Dans Tv83, Loïk Le Floch-Prigent, à la carrière impressionnante de grand commis de l’État, ne tarit pas d’éloges sur « le mouvement impulsé par Macron pour que la France retrouve sa puissance industrielle bradée au fil du temps, en lui consacrant l’épargne des Français et en cessant de montrer du doigt les riches ». C’est son droit. (Voir son article du 16/12 « méfions-nous des effets pervers !)
Pour lui, nos problèmes ne viendraient pas de là mais des décisions des politiques, plus ou moins compétents, « qui ont précipité notre pays dans les difficultés…et qui ne me paraissent pas les mieux placés pour nous expliquer qu’il ne faut rien changer. »
Pour qu’on le comprenne bien il nous rappelle qu’en 1981, après l’élection de François Mitterrand et la victoire éphémère de la gauche et du programme commun, il était directeur de cabinet du ministre de l’Industrie, Pierre Dreyfus qui, rappelle-t-il, était le seul ministère à s’opposer à la création en 1982 de l’impôt sur les grandes fortunes. Tous les autres y étant favorables. Car dit-il, « nous avons lutté pied-à-pied contre cette mesure en tentant d’expliquer qu’elle aurait des effets pervers en particulier sur notre industrie. »
Voilà un point d’histoire éclairant : à peine élu, ce ministre venu de la société civile, qui présida pendant 20 ans la Régie Renault nationalisée à la Libération (ses dirigeants s’étaient mis au service de l’Allemagne nazie) et contribua à son développement industriel et social, se dressait contre une des mesures fiscales les plus attendues : une plus forte participation des plus riches aux redressement du pays qui ne les ferait pas basculer dans l’indigence, loin s’en faut.
À noter que l’essor industriel de la Régie Renault coïncide avec un essor exceptionnel du mouvement syndical et politique dans l’entreprise nationalisée et dans tout le pays, culminant avec les conquêtes sociales de mai 68 (1)
50 ans après, M. Le Floch-Prigent remet le couvert et nous sert les mêmes plats que le sémillant quadragénaire de l’Élysée qui nous dit que cet impôt est insignifiant, alors autant le supprimer pour libérer l’élan patriotique qui caractérise les milliardaires planquant tout ce qu’ils peuvent dans les paradis fiscaux opportunément à leur service ! Et c’est ce qu’il fait.
Voilà qu’en ce début décembre 2017 un réseau international de chercheurs produit un rapport sur les inégalités, à partir de la base de données mondiales sur l’évolution des patrimoines et des revenus, qui montre que les inégalités se sont accrues depuis 40 ans dans toutes les régions du monde. Au point que les 1% les plus riches ont capté deux fois plus de croissance que les 50% les plus pauvres ! (2)
Peut-il nous dire si, pour les Français inclus dans les 1%, cela a servi à plus et mieux investir dans l’industrie et la recherche françaises ?
Il y a quelque chose de très pervers dans ce raisonnement, démenti par les faits : la réduction à l’oeuvre, des charges sociales et fiscales des entreprises (qu’il faut distinguer selon leur taille), les droits plus larges dont elles bénéficient pour licencier à volonté, l’explosion des emplois en CDD pour plus de 80 % et des temps partiels et inversement pour les salariés : des droits au chômage réduits en montant et en durée, une précarité accrue, des protections sociales moindres et plus chères…ne font nullement baisser le chômage, ni recréer une croissance suffisante mais, en revanche, elles stimulent les profits, les très hauts salaires et les exonérations fiscales légales et illégales pour les mêmes !
Malgré ses connaissances scientifiques et techniques, ses compétences de gestionnaire -qui lui ont aussi valu quelques déboires, mais ce n’est pas le sujet- M. Le Floch-Prigent ne voit aucune corrélation avec la financiarisation accélérée de la mondialisation qui devait assurer, à tous ceux qui ne sont pas de la « famille » des grands bienfaiteurs de l’humanité, un avenir plus « heureux » !
Est-ce que ça ne serait pas, par hasard, en rapport avec la société néo-libérale, de plus en plus inégalitaire, qu’il voudraît immuable et dont il ne conteste à aucun moment les orientations, les responsabilités, confondant changer de vitesse et changer de cap. En l’occurrence ce gouvernement accélère…la marche arrière du progrès social et du pouvoir d’achat qui sont deux leviers essentiels de toute relance économique.
Celui qui fut PDG d’Elf-Aquitaine, de la SNCF, de Rhône-Poulenc, de Gaz de France…à partir des années 80 possède une solide expérience de ce qui se passa après « le tournant de la rigueur » en 1983 où Mitterrand fit volte face, sous les conseils éclairés de ses grands commis et plaça la France plus encore sous la coupe des marchés financiers et de l’Europe du nouvel ordre économique occidental. Le néo-libéralisme était en marche.
Les dérèglementations s’ensuivirent encadrant l’austérité aggravée pour les peuples, la désindustrialisation au profit des pays à bas coût de la main d’oeuvre, privatisations, les délocalisations baptisées « concurrence libre et non faussée », les partenariats public-privé (que vient de condamner la Cour des comptes pour leur impact négatif sur les finances publiques, nos impôts). Résultat : la croissance en berne, le chômage en hausse minorée par des artifices de communication.
Pourvu que les actionnaires y gagnent ! Tant pis pour la solidarité et la justice sociale !
Cela n’empêche pas Macron et ses affidés de prétendre vouloir sauver la planète, la paix, donner du pouvoir d’achat à tout le monde, sauver l’Europe et nos libertés…On apprend que l’Autriche aura des ministres d’extrême-droite à la Défense, à l’Intérieur, aux Affaires étrangères…et présidera l’UE de juillet à décembre 2018 ! En Allemagne l’extrême-droite est entrée au Bundestag. Brrr…Macron baisse pudiquement les yeux, l’Europe se montre d’une discrétion assourdissante.
Elle est pas belle la pente surlaquelle on est en train de glisser ?
René Fredon
(1)http://www.cgt.fr/Les-acquis-les-impacts-de-mai-68.html
(2).http://ses.ens-lyon.fr/actualites/rapports-etudes-et-4-pages/rapport-sur-les-inegalites-mondiales-2018-wid-world-decembre-2017