Pierre Martinet : « Il faut criminaliser le salafisme »

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Ancien agent du service « Action » de la DGSE, ce Pignantais d’origine, prône une plus grande fermeté à l’encontre de celles et ceux qui souhaitent semer la terreur en France à l’image des terroristes qui ont frappé le 13 novembre dernier.

Durant de nombreuses années, Pierre Martinet a dirigé plusieurs actions sur des terrains africains ou du Moyen-Orient afin de protéger les intérêts français. Après avoir quitté la Direction Générale des Services Extérieurs, il a écrit quatre romans (*), dont le premier en 2005 « Service action : un agent sort de l’ombre » a suscité la polémique notamment au sein de la chaîne Canal+ puisque l’auteur expliquait avoir été employé pour espionner le rédacteur en chef des « Guignols de l’info ». Depuis, il est consultant pour de nombreuses chaînes de télévision en matière de terrorisme. Il a bien voulu répondre aux questions de TV83.

Au lendemain des attentats du 13 novembre à Saint-Denis et Paris, vous ne sembliez pas surpris de cette nouvelle attaque de l’Etat Islamique ?

Non, en effet ! Après les tueries de Charlie Hebdo et du magasin Hyper Cacher de la Porte de Vincennes, j’avais insisté sur le fait que ces djihadistes pouvaient rééditer à tout moment et je n’étais pas le seul. Toutefois, je pensais que leur cible serait une station de métro aux heures d’affluence.

Le stade de France constituait aussi une cible importante. Si les kamikazes étaient parvenus à entrer dans l’enceinte du stade, le carnage aurait pu être aussi grave.

Je ne pense pas que leur objectif était d’entrer dans le stade de France. Je pense qu’ils souhaitaient activer leur ceinture explosive dans la foule qui attendait pour pénétrer dans l’enceinte.

Comment expliquer alors qu’ils n’y soient pas parvenus ?

Parce que dans toute action de ce type il y a une dose d’imprévu. J’étais personnellement aux environs de Saint-Denis vendredi soir et je peux vous assurer que le périphérique était complètement saturé par la manifestation des médecins et infirmiers en colère. Il est possible que les assassins aient été bloqués dans la circulation et n’aient pas pu arriver avant le coup d’envoi.

L’idéologie salafiste est le carburant des terroristes

Lors de chacune de vos interventions vous insistez sur le manque de prévention dans les lieux sensibles comme les cités.

Même au-delà des cités. Pour ces hommes et ces femmes qui se réclament du djihad, le carburant c’est l’idéologie salafiste. Une pensée que nous avons laissé se développer dans les mosquées qui se réclament du salafisme et où certains imams ont des prêches très vindicatifs qui marquent les esprits les plus faibles et qui les poussent à entrer dans cette spirale infernale. Cela fait des années que les hommes de terrain que nous sommes tirent la sonnette d’alarme. Malheureusement, il n’y a pas eu de volonté politique de froisser ces populations et cela depuis plus de vingt ans.

Oui, mais pas tous les jeunes gens qui fréquentent les mosquées, même salafistes, ne versent pas obligatoirement dans le terrorisme ?

Non, bien évidemment. Tous les salafistes ne sont pas des djihadistes. En revanche tous les djihadistes sont des salafistes. Donc, celui qui pense pouvoir imposer sa vision par la violence, qui refuse la démocratie et revendique sa foi envers la loi coranique, la charia, devient très vite un soldat de dieu et met tout en œuvre pour frapper l’occident, l’Europe et la France en particulier.

Comment lutter contre ce mal ?

Aujourd’hui, il faut bien prendre en compte que toutes les revendications religieuses réclamées dans les entreprises, dans les services de l’Etat, sont des armes du quotidien qui leur permet de divulguer leur idéologie et de monter les citoyens de religion musulmane contre les chrétiens, les laïques. Nous sommes en guerre, une guerre pas conventionnelle mais subversive. Et dans ce cas, il y a une partie psychologique très importante, les revendications en font partie d’où l’importance de ne pas céder sur certains points comme les menus spéciaux, les horaires des piscines, le port de la burka ou du niqab. Il y a ensuite la partie financière, économique. Nos gouvernants doivent se méfier des pays du golfe persique qui joue le double jeu, voire le triple jeu.

