Les quatre conditions du redressement industriel français

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Loïk Le Floch Prigent

Les Régions au Chevet de leur Industrie
il été président de quatre des plus grandes entreprises industrielles que conte notre pays ; Rhone-Poulenc, Elf Aquitaine, Gaz de France, SNCF. Son dernier livre, « il ne faut pas se tromper, pour en finir avec les idées reçues sur l’énergie et l’industrie » (éditions Elytel) est une sorte de discours de la méthode sur la réindustrialisation de notre pays. Loik le Floch-Prigent a tenu à apporter sa contribution et son regard d’expert au dossier de « Régions Magazine »

Le diagnostic est clair, personne ne le conteste : la désindustrialisation de notre pays au cours de ces vingt dernières années est la racine même des malheurs de la France.

La part de la production dans l’activité nationale a été divisée par deux, entraînant chômage et désertification d’un grand nombre de nos territoires. Il s’agit maintenant de prendre les mesures nécessaires pour le redressement de notre industrie nationale, en adaptant l’effort au contexte dans lequel elle est plongée, contexte qu’un certain manque de visibilité en matière re réglementation et de fiscalité caractérise malheureusement. Nous devons néanmoins trouver la bonne stratégie pour obtenir des résultats tangibles à partir d’un constat positif : il existe encore en France beaucoup d’entreprises industrielles performantes, de toutes tailles.

La première condition du redressement devrait être une évidence : l’industrie marche lorsqu’elle est entre les mains d’industriels, c’est-à-dire de personnes ayant une vision stratégique des secteurs dans lesquels elles interviennent. Qui sachent prendre des risques, et qui aient le charisme suffisant pour entraîner leurs collaborateurs. C’est la vie qui fait la sélection, pas le parcours universitaire. J’ai toujours dénoncé la dérive qui consistait à choisir systématiquement les dirigeants d’entreprises dans l’annuaire des anciens élèves de l’ENA ou de Polytechnique, ou dans la liste des Inspecteurs des finances. Pratique qui s’est soldée parfois par des expériences mortifères.

D’autre part, au nom de la « financiarisation » de l’économie mondiale, on a souvent eu recours à des financiers pour diriger une entreprise, ce qui a conduit également à des catastrophes. Pour ma part, j’ai connu cependant des hommes et des femmes ayant un curriculum studiorum prestigieux mais capables de faire preuve d’efficacité, parce qu’ils avaient acquis sur le terrain l’humilité indispensable à qui veut écouter et convaincre. Les succès de l’industrie française sont l’œuvre de ceux qui ont intensément, presque charnellement, « plongé » dans le métier, quelle que soit leur formation initiale. Si l’on ne « vit » pas son produit », il vaut mieux faire autre chose….

La deuxième condition part d’une constatation : la centralisation des sièges sociaux des grandes entreprises a eu pour conséquence d’éloigner les dirigeants de leurs lieux de production, puisque les usines de la capitale ont fermé les unes après les autres. Or l’industrie, en France comme partout, se développe au gré des atouts physiques, historiques et humains de chacune des régions. L’industrie « parisienne » n’existe plus aujourd’hui. La réindustrialisation ne viendra donc pas de Paris, ni du gouvernement central : ce sont les régions, les métropoles, les villes moyennes qui permettront l’apparition d’un nouveau tissu industriel. Les initiatives sont déjà nombreuses, notamment dans certains territoires « typés ». Le rôle des élus locaux, sans a priori théorique, est de pousser tout ce qui part du terrain et qui semble prometteur, de valoriser les chefs d’entreprise régionaux, de les aider dans la recherche et le développement, de veiller à l’efficacité des filières de formation, etc.

Parallèlement, la réindustrialisation du territoire national passera par le rapatriement d’un certain nombre de fabrications classiques ou traditionnelles abandonnées à des pays à bas coût de main d’œuvre. La lutte contre le gaspillage, correspondant au développement durable, en particulier le rejet de l’obsolescence programmée de certains produits de consommation, peuvent révolutionner l’appareil productif : on vendra de plus en plus des usages et non plus seulement des produits, ce qui doit faciliter le retour de productions abandonnées. Ces « niches » nouvelles seront l’un des éléments fondamentaux de la réindustrialisation régionale.  Il faut souligner que celle-ci se différencie par nature de ce que l’on appelle  la « défense de l’emploi », qui consiste souvent à demander le soutien public pour des entreprises en bout de course, dont les dirigeants n’ont pas su adapter leur appareil productif au monde actuel.

