Le capitalisme sans capital : ne tirons pas sur le pianiste !

0

Chacun écoute les discours et les interventions des politiques avec son prisme déformant, celui de ses convictions et de ses attentes, et, parler à des millions de personnes par le biais de la télévision est un risque, celui de heurter tel ou telle aussi bien que de ne pas se faire comprendre. Le jeu du lendemain c’est de prendre une phrase ou deux et d’essayer de faire le buzz. Lorsque le Général de Gaulle a utilisé la « chienlit » il savait pertinemment ce qu’il faisait et il dirigeait ainsi les commentaires du lendemain, et nous avons tous des exemples semblables. En rester là ne va pas à l’essentiel et c’est aux journalistes spécialisés de « décrypter » comme on dit maintenant pour tirer les conséquences de ce qui est dit pour les lecteurs. Chacun son rôle, le politique doit convaincre, le commentateur éclairer.

Dimanche, 15 octobre dernier lors de l’entretien avec le Président de la République j’ai bien entendu que celui-ci a bien dit que nous ne pouvions pas continuer dans notre pays à rêver d’un » capitalisme sans capital ». Compte tenu de mon histoire personnelle à la tête d’entreprises qui ont manqué de Fonds Propres pour assurer leur développement international et de mon désir de voir un Gouvernement, n’importe lequel, se mettre à travailler sur ce handicap français fondamental je suis resté abasourdi : enfin on va traiter la cause de nos malheurs et non pas continuer à panser nos plaies, c’est-à-dire à regretter que tout notre appareil industriel ne soit racheté par les capitaux étrangers. Visiblement l’exercice de pédagogie sur ce point n’a pas porté car les trois journalistes venus pour parler du mot « bordel » n’ont pas écouté cette séquence qui n’a pas été plus entendue par leurs confrères.

Je voudrais tout d’abord faire partager ce diagnostic que j’ai longuement développé dans « la Bataille de l’industrie » à savoir que nos échecs sont dus en grande partie au fait que nous avons collectivement préféré l’investissement dans la pierre et non dans le secteur productif. Notre industrie dépérit depuis 25 ans, réduite de moitié, parce que l’épargne est dirigée vers le secteur immobilier considéré comme moins risqué tandis que nous avons érigé en doctrine le « principe de précaution » et que la crise de 2008 nous a fait prendre des mesures prudentielles encore plus fortes. Notre pays est une contrée d’épargnants avec 11000 milliards d’euro dont 2000 pour l’assurance vie avec un « fléchage » clair vers le foncier et l’immobilier et non la production. Nos déconvenues, en particulier l’achat de nos « pépites » par des entreprises et des capitaux étrangers sont la conséquence directe de cette frilosité. Le fait d’avoir eu, aussi, des dirigeants d’entreprises peu visionnaires et peu courageux n’a pas arrangé les choses, surtout dans la dernière période de notre histoire industrielle.

Le diagnostic de Dimanche soir est donc à méditer pour tous les citoyens qui souhaitent le redressement du pays, et c’est avec ceci en tête que nous devons regarder les mesures de transformation proposées par le Gouvernement.

Pour tous ceux qui vont décrier les orientations prises sous des prétextes divers, je voudrai rappeler quelques points.

C’est à cause du capitalisme français sans capital que les difficultés commencent dans la sidérurgie française, la chimie, l’aluminium, l’électronique et l’informatique, les sociétés nationales commencent à affronter la concurrence internationale avec des boulets aux pieds et ce sont les nationalisations de 1981 ( et celle de la sidérurgie un peu avant) qui vont donner un peu d’oxygène à des entreprises pour la plupart moribondes. Leur redressement ne suffit pas à les positionner car le jeu des certificats d’investissements et autres inventions des fonctionnaires des Finances est insuffisant face à des géants qui risquent un argent dont ils maitrisent parfaitement les montants.

L’idée de mon maitre Pierre Dreyfus ,qui avait obtenu du Général de Gaulle et du Président Pompidou des dotations en capital de l’État substantielles pour assurer le développement international de Renault ,que l’on pouvait décliner, généraliser, ce concept, n’a pas résisté à la politique de rigueur rendue nécessaire quelques mois plus tard. Pour assurer le développement de notre économie, nous avions besoin de l’épargne, et cela nous a conduit à nous mettre sur le marché international des capitaux puisque notre pays préférait l’immobilier.

Après la disparition de Pechiney, d’Arcelor, d’Alcatel, d’Alstom, de Rhodia, des Ciments Lafarge, après avoir constaté que pour une grande partie des entreprises industrielles du CAC 40 ce sont des capitaux étrangers qui sont prépondérants, il est temps effectivement de nous réveiller, voulons-nous croire dans notre industrie nationale ou non ? Si nous y croyons il faut que les nationaux qui disposent de capitaux aient intérêt à investir dans ces sociétés qui ont nom Air Liquide, Sanofi, Total, Airbus, Atos, Cap Gemini, Danone, Essilor, L’Oréal, Michelin, Peugeot, Renault, Technip-FMC, Valeo, Schneider Electric, Legrand et beaucoup d’autres comme Dassault Systèmes, Plastic Omnium, Faurecia…et il faut que l’ensemble du pays comprenne que notre fragilité vient du fait que ceux qui disposent de l’argent n’ont pas encore compris que le pays demande que cet argent soit investi de manière prioritaire dans le secteur industriel.

Toutes les sociétés industrielles françaises, petites, moyennes ou grosses ont été confrontées à ce mur de l’investissement, encore plus depuis 2008. Tout ce qui sera fait pour inciter les épargnants à investir dans le secteur productif sera de nature à préparer notre avenir et celui de nos enfants. Les français y sont prêts, quelle que soit leur fortune car leur plus grande souffrance est de voir leurs enfants partir au loin parce que leur avenir parait difficile dans leur région. Il n’y a pas un territoire dans notre pays qui ne soit pas touché et le secteur financier est bridé par les règles prudentielles de 2008 tandis que plusieurs pays ont su, grâce à la volonté de prise de risque des épargnants à encourager les petits à grandir, et les grands à internationaliser leur futur. Beaucoup de gens se battent, je cite souvent la BPI, exemplaire en la matière, mais nous avons beaucoup à faire, vite, car les échéances approchent pour la Compagnie Générale de Géophysique, pour notre Hydraulique mal traitée avec la vente d’Alstom à General Electric, pour notre pharmacie…Nous avons encore des fleurons, gardons les , nous avons des pépites nouvelles, développons les vite avant qu’elles nous soient ravies par des capitaux extérieurs.

Après le diagnostic partagé doivent venir les mesures, on jugera de leur efficacité, mais ne tirons pas sur le pianiste.

Loïk Le Floch-Prigent

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.