Pelléas et Mélisande de Debussy

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Le labyrinthe des sentiments
Voilà sans doute l’opéra le plus magique du grand répertoire. Admiré par quelques initiés, dédaigné par les tenants de la tradition bel cantiste, il ne laisse jamais indifférent. Même de nos jours son appréciation implique un effort d’accommodation de notre sensibilité tant son esthétique est originale. Pour cette nouvelle rencontre virtuelle l’association Opéravenir propose de dévoiler quelques secrets de cette œuvre si profondément française.

Un novateur méconnu
Claude-Achille Debussy (Saint Germain en Laye 1862 – Paris 1918) est un des grands compositeurs français de toute l’histoire de la musique. Debussy, souvent qualifié d’impressionniste, apporta dans toutes ses compositions une esthétique musicale nouvelle, ouvrant ainsi la voie à la musique de notre temps.

Issu d’un milieu modeste, précocement doué pour la musique, il entra à 11 ans au Conservatoire de Paris (1873-1884) Premier grand prix de Rome en 1884, il accompagna comme pianiste la baronne Von Meck, amie et protectrice de Tchaïkovski, puis s’installa à Paris où il resta jusqu’à la fin de sa vie, se consacrant à la composition de ses œuvres. Il fréquenta un moment les milieux littéraires et artistiques d’avant-garde, tous fervents de Wagner, puis découvrit la musique balinaise à l’exposition de 1889 et Boris Godounov de Moussorgski qu’il déchiffra avec passion.

Debussy mourut d’un cancer et sa disparition passa inaperçue en cette fin de guerre. En 1894 le Prélude à l’après midi d’un faune d’après Mallarmé suscita admiration et railleries, mais c’est en 1902 avec son seul opéra Pelléas et Mélisande qu’il s’imposa sur le plan international à l’issue de représentations tumultueuses.

Un drame symboliste
Voulant un « opéra sans lieu ni époque, sans scène et duo obligé », Debussy ouvrit des horizons musicaux et dramatiques inédits en composant Pelléas et Mélisande. Vocalement proche du « parlé », l’univers symboliste de Maeterlinck est servi par une musique fine et ciselée, aux ambiances crépusculaires.

Perdu dans une forêt, le prince Golaud a un jour découvert la mystérieuse Mélisande et l’a épousée. Il l’a ensuite menée dans le château de son père, Arkel, le vieux roi d’Allemonde, où la jeune femme va rencontrer le frère de Golaud, Pelléas.

Attiré l’un par l’autre, Pelléas et Mélisande bavardent au bord d’une fontaine ; en jouant cette dernière perd son anneau nuptial et en cache le motif à Golaud.

Une nouvelle rencontre entre les deux jeunes gens commence à attiser les soupçons de Golaud qui les observe et rompt brutalement leur conversation. Poursuivi par un sentiment de jalousie, il se met à les épier, persuadé de leurs sentiments amoureux. Témoin, lors d’un ultime rendez-vous, de leur déclaration d’amour, Golaud tue son frère d’un coup d’épée.  Mélisande ne lui survivra que peu de temps. Elle mourra après avoir mis au monde l’enfant de Golaud, qui rongé par le remord restera à jamais ignorant du secret de sa femme.

Les moments clefs :
Acte 1 Introduction « je ne pourrai plus sortir de cette forêt »
Acte II Scène Golaud/Mélisande « Ah ! Ah ! tout va bien »
Acte III Pelléas / Mélisande « Mes longs cheveux »
Acte V Mort de Mélisande « Ce n’est pas de cette blessure »

Le mystère de la vie et des rencontres
L’opéra est aussi énigmatique que la pièce de théâtre qui sert de livret à la musique.  C’est en 1893 que Claude Debussy découvre Maeterlinck. Une rencontre majeure car il retrouve dans la prose de l’écrivain belge un écho à ses interrogations sur la forme musicale qu’il ambitionne : un drame lyrique au cours duquel les personnages chanteraient « naturellement ». Neuf ans après est créé son opéra.

Un chant-parlé respectant la langue, une orchestration somptueuse, une histoire d’amour inspirée du mythe de Tristan et Yseult, une ambiance poétique : autant d’éléments qui font de Pelléas et Mélisande cette œuvre si envoûtante.

La beauté de la langue de Maurice Maeterlinck émane de son apparente simplicité. Les mots comme de fines parois poreuses suggèrent « l’ailleurs », laissent entrevoir des mondes oniriques insoupçonnés.

La musique de Debussy de son côté accentue le mystère de la vie et des rencontres, l’incommunicabilité entre les êtres comme dirait Pirandello.

Le sens de l’œuvre : du rejet à la reconnaissance.
Lors de sa création à l’opéra-comique le 30 avril 1902 sous la direction d’André Messager, l’œuvre étonna et fut globalement rejetée sauf à quelques rares exceptions. Parmi les critiques on retrouve Gaston Serpette le compositeur d’une opérette entendue la saison dernière a l’Opéra de Toulon, « Le Singe d’une nuit d’Eté ». Il déclare avec une admirable sureté que cette musique est la négation de tout art musical ! Nos amis mélomanes jugeront !

Les personnages de cette œuvre sont traversés de pulsions inconscientes correspondant à des archétypes chers à Carl Jung, disciple de Freud. Ils incarnent un comportement non pas seulement individuel mais archétypique lié à un inconscient collectif innervant la société où ils vivent. Ainsi Golaud représente le mythe du mâle séducteur et dominateur, Mélisande celui de la féminité fragile et victime, Arkel celui du noble ancêtre chef de clan, et le petit Ignold de l’innocence au-delà de tout pêché. Quant à Pelléas il symbolise la fougue aveugle de l’amour passion.

Le sens profond de l’œuvre est la mise en évidence de la perception poétique des choses de la vie. S’opposant au néoclassicisme, au romantisme ou à l’abstraction, l’esthétique de Debussy semble nous dire : la vérité est dans la perception poétique du réel. Ni raison, ni émotion mais intuition de la dimension symbolique de la moindre action humaine. Il avait déclaré à son cercle d’amis dont Toscanini qui créera l’œuvre à la Scala de Milan : « Il y a deux façons d’appréhender la vérité soit par la raison, ce qui produit un art répétitif, descriptif, boursoufflé et commun, soit par l’intuition symbolique du réel, le bruit du vent, le reflet de l’eau, l’odeur de l’herbe mouillée, une simple phrase murmurée… Je suis du côté du fugace et de l’évanescent. »

Et puis surtout il y a les troublants interludes ou postludes musicaux qui parsèment le drame, autant d’instants magiques ou le spectateur peut poursuivre son propre cheminement intérieur.

Pour découvrir ou approfondir ce chef d’œuvre nous proposons la belle version dirigée par Pierre Boulez.

Jean-François Principiano

Bonus 1 mes longs cheveux descendent

Bonus 2 Prélude à l’après midi d’un faune

 

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