Pourquoi la situation d’Eric Dupond-Moretti n’est pas tenable

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Pourquoi la situation d’Éric Dupond-Moretti n’est pas tenable, et pourquoi le Président de la République doit s’en expliquer

Trois semaines après l’annonce du renvoi du garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti devant la Cour de Justice de la République (CJR) pour « prise illégale d’intérêts », son maintien en fonction continue de soulever des questions qui ne sauraient rester plus longtemps sans réponse. L’interview du Président de la République par la journaliste Caroline Roux, programmée mercredi soir doit être l’occasion pour le chef de l’État de s’expliquer face aux Français, non seulement sur la situation de conflits d’intérêts passée de son ministre de la Justice, mais aussi et surtout sur celle à venir : dans les prochains mois, Eric Dupond-Moretti doit nommer le prochain procureur général près la Cour de cassation. Ce magistrat-même qui portera l’accusation contre lui devant la CJR.

Un conflit d’intérêt objectif

Du 6 juillet 2020, date de sa nomination, au 23 octobre 2020, date son déport, le garde des Sceaux, a créé les conditions pour que l’impartialité des décisions du ministre soit questionnée au regard d’évènements antérieurs à sa nomination (enquête du PNF sur les fuites dans l’affaire « Paul Bismuth », polémique avec un magistrat anticorruption…).

Le 23 octobre 2020, le gouvernement a reconnu et réagi tardivement au conflit d’intérêt dans lequel se trouvait le garde des Sceaux en chargeant le Premier ministre de traiter l’ensemble des questions impliquant personnellement Eric Dupont-Moretti.

Cet automne, le Conseil supérieur de la magistrature a eu l’occasion de le rappeler que : « le garde des Sceaux, ministre de la Justice s’était trouvé dans une situation objective de conflit d’intérêts » en ordonnant une enquête administrative à l’encontre de quatre magistrats contre lesquels l’avocat Eric Dupond-Moretti avait des griefs (prise à partie publique, dépôt de plainte…)

Une suspicion de prise illégale d’intérêt
S’être maintenu trois mois en situation de conflit d’intérêts et avoir lancé des procédures disciplinaires contre ces quatre magistrats a créé les conditions pour être poursuivi pour prise illégale d’intérêt.

Dès la fin de l’année 2020, plusieurs plaintes ont été jugées recevables par la Cour de justice de la République. Une information judiciaire ouverte le 13 janvier 2021 a conduit à la mise en examen du ministre le 16 juillet 2021, puis à son renvoi devant la Cour de Justice de la République le 3 octobre 2022.

Le garde des Sceaux n’est donc pas poursuivi par la vindicte de syndicats acharnés, mais dans le cadre d’une instruction conduite par la juridiction spécialement chargée de juger les ministres.

Le garde des sceaux ne peut pas être un justiciable comme les autres
La procédure devant la Cour de justice de la République vise des décisions récentes prises par le garde des sceaux dans le cadre de ses fonctions.

Le garde des sceaux, supérieur hiérarchique des magistrats du parquet, interlocuteur quotidien des institutions judiciaires, ne peut pas être un justiciable comme les autres.

Depuis 2013, toutes les institutions de la République ont pris avec sérieux la lutte contre les conflits d’intérêts. Par le ton de ses interventions publiques, la position du garde des Sceaux est anachronique et entretient la suspicion.

Un conflit d’intérêts qui va devenir inextricable et entretenir le soupçon
Le conflit d’intérêts initial va devenir inextricable avec la prochaine nomination du remplaçant de François Molins au poste de procureur général près la Cour de cassation. C’est ce magistrat qui exerce le ministère public devant la Cour de Justice de la République qui devrait juger le ministre.

Or, sa nomination se fait sur propositions de la direction générale des services judiciaires, une direction placée sur l’autorité directe du garde des Sceaux.

Il serait dangereux pour la crédibilité des institutions judiciaires que l’actuel garde des Sceaux participe de loin ou de près au choix de ce magistrat qui devrait être son accusateur devant la Cour de Justice de la République.

Il faut protéger la nomination du procureur général près la Cour de cassation du poison du soupçon. Un simple décret de déport n’y suffira pas.

Benjamin GUY
Transparency International France

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