Justement, est-ce que la France doit cesser les relations économiques avec des pays tels que le Qatar ou l’Arabie Saoudite ?

Lorsque la France vend des armes à des pays sunnites et elle sait que le sunnisme est un courant particulier, et prend donc un risque. Cela peut se retourner contre notre pays. Nous avons reproché aux Etats-Unis d’avoir créer le monstre Ben Laden, nous avons créé aussi le monstre salafisme qui se promène dans nos rues avec des kalachnikovs et des gilets d’explosifs. Mais cela est de la géopolitique et il faut trouver des compromis. Ne pas rompre les liens économiques mais s’assurer que les dirigeants de ces pays n’armeront pas ceux qui se retourneront contre nous.

Etre ferme avec nos lois

Comment procéder pour arrêter ce monstre ?

Voilà une bonne question. Devant le congrès, François Hollande dit : « la démocratie a capacité à réagir ». J’aurais bien aimé que le Président dise « la démocratie a capacité à prévenir ». Cela correspond à être ferme avec nos lois qui prônent la laïcité, qui défendent la démocratie. Aujourd’hui nous sommes dans l’état d’urgence. Si nous avions fermé les mosquées salafistes, renvoyés les imams vindicatifs, nous n’aurions pas besoin aujourd’hui d’être dans cet état d’urgence.

Manuel Valls a annoncé qu’il allait expulser les imams radicaux. C’est déjà une avancée, selon vous ?

Oui mais encore faut-il les empêcher de diffuser leurs prêches. Et les moyens dont ils disposent sont nombreux. Par les nombreuses chaînes que l’on peut capter en France mais aussi par Internet ou par les revues dont ils disposent. Force est de constater aujourd’hui que nous pouvons contenir le mal mais celui-ci est profond. On a laissé grossir le monstre…

Et les ramifications sont importantes ? Quand on voit la ville de Molenbeek en Belgique cela ressemble à un véritable terreau.

Les ramifications sont énormes. Depuis les années 90 on sait que le nord de la France notamment dans la région de Roubaix, la Belgique, la Suède sont des terres fertiles pour les terroristes. Est-ce que la démocratie peut lutter contre ce mal ? Telle est la véritable question et le juge Trividic l’a posée à une époque. Au nom des libertés individuelles, au nom du vivre ensemble, on a laissé grimper l’islamisme et nous n’arrivons plus à tenir ces bras armés formés par l’Etat Islamique. Depuis le début de l’année nous en sommes à 149 morts

Vous semblez pessimiste. Il est trop tard pour redresser la barre ?

Non, mais il faut prendre les bonnes décisions. Il faut avoir le courage de criminaliser le salafisme, fermer les mosquées salafistes, empêcher le prédicateur de prêcher, interdire tout signe ostentatoire à la partie politique de la religion même s’ils sont minoritaires car aujourd’hui les minorités actives sont plus efficaces que les majorités silencieuses.

Avec de telles initiatives, est-ce que l’on ne fait pas le lit du Front national ?

Mais le lit du Front national se fait depuis longtemps. Les hommes politiques français sont pathétiques. Ils se tirent des balles dans le pied en permanence. Regardez les décisions prises depuis ce week-end. Ils vont dans le même sens que les leaders du FN.

Prolonger l’état d’urgence est inéluctable ?

Oui bien évidemment. Policiers et gendarmes ont multiplié les nombres de perquisitions et d’interpellations. Aujourd’hui, nous allons pouvoir réduire le champ d’actions des terroristes. Nous aurions pu procéder à ces opérations avant si nous n’avions pas priorisé le politiquement correct.

La coalition demandée par François Hollande avec la Russie était-elle inévitable ? Est-ce que l’on va pouvoir réduire à néant la puissance de Daesh ?

Pas uniquement avec les frappes aériennes. Il va falloir mettre les mains dans le cambouis et aller au contact. C’est à ce moment-là que la coalition sera importante.

Même si c’est une guerre qui est appelée à durer ?