La troisième condition est de ne pas céder à la tentation de montrer du doigt les grandes entreprises, coupables d’optimisation fiscale. Nous en avons besoin pour « tirer » l’ensemble de notre tissu industriel, PME et ETI comprises. Une grande entreprise vendue et ce sont des dizaines de sous-traitants qui disparaissent. Il faut arrêter l’’hémorragie de nos entreprises phares, en sachant que la richesse et l’emploi vont venir précisément, par ricochet, de ces PME et ETI. Aujourd’hui, les investisseurs étrangers viennent « faire leur marché » chez nous, sans rencontrer de concurrence nationale. Trop de « pépites « ont disparu dans des portefeuilles américains, chinois ou allemands ces dernières années, parce que le patron fondateur vieillissant souhaitait passer la main.

C’est une nouvelle fois en région que ce problème doit être traité, grâce à la création de « places financières » régionales, dont le périmètre ne recoupe pas forcément les régions administratives. La transmission des réussites locales équilibre les territoires et donne de l’espoir à ceux qui, ayant créé une entreprise, n’envisagent pas sa vente rapide, comme pourraient le leur imposer des investisseurs à court terme, ces « fonds » (« private equity »), avides de fortunes immédiates, qui sont de véritables fossoyeurs. L’industrie, c’est le temps long. Il faut aider à la création de « start ups », sans penser à leur cession prématurée, pousser les PME à devenir des ETI, entreprises de taille intermédiaire, qui font la richesse de nos voisins…

Quatrième et dernière condition, la mobilisation de l’épargne vers le secteur productif. La transformation de de l’ISF en IFI va dans le bon sens, mais ce n’est pas suffisant pour assurer des fonds propres à notre secteur industriel. L’objectif doit être d’y faire venir l’épargne des Français. Cela suppose d’abord une fiscalité avantageuse pour inciter l’entreprise à constituer par elle-même ses fonds propres. Pour cela, le rôle de conseil financier est essentiel. Or les banques régionales, dirigées par des gens compétents et stables dans lesquels les clients avaient confiance, ont été remplacées par des succursales régies par des employés voltigeurs. En même temps, les charges d’agent de change ont disparu. Les banquiers sont devenus des automates regardant sur leurs ordinateurs ce qu’ils doivent répondre aux clients.

À la différence de nos voisins européens, nous n’avons par trouvé d’arrangements avec les règles édictées par la Banque Centrale Européenne. Les entrepreneurs n’ont donc plus comme marge de manœuvre que le recours aux « private equity ».

Faut-il alors créer de nouveaux organismes bancaires régionaux ? La question vaut d’être posée, dans la mesure où la BPI (Banque Publique d’Investissement), qui avait pourtant régionalisé son action, n’a pas démontré son efficacité. De même la toute récente Banque des Territoires suscite la perplexité. L’objectif n’est pas de détenir un pouvoir, il est de développer l’industrie.

Je voudrais dire en conclusion que je comprends la lassitude qui saisit parfois devant tant d’écueils placés sur le chemin du redressement industriel. C’est un peu Sisyphe poussant son rocher…Mais il demeure des éléments d’espoir. D’abord, le succès, malgré tout, de certains industriels français, grands et petits. Puis, et peut-être surtout, l’existence d’une jeunesse talentueuse, avide de réussite tout en restant au pays. Il en est qui ont pensé trouver ailleurs une herbe plus verte. Mais l’idée du retour est toujours présente chez eux. Une photo, un souvenir, une rencontre, et le désir se fait exigence, et pousse à revenir s’installer en France, non pas dans la capitale, mais dans les régions et les métropoles où il fait bon vivre et travailler….

Loïk Le Floch-Prigent

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