Mort à Venise de Benjamin Britten

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La beauté comme  force vitale
Death in Venice (en français La Mort à Venise), op. 88, est un opéra en deux actes et dix-sept tableaux de Benjamin Britten, sur un livret de Myfanwy Piper inspiré de la nouvelle de Thomas Mann, (1875-1955) La Mort à Venise.
L’opéra a été créé en Angleterre le 16 juin 1973 à Snape Maltings au festival d’Aldeburgh  dont Britten était le fondateur.
Le ténor Peter Pears (par ailleurs compagnon de Britten) interprétait le rôle d’Aschenbach, tandis que le baryton John Shirley-Quirk chantait huit rôles différents. Tadzio le bel adolescent était un danseur  accompagné par de la musique de gamelan balinais, symbolisant une impossible communication entre les deux personnages majeurs.
Le dernier opéra de Britten est aussi le plus personnel, avec sa mise en abyme de l’auteur vieillissant traversé par un dernier élan vital qui prend la forme d’un jeune et bel adolescent.
Sa beauté troublante côtoie l’omniprésence de la mort qui guette le compositeur cardiaque dans une Venise  décadente  atteinte par une épidémie de Choléra. L’appel de cet amour impossible est en fait une invitation à la mort.

L’œuvre de Thomas Mann 1912
La fascination mortelle que peut exercer la beauté, tel est le sujet de La mort à Venise, ce chef-d’œuvre d’inspiration très romantique où l’on retrouve l’essentiel de la pensée de Thomas Mann. Gustav Aschenbach, romancier célèbre et taciturne, voit sa vie bouleversée par  la grâce d’un adolescent. Sous le regard interrogateur du jeune Tadzio, la descente aux abîmes de ce veuf respectable, dans une Venise au charme maléfique rongée par le choléra, est un des récits les plus troublants de cet immense écrivain.

Avec l’aide de sa librettiste Myfanwy Piper, qui réussit à adapter pour la scène cette fiction qui est aussi une réflexion sur l’art et  l’esthétique, Britten invente un monde de poésie et de mystère, où le spectateur semble pénétrer dans l’âme et l’imaginaire de Gustav von Aschenbach.

Le  dernier  opéra de Britten 1973

Benjamin Britten

La composition  de l’ultime opéra de Britten (1913-1976), gravement malade, fut retardée par de nombreux problèmes de santé du compositeur (dépression, insuffisance cardiaque, paralysie de la main). Seule la présence à ses côtés de Peter Pears lui permit d’achever son travail.

La singularité de cette œuvre se retrouve dans l’agencement même de l’intrigue, composée d’une partie chorégraphique, soutenue par le chœur, pour les rôles dansés de Tadzio, de sa famille et de ses compagnons, et d’une partie chantée, de monologues, airs et dialogues pour la figure maîtresse d’Aschenbach (ténor), et les rôles secondaires (voyageur, gondolier, directeur de l’hôtel, coiffeur), tous interprétés par un unique chanteur (baryton).

Dans cet opéra, certainement le plus personnel du compositeur, la musique surprend et déconcerte souvent, mais elle bouleverse aussi, que ce soit dans l’évocation de l’eau, consubstantielle de Venise, de la beauté épanouie des jeunes corps ou dans celle de la mort qui rôde, inséparable du récit.

Une recommandation, il faut se libérer des souvenirs du magnifique film de Visconti  et  de la musique de Mahler pour apprécier la subtilité de cette œuvre.

Synopsis
L’opéra  reprend fidèlement la nouvelle de Thomas Mann. C’est une chronique des derniers jours d’un romancier célèbre et solitaire et sa passion muette pour un jeune homme  en qui il voit le symbole des mystères de l’art.

Acte 1 A Munich puis en mer et au Lido.
Au début du XXème siècle l’écrivain Gustav von Aschenbach, en manque d’inspiration, part pour Venise. Au cours du voyage il a d’étranges pressentiments. A son arrivée, dans le hall de l’Hôtel du Lido, il est bouleversé par la beauté parfaite d’un adolescent, Tadzio, qui séjourne  avec sa famille. Plus tard, sur la plage, il le retrouve et ne le quitte pas des yeux. Sur le chemin du retour, Tadzio lui sourit et  l’écrivain lui murmure alors une déclaration d’amour.