Certains spécialistes, mieux placés que moi, disent que c’est une guerre qui durera entre 15 et 20 ans même en allant sur le terrain. L’Etat islamique partout. En Syrie et en Irak mais aussi en Lybie, en Tunisie et surtout ne pas oublier Boko Haram en Afrique noire, ni Al Qaïda avec toutes ses ramifications comme Aqmi. A l’époque, lorsque j’étais au service, nous avions identifié certains groupes de ce type, c’était les balbutiements d’Al Qaïda, nous aurions pu stopper tout çà.

Qu’est-ce qu’il a manqué à l’époque ? Des moyens ?

La volonté politique. Les moyens nous les avions. Les services français n’attendaient que le feu vert.

L’annonce faite par François Hollande de renforcer les forces de police ou de gendarmerie est une bonne chose ?

C’est vrai qu’à une certaine période, la réduction des effectifs à été trop importante. Aujourd’hui nous allons embaucher des personnels mais le temps de les recruter, de les former, de les affecter, il y en a pour deux ans.

Propos recueillis par Alain REVELLO

La bibliographie de Pierre Martinet
Service action, un agent sort de l’ombre (Ed. Privé) – De l’ombre à la lumière – Cellule delta (Ed. Flammarion) – Opération sabre d’allah (Ed. du Rocher)

1 COMMENT

  1. Sans être trop long, je ne partage pas le parti-pris idéologique de Pierre Martinet ultra sécuritaire et qui ne dit rien de l’origine de la situation qui met la France en première ligne dans le viseur de groupes fanatisés jusqu’au sacrifice individuel -et pas seulement par leur référence à un islam radical que l’immense majorité des musulmans rejette- mais par un sentiment de légitime défense face à l’occupation militaire étrangère, par des ambitions de revanche, de domination, d’intérêts financiers et politiques qui les rangent directement par leurs méthodes sanguinaires, leurs cibles indifférenciées, parmi les profiteurs cyniques et dangereux du chaos que les puissances occidentales ont crée.

    D’ailleurs Pierre Martinet, par delà ses actions passées à la DGSE et son professionnalisme, s’est reconverti dans les sociétés militaires privées (Secopex, Corpguard…) qui proposent leurs services divers et variés à des « rébellions » plus ou moins spontanées ou à des entreprises aux visées pas toujours très nettes, activités qui relèvent davantage de l’intervention directe, en tenue à peine camouflée, dans les affaires intérieures d’Etats à déstabiliser. Cela moyennant des rémunérations substantielles…

    Bien entendu il a beau jeu, dans le costume d’expert de cette région du monde plutôt explosive qu’il connaît bien, de faire la leçon aux gouvernements sur leur incurie, leur sous-estimation du danger. Suggérant qu’il suffirait de « criminaliser le salafisme » pour aller dans le bon sens ? Certes c’est au nom du salafisme que nombre de djihadistes, adeptes de la violence la plus extrême, agissent. Certains même issus de croyances religieuses (ou pas) diverses.

    Ne pas accepter la propagation des appels à de tels actes barbares, d’où qu’ils viennent, c’est l’évidence. Mais ne faudrait-il pas aussi veiller efficacement aux appels à la haine, au racisme, aux amalgames, aux exclusions sociales visant une certaine partie de la population française assimilée ou suspectée de solidarité avec les auteurs de tels crimes ?

    Enfin mais ce serait trop long, Pierre Martinet évite soigneusement d’aborder l’échec de dizaines d’années d’interventions étatsuniennes, anglaises, françaises notamment, dans cette partie du monde. A l’exception pour la France du refus, en 2003, de participer à l’invasion de l’Irak, sous Chirac.

    Tony Blair, associé à Bush, vient, il y a quelques jours sur CNN, de regretter que l’Angleterre ait été associée à cette occupation catastrophique qui a, reconnaît-il, favorisé l’essor de l’Etat islamique !

    Ne laissons pas diviser la Nation française. Nous devons protéger la République et ses valeurs originelles écornées sérieusement par des appétits égoïstes qui nous conduisent à une austérité mortifère.

    Et nous devons tout autant résister à une logique de guerre qui irait aux devants des objectifs de DAESH.
    Construisons une société du bien commun, de l’égalité des chances, de la fraternité, de la solidarité…meilleur rempart contre la violence et le chaos nés de la crise du système capitaliste et de ses contradictions.

    René Fredon

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