Le Barbier de Séville de Rossini, Le bonheur en Musique

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Dans cette période de reconfinement et ce climat d’inquiétude, il nous a semblé bon qu’Opéravenir propose une œuvre aux confins de la joie de vivre, du bonheur musical et de la légèreté tourbillonnante.

Un compositeur de 23 ans !
« Monsieur Rossini faites-nous toujours des Barbier de Séville ! » L.V Beethoven

Gioacchino Rossini

Gioacchino Rossini (1792-1868) alors âgé de vingt-trois ans  à peine commence à gagner en notoriété à travers toute l’Italie.  Avec ses partitions : La scala di seta (L’échelle de soie), Tancrède ou encore L’Italienne à Alger il engrange les succès. Pourtant c’est avec Le Barbier de Séville (Il Barbiere di Siviglia) en 1816, son dix-septième opéra, qu’il atteindra l’immortalité.

La comédie de Beaumarchais avait déjà fait l’objet de plusieurs adaptations à l’opéra, parmi lesquelles la plus récente et la plus populaire était celle de Paisiello, suscitant une certaine attente du public pour comparer les deux ouvrages.

Une création problématique
Lors de la création à Rome, un grand nombre de rivaux de Rossini interrompent de manière intempestive le spectacle, déjà perturbé par un enchaînement d’incidents impliquant les chanteurs sur scène (un chat noir qui traverse la scène, la guitare du Comte Almaviva  qui perd une corde, Figaro qui rate son entrée sous les fous rires du public…) Bref, dès la fin du premier acte l’opéra est sanctionné par les cris et les sifflets, c’est un fiasco !

La deuxième représentation connaît un accueil beaucoup plus favorable, et l’opéra gagne en popularité au fil des représentations jusqu’à devenir le plus grand succès du  jeune compositeur italien.

Le Barbier Beaumarchais

Une comédie brillante de Beaumarchais (1732-1799)
La comédie de Beaumarchais créée en 1775, le Barbier de Séville, fait la satire d’une société établie sur les privilèges de naissance. A Séville, au XVIIIe siècle le joyeux barbier Figaro aide le Comte Almaviva à conquérir la belle Rosine. Mais Rosine, qui n’est pas restée indifférente aux sérénades de son mystérieux soupirant, est jalousement gardée par le vieux Docteur Bartholo, qui compte bien, aidé du sinistre Don Basilio, épouser sa pupille au plus vite…

Que faire pour contrer les projets du vieux barbon ? Figaro n’est pas à court d’idées. Toutefois la première tentative échoue, et le Comte Almaviva, déguisé en « Lindor », un étudiant sans le sou, repartira penaud de la demeure de Bartholo ; la seconde escapade, elle, réussira, et au terme d’échanges de billets, de déguisements et de situations abracadabrantesques  savamment réglées, l’amour de la belle Rosine et du Comte Almaviva, enfin rendu à sa véritable identité, finira par triompher.

Le Livret de l’opéra
Rossini compose l’opéra sur un livret en deux actes de Cesare Sterbini (1784-1831) qui édulcore un peu la critique sociale d’une société basée sur les privilèges de la noblesse. Par contre il permet au compositeur, par son efficacité théâtrale, de développer son sens du comique en musique.

Acte 1
1er tableau : Un coin de rue à Séville. Le jeune comte Almaviva (ténor léger rossinien) est tombé amoureux de Rosina (mezzo-soprano coloratura), la pupille du docteur Bartolo (baryton basse) qui la séquestre et veut l’épouser. Sous le nom de Lindoro, il donne des sérénades à Rosina. Mais voici qu’il rencontre Figaro (baryton), qui était autrefois à son service et s’est finalement établi comme barbier à Séville. Par bonheur, Figaro a ses entrées chez Bartolo. Son esprit inventif cherche un moyen d’introduire le jeune comte Almaviva auprès de Rosina.

2ème tableau : Dans les appartements du docteur Bartolo. Rosina, qui répond à l’amour de Lindoro (Almaviva), lui écrit une lettre et la remet à Figaro. Un fourbe, don Basilio (basse), maître à chanter de Rosina, révèle à Bartolo les projets d’Almaviva. Lindoro, déguisé en soldat, se présente chez Bartolo et parvient à glisser une lettre à Rosina. Mais Bartolo s’en aperçoit. Il exige de voir la lettre, mais Rosina feint l’indignation et parle de s’enfuir, sur quoi Bartolo va fermer la porte. Mettant à profit cet instant d’inattention, elle retourne la situation et se joue de Bartolo en comédienne accomplie. L’acte se termine sur un crescendo endiablé (Guarda un po Bartolo)

Acte 2
1er tableau : chez Bartolo Le comte Almaviva se présente sous un nouveau déguisement, celui d’un élève de Basilio qui serait malade et l’aurait chargé de le remplacer pour la leçon de musique de Rosina.

