé de 52,6 M€ début 2008 à 286,6 M€ fin 2013 mettant gravement en cause l’indépendance financière et la capacité de remboursement de l’établissement. Dès 2020, en effet, ses ressources propres provenant des amortissements techniques ne couvriront plus le remboursement de la dette.

En outre, alors qu’elle en connaissait les risques, la direction de l’hôpital a, à compter de 2007, engagé l’établissement sur des positions spéculatives à haut risque sur des durées longues (jusqu’en 2043), afin de réaliser des gains financiers à très court terme. Ces constats caractérisent une stratégie de fuite en avant.

Alors que depuis 2009, les risques liés aux emprunts structurés ne peuvent plus être ignorés en raison de la publication de nombreux avertissements sur le sujet, l’hôpital n’a effectué des renégociations pour sécuriser sa dette que fin 2011, continuant ainsi sa gestion à court terme visant à profiter des taux « bonifiés ». De surcroît, il ne s’est fait assister par un conseil spécifique qu’à partir de 2012, alors que la plupart de ses emprunts structurés avaient été sécurisés. L’hôpital a donc géré les différentes renégociations au coup par coup, dans la précipitation et sans stratégie d’ensemble. Or, le coût de celles-ci, particulièrement élevé, a été en grande partie occulté. Les instances de gouvernance n’ont été ainsi informées du paiement d’indemnités de sorties qu’à hauteur de 5 M€ environ alors qu’elles ont été en réalité supérieures à 12 M€.

Les conditions financières des renégociations manquent donc de transparence et l’intérêt pour l’hôpital de les avoir conclues est loin d’être démontré notamment dans le cas de la renégociation d’une partie d’un emprunt indexé sur la parité YEN/USD. Cette opération a en effet généré le paiement d’une indemnité de 10,5 M€ alors que le dollar n’a cessé par la suite de s’apprécier par rapport au yen. Le taux aujourd’hui applicable serait donc le taux bas de 2,75 % si l’emprunt n’avait pas été renégocié. L’indemnité a donc été payée en pure perte suite à une décision précipitée qu’aucune urgence n’imposait.

Malgré ce prix élevé payé pour sécuriser une partie de la dette, un risque important d’augmentation des frais financiers persiste. Le surcoût du prêt à barrière EUR/CHF toujours en vigueur a été estimé en 2013 à environ 2,8 M€ en moyenne chaque année sur la période 2015-2019 et il est sans doute sous-évalué car il a été établi avant la baisse de l’euro de près de 20 % enregistrée début 2015. L’hôpital a dû constituer en 2012 une provision de 33 M€ pour couvrir ce risque, venant aggraver d’autant son report à nouveau déficitaire.

La charge de la dette pèse donc lourdement sur la situation financière de l’établissement et compromet son devenir en obérant ses capacités d’investissement pour le futur.

Le CHITS, qui a bénéficié d’un accompagnement significatif de son projet d’investissement, se trouve néanmoins dans une situation délicate pour assurer le fonctionnement courant de son activité et financer les surcoûts d’investissement d’un projet dont le montant a connu une forte dérive. Le nécessaire redressement financier de l’établissement doit s’accompagner d’une gouvernance active, d’un pilotage efficient et de la mise en œuvre et du suivi de procédures structurantes, notamment dans le domaine comptable et financier.

structures_photo_logo_2284Recommandations de la Chambre Régionale des comptes

La chambre formule onze recommandations :

Recommandation n° 1 : Revoir l’organisation de l’établissement pour se donner les moyens d’atteindre l’objectif d’activité en chirurgie ambulatoire.

Recommandation n° 2 : Rendre effectifs les travaux de la commission des admissions et consultations non programmées, conformément à la circulaire du 16 avril 2003, de façon à améliorer la fluidité des parcours patients et réduire les durées de séjour en médecine et chirurgie.

Recommandation n° 3 : Intégrer systématiquement les éléments de contrôle interne dans les procédures.
Définir les modalités de vérification de l’effectivité du contrôle interne.

