Martha Desrumaux : une ouvrière au Panthéon !

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Telle est l’ambition de milliers de signataires de la pétition qui circule pour que cette militante ouvrière hors norme, originaire du Nord et qui a fini ses jours à Evenos quelques heures après son compagnon Louis Manguine, soit inhumée au Panthéon.

L’institut d’histoire sociale de la CGT avait invité le 11 avril 2019 à Toulon, son biographe Pierre Outterick, historien agrégé d’histoire, président de l’association des amis de Martha Desrumaux, à l’initiative de cette pétition qui ferait entrer au Panthéon, la 6è femme (pour 76 hommes) et la première ouvrière.

Une reconnaissance de la Nation hautement méritée tant la vie entière cette femme généreuse a été exceptionnelle, entièrement consacrée à l’émancipation de la classe ouvrière en même temps qu’une féministe avant l’heure pour l’égalité hommes-femmes, une résistante  qui fit face au nazisme jusque dans le camp de Ravensbrück où elle fut déportée durant trois ans, aux côtés de Marie-Claude Vaillant-Couturier, Genviève De Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion, les deux dernières entrées au Panthéon en 2015.

Pierre Outterick est revenu, avec sa connaissance minutieuse et passionnée, il a su nous faire partager son admiration pour cette vie de labeur d’une enfant orpheline de son père, engagée dès 9 ans comme bonne d’enfants au pair, dans une famille aisée, puis dans une usine de textile, un an plus tard, sans avoir appris à lire et à écrire. Elle connaîtra très tôt les conditions d’exploitation des femmes dans les filatures, le mépris de classe auquel elles se heurtent, leurs maigres salaires, leur inorganisation, la misère dans les foyers ouvriers…

Elle se syndiquera à la CGT à 13 ans et sera évacuée avec sa famille dans la région lyonnaise au début de la guerre de 14-18. Elle y organisera sa première grève, connaîtra le chômage et sera inculpée à 28 ans, à son retour dans le Nord pour « complot contre la sécurité intérieure de l’Etat ».

Elle avait adhéré au PCF peu après sa création en décembre 1920. Elle deviendra rapidement la première femme élue au comité central et à la commission féminine. Elle avait appris à lire et à écrire. Toujours très active dans son entreprise elle mobilisera les salariées qui feront grève « pour les 10 sous » qui leur avaient été retirés.

Dans les années 30 elle sera à la tête de « la marche des sans-emplois » de Lille à Paris et en 36, lors des négociations de Matignon après les grèves historiques qui marquèrent cette période, elle fut la seule femme de la délégation syndicale, chargée de montrer les feuilles de paye qu’elle avait recueillies auprès des salariées !

Il en résulta les conquêtes sociales que l’on sait : les 40 heures et les deux jours de repos hebdomadaires, les 15 jours de congés payés…pour la première fois, les conventions collectives. Avancées incroyables qui suscitèrent un élan d’enthousiasme dans la France populaire qui ne devait, hélas, pas durer.

Dans le Nord, Martha Desrumaux se consacrait au recrutement des volontaires qui allaient constituer les »brigades internationales » aux côtés des républicains espagnols, solidarité que le gouvernement français ne voulait pas assumer. Elle organisait aussi l’accueil d’enfants venus d’Espagne dans les familles du Nord.

Pierre Outterick rappela le contexte de l’occupation allemande et la capitulation de la France sous Pétain. Déjà la chasse aux résistants, aux Tsiganes, aux juifs…avait commencé, les premiers camps de concentration étaient ouverts…

En aôut 40, Martha Desrumaux fut arrêtée en même temps que 71 hommes.  Quelques mois plus tard, elle sera transférée à Ravensbrück, réservée aux femmes et à leurs enfants -elles furent plus de120 000-, d’une vingtaine de pays d’Europe ! Là encore elle sera de celles qui, par son altruisme et sa force de caractère, s’efforcera d’organiser la solidarité entre les détenues, dans les conditions indicibles que furent les camps de la mort. (Le fondateur du FN les tient toujours pour un détail de l’histoire !)

Le 14avril 1945, la croix-rouge danoise procédera à l’échange de 300 femmes du camp contre 300 SS. Martha Desrumaux ne voulait pas quitter le camp rappelle Pierre Outterick mais ses co-détenues lui demandent de partir pour témoigner.

Elle reprendra ses activités syndicales comme co-secrétaire générale de la CGT du Nord ainsi que ses responsabilités politiques nationales.

Des raisons de santé l’amèneront à changer de climat vers la fin des années 60. Elle choisira le Var, entretenant des relations étroites tant avec l’UD-CGT qu’avec la fédération du PCF.

À l’écoute de sa conférence qui ne peut embrasser qu’une faible partie d’une vie aussi intense mise au service de l’action pour toutes les causes humaines, comment ne pas partager l’idée que cette femme du peuple, le grand oublié de l’histoire, mérite amplement la reconnaissance de la Nation et rejoigne ses compagnes dans ce lieu symbolique.

« Il est toujours possible de relever la tête »…aimait-elle à dire.

René Fredon

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