Pendant la leçon de musique, les jeunes gens tentent d’échapper quelques instants à la surveillance du tuteur pendant qu’il se fait raser par Figaro. Coup de théâtre,  Basilio  arrive ! Figaro lui annonce qu’il a la fièvre scarlatine et qu’il doit immédiatement aller se coucher. C’est le maître en fourberie et en calomnie qui joue alors le rôle du ridicule, et le spectateur est ravi de voir son ahurissement croissant. Mais, en définitive, Bartolo est berné plus encore que Basilio. Le comte parvient à glisser un billet de rendez-vous à Rosina.

2ème tableau : Devant la Porte d’entrée de la maison de Bartolo. Figaro et le comte se sont introduits dans la maison grâce à la clé dérobée. Rosina repousse le comte, mais celui-ci n’a pas de mal, en dévoilant son identité, à la convaincre. Ils se préparent à s’enfuir discrètement.

Requis pour le contrat de mariage, Basilio et le notaire arrivent et produisent le document que signent Rosina… et Almaviva bien sûr ! Un pistolet et un bijou de prix convainquent Basilio d’accepter d’être témoin. Et Bartolo ne peut que s’incliner, et constater l’inutilité de ses précautions. L’inutile precauzione est d’ailleurs le sous-titre de l’œuvre.

Aisance, limpidité et insolence
Le Barbier de Séville de Gioacchino Rossini cumule plusieurs records : composé en deux semaines, il est l’œuvre d’un compositeur de vingt-trois ans, qui en est déjà à son dix-septième opéra ! Et toute la musique jaillit là avec une aisance et une limpidité qui laissent pantois. Sérénades, duos et ensembles éclaboussent la comédie de leurs éblouissantes vocalises et des subtilités sonores de la langue italienne.

Pour autant, le génie de Rossini tient à l’art enivrant du crescendo, habile  à faire monter la tension, jusqu’à ce que le public soit gagné  par une euphorie trépidante.

D’ailleurs, l’ouverture de l’opéra suscite immédiatement la surprise : un tutti nous prévient que le spectacle commence, puis une délicieuse mélodie prend le relais, et de modulations en modulations enfle jusqu’au paroxysme. Ainsi, derrière le rire et les tempi qui s’emballent, c’est toute l’insolence de la pièce de Beaumarchais que Rossini transpose dans l’univers musical de l’Opéra Buffa.

Le sens de l’œuvre
Il y a dans cette œuvre des effets de  comique de caractère et des scènes qui vont bien au-delà des stéréotypes du genre et qui  la rapprochent des ambitions de l’ « opera seria », ne serait-ce qu’en raison de l’approfondissement psychologique des personnages qui prennent une véritable dimension humaine archétypique.

Bartolo n’est pas seulement un ridicule barbon libidineux mais un homme âgé tourmenté les affres du désir ; Rosine fait montre de revendications plus nobles que celles des habituelles jeunes amoureuses dans son air (Una voce poco fa) ou pointe une critique déjà affirmée de la condition féminine de son temps ; Basilio dans son air de la Calomnie  (La calunnia è une venticello) souligne un des travers les plus communs de la société et Figaro (Largo al factotum) est davantage qu’un valet rusé qui monnaie ses services mais le représentant d’une classe nouvelle émergente, le « self made men » de la petite bourgeoisie entreprenante . Il faut sans doute y voir l’influence bénéfique du texte de Beaumarchais qui donna à Rossini la possibilité de mettre toute son invention musicale au service de personnages que le public connaissait déjà sous forme de stéréotypes dans la  Commedia dell’arte.

Plus profondément, certains penseurs ont développé à travers cette œuvre  l’idée stendhalienne du syndrome de la légèreté. Kierkegaard, Husserl, Heidegger et Nietzsche ont détaillé cette pensée existentialiste que l’on peut résumer ainsi : la légèreté et le sourire dévoilent davantage que l’analyse rhétorique et abstraite. Ils ont repris le mot de Husserl « la vérité de l’existence est à la surface du réel ».

En effet, nous sommes nos apparences, notre vie se perçoit existentiellement à travers nos actes et nos postures. Elle n’est perceptible que par ce que l’on montre. Il y a donc plus de vérité dans une comédie de mœurs réussie que dans un traité savant sérieux. Par exemple pour Nietzsche Le Barbier de Séville de Rossini ou Carmen de Bizet sont  plus « vrais » que  Parsifal de Wagner…

En fait, Almaviva, Figaro et Rosine subirent plus d’une métamorphose au gré de leurs apparitions au théâtre ou à l’opéra que ce soit chez Beaumarchais, Mozart, Paisiello et bien d’autres. Mais seul Rossini sut insuffler  à ses personnages  une vie musicale dont la contagieuse allégresse leur permettrait de briller au firmament du théâtre lyrique en dépit du temps et des modes (et des mises en scène).

Pour percevoir la beauté de cette œuvre il fallait une représentation exceptionnelle. Heureusement Youtube nous permet de retrouver un  enregistrement historique avec l’exceptionnelle Teresa Berganza.

Jean-François Principiano

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