Recommandation n° 4 : Élaborer un rapport d’activité reflétant la situation réelle et explicite de l’établissement et comprenant des informations permettant d’éclairer les décisions des différents acteurs.

Présenter le rapport d’activité concomitamment au compte financier.

Recommandation n° 5 : Formaliser les modalités de facturation du budget principal aux budgets annexes dans le respect de la sincérité des comptes.

Recommandation n° 6 : Reprendre les provisions devenues sans objet ou irrégulièrement constituées.

Définir et formaliser les modalités de constitution de la provision pour dépréciation de comptes de redevables.

Recommandation n° 7 : Reprendre annuellement la provision constituée au compte 142 à hauteur du taux de prise en charge des surcoûts à compter de 2016.

Recommandation n° 8 : Définir des objectifs cohérents avec la mise en place de FIDES en matière de rythme et de qualité de facturation et mettre en place les indicateurs de suivi correspondants.

Recommandation n° 9 : Développer et sécuriser l’encaissement en régies sur les différents sites de l’établissement en relation avec le comptable.

Recommandation n° 10 : Poursuivre la révision à la baisse des tarifs journaliers de prestations en appliquant les modalités de calcul prévues par la réglementation.

Recommandation n° 11 : Comptabiliser en charges toutes les soultes et indemnités de renégociation quel que soit le mode de règlement retenu.

source : Chambre Régionale des Comptes

 

1 COMMENT

  1. L’hôpital Sainte-Musse en surendettement

    Le rapport accablant de la Chambre régionale des comptes : quelles suites ?

    Un mois après avoir établi son rapport d’observations définitives très critique concernant la gestion du SITTOMAT, la Chambre régionale des comptes (CRC) s’est penchée sur la gestion du Centre hospitalier de Sainte Musse. Pas triste !

    Au seul chapitre de l’endettement, le SITTOMAT, financé par les communes, n’avait pas de problèmes financiers majeurs, donc une capacité d’autofinancement très grande. Ce qui ne l’avait pas empêché de contracter un emprunt toxique en 2007 qu’il a renégocié en 2009 moyennant une pénalité de 1 135 188 euros. En 2008 le taux d’intérêt était passé de 3,75 à 11%.

    De cela on n’en avait jamais entendu parler. Pas davantage du constat dressé par la CRC à propos du Centre hospitalier, fruit de la fusion des hôpitaux publics de Toulon (Font-pré, Chalucet, Clémenceau), La Seyne, Réal Martin de Pierrefeu.

    Les conditions de vente du site de Font-Pré « …ont connu une réelle dérive depuis le concours de maîtrise d’œuvre (125,58 M€) jusqu’au décompte général des dépenses qui était toujours en cours fin août 2014 (307,98 M€), soit + 182,4 M€, en raison des modifications actées en cours d’opération. Lors de la négociation du protocole transactionnel signé avec le groupement d’entreprises, l’établissement n’a pas su servir au mieux ses intérêts.  » note la CRC.

    Quand nous disions que Bouygues faisait une très bonne affaire sur le dos des contribuables toulonnais…Il n’est pas le seul : les banques aussi !

    Et dire que la fusion des hôpitaux devait se traduire par des économies d’échelle ? En réalité, l’endettement a pris des proportions faramineuses. Il a été multiplié par cinq en six ans. De 2008 à 2013 il est passé de 52,6 millions à 286,6 millions d’euros fin 2013 !

    Ce que le privé gagne il faut bien que le public le paye : jusqu’à quand ? Le rapport de synthèse considère que « dès 2020, en effet, ses ressources propres provenant des amortissements techniques ne couvriront plus le remboursement de la dette.

    En outre, alors qu’elle en connaissait les risques, la direction de l’hôpital a, à compter de 2007, engagé l’établissement sur des positions spéculatives à haut risque sur des durées longues (jusqu’en 2043), afin de réaliser des gains financiers à très court terme. Ces constats caractérisent une stratégie de fuite en avant.