Acte 2 A Venise au Grand Hôtel du Lido.
Des rumeurs d’épidémie se répandent dans la ville et inquiètent le romancier. Ses craintes  sont  très vite confirmées quand il apprend  par les employés de l’hôtel que Venise  est touchée par une épidémie de choléra que l’on dissimule pour ne pas faire fuir les touristes.

À plusieurs reprises les regards de Tadzio et de l’écrivain se croisent, mêlés de trouble et de complicité.

La famille polonaise de Tadzio s’apprête à quitter Venise. Sur la plage, Aschenbach assiste à une violente scène entre Tadzio et un camarade. Le jeune homme après la  bataille s’avance vers la mer puis se retourne faisant un signe que l’écrivain interprète comme un appel. En se levant de son fauteuil de plage il s’effondre d’une crise cardiaque.

Le  sens de l’œuvre
Britten utilise la technique  de la « continuité mélodique ». Ce système de composition qui est sa marque de fabrique depuis Peter Grimes ou Billy Bud  est surtout évident  dans plusieurs interludes entre les scènes. Par exemple  lors  de la transition  entre l’acte I et l’acte II séparés par l’irrémédiable « I love you », l’interlude  a une fonction elliptique émotionnelle. Il réunit en un point donné l’avant et l’après du drame. Cette  « continuité mélodique »,  n’est   pas contradictoire avec l’idée d’un temps narratif discontinu utilisant le parlando cantando.

Le temps chronologique narratif  « agité » alterne avec  des séquences  méditatives « calmes » dans lesquelles Aschenbach  s’interroge sur cette étrange passion. Cette idée de temps linéaire nourri par l’activité psychique du héros (faite de raccourcis, d’anticipations, d’hallucinations, de cris de  désespoirs, de chants d’amour extasié…) rejoint la pensée de Thomas Mann, qu’admirait Britten, selon laquelle « le temps mélange un continu de tensions avec un discontinu de ruptures. »

Les nombreux monologues d’Aschenbach sont des  moments éphémères de rêverie en demi-éveil soulignés par la présence de la harpe, du piano ou des cordes. Il s’agit aussi bien de « Long lying clouds » (scène 2), de « Mysterious gondola » (scène 3) ou  de  « The wind is from the West» (scène 5).

À partir de la scène 6,  celle du départ manqué où il décide de se laisser porter par son destin, il n’est plus vraiment question de moments méditatifs mais d’une recherche fébrile de l’être cher.

La  fin de l’opéra est troublante. C’est la  scène du Phédon (un des dialogues de Platon) reprenant la parabole du cocher « pilote de l’âme » et des deux chevaux ailés qui tirent l’âme en deux sens opposés, la sexualité d’un côté, la spiritualité de l’autre. Elle possède un fort impact dramatique.

La déclamation méditative est ici accentuée par une orchestration transparente, piano, harpe, petite percussion, gamelan et quatuor à cordes. Chaque mot  est enveloppé d’une aura de mystère. Le conflit entre la raison (l’esprit) et les sens (le corps) est entièrement sublimé par Aschenbach qui imagine un dialogue fictif entre Socrate et Phèdre, juste avant de s’écrouler.

La musique symbolisant la conscience d’Aschenbach est formée d’une gamme descendante mineure. Elle suit une ligne continue qui, de l’extérieur, paraît discontinue lorsque l’angoisse succède à l’amour impossible pour le bel adolescent.

L’opéra manifeste également une force organique étonnante. Il se  nourrit de lui-même. C’est-à-dire que plus on l‘écoute et plus on s’attache à lui par la force de conviction qu’il porte.

On pourrait  résumer en disant qu’il sublime  la pulsion amoureuse (homosexuelle ou hétérosexuelle) comme ultime manifestation vitale d’un être qui pressent sa fin toute proche.

Cet étrange opéra nous conduit donc aux portes du rêve et des fantasmes autant par la beauté de la forme que par l’inspiration hautement spirituelle du contenu.

Jean-François Principiano

 

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