    Alors que depuis 2009, les risques liés aux emprunts structurés ne peuvent plus être ignorés en raison de la publication de nombreux avertissements sur le sujet, l’hôpital n’a effectué des renégociations pour sécuriser sa dette que fin 2011, continuant ainsi sa gestion à court terme visant à profiter des taux « bonifiés ». De surcroît, il ne s’est fait assister par un conseil spécifique qu’à partir de 2012, alors que la plupart de ses emprunts structurés avaient été sécurisés. L’hôpital a donc géré les différentes renégociations au coup par coup, dans la précipitation et sans stratégie d’ensemble. Or, le coût de celles-ci, particulièrement élevé, a été en grande partie occulté. Les instances de gouvernance n’ont été ainsi informées du paiement d’indemnités de sorties qu’à hauteur de 5 M€ environ alors qu’elles ont été en réalité supérieures à 12 M€.

    Une renégociation qui coûte 10,5 millions d’euros !

    Les conditions financières des renégociations manquent donc de transparence et l’intérêt pour l’hôpital de les avoir conclues est loin d’être démontré notamment dans le cas de la renégociation d’une partie d’un emprunt indexé sur la parité YEN/USD. Cette opération a en effet généré le paiement d’une indemnité de 10,5 M€ alors que le dollar n’a cessé par la suite de s’apprécier par rapport au yen. Le taux aujourd’hui applicable serait donc le taux bas de 2,75 % si l’emprunt n’avait pas été renégocié. L’indemnité a donc été payée en pure perte suite à une décision précipitée qu’aucune urgence n’imposait.

    Malgré ce prix élevé payé pour sécuriser une partie de la dette, un risque important d’augmentation des frais financiers persiste. Le surcoût du prêt à barrière EUR/CHF toujours en vigueur a été estimé en 2013 à environ 2,8 M€ en moyenne chaque année sur la période 2015-2019 et il est sans doute sous-évalué car il a été établi avant la baisse de l’euro de près de 20 % enregistrée début 2015. L’hôpital a dû constituer en 2012 une provision de 33 M€ pour couvrir ce risque, venant aggraver d’autant son report à nouveau déficitaire. La charge de la dette pèse donc lourdement sur la situation financière de l’établissement et compromet son devenir en obérant ses capacités d’investissement pour le futur. »

    Chacun peut consulter l’intégralité du rapport définitif sur internet et se faire une idée de toutes les anomalies -le mot est faible- relevées par la CRC qui ne prononce pas un réquisitoire, seulement des observations et qui a pris en compte les réponses apportées par le directeur Michel Perrot aux observations provisoires qu’il a reçues il y a plus d’un an.

    Des observations forcément connues depuis longtemps par le président du conseil de surveillance, Hubert Falco dont on sait l’influence qu’il exerce. Nous l’avions interrogé au sujet des prêts toxiques souscrits par les collectivités locales et leurs établissements publics.
    Toulon n’était pas concerné et le Centre hospitalier nous renvoyait vers l’Agence régionale de santé relevant directement du ministère, tout comme le directeur.

    Comme il n’y a plus de minorité de gauche (la gauche critique et citoyenne) ni au conseil municipal, ni au conseil départemental, on met plus facilement la poussière sous le tapis.

    Reste la détermination de celles et ceux qui montrent le lien entre ces pratiques insupportables qui renforcent l’austérité et leurs conséquences humaines qui tiennent les électeurs en otages de leur politique. Ne laissons pas saborder l’hôpital public.

    René Fredon
    PS : les réponses du directeur (VM du 24/10/15) en forme de dénégation des critiques et d’accusations de la CRC (« mensonge », « n’importe quoi », « cécité », « on a réussi à regrouper », « l’emprunt imposé par l’Etat », « on n’a jamais pu négocier avec Dexia », « on n’a pas eu le choix »…) ne font que confirmer un réel embarras et une toute relative bonne foi. Ni responsable, ni coupable…en somme. Rien sur le fond des dérives.

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