La voiture électrique :il ne faut pas se tromper !

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Depuis plusieurs mois, à chacun de mes déplacements, alors que j’essaie de faire réfléchir à l’évolution du secteur de l’énergie, on finit par me poser la question de l’avenir de la voiture électrique : « vous êtes pour ou contre ? » Cette façon de poser le problème ne me fait pas plaisir car elle montre que je n’ai pas réussi à convaincre de la nécessité de savoir dans quel contexte se situe l’interrogateur ! Mais, finalement, ce n’est pas une mauvaise façon d’aborder le débat sur l’énergie du futur.

Mon théorème fondamental est que » l’énergie de demain est la moins chère », et qu’il n’y a pas, en conséquence une réponse universelle, cela dépend à la fois de la géographie et de choix individuels et collectifs. Chacun, là où il vit, va décider de ce qui est meilleur pour lui. La puissance publique peut inciter ou contraindre, rendant les prix payés artificiels ou interdisant telle ou telle utilisation, selon les lieux et les gouvernants le choix peut être plus ou moins restreint, mais personne ne va délibérément payer plus en argent ou en temps.

Les déplacements individuels d’autrefois mobilisaient les chevaux et la machine à vapeur a tout d’abord privilégié le train pour permettre un accroissement du trafic et son accélération. On allait, d’ailleurs, accueillir les voyageurs avec des charrettes pour les véhiculer jusqu’à destination ! L’automobile a révolutionné le déplacement individuel (et collectif), celui des humains comme celui des marchandises, et après bien des hésitations il est apparu que le pétrole raffiné ,  jusqu’alors utilisé pour l’éclairage (le pétrole lampant), était le carburant rêvé pour ce véhicule, c’est le réseau routier qui devint désormais la priorité internationale !

L’augmentation de la population, sa concentration sur des zones d’activité, ont conduit à un double phénomène, un engorgement des axes de circulation et une pollution jugée de plus en plus insupportable. Les grandes agglomérations essaient donc de trouver des solutions adaptées à leurs citoyens et au contexte dans lequel ils et elles vivent. Comment organiser les migrations quotidiennes et diminuer les émissions des sous-produits de la mobilité ? Les réponses des pays développés ont porté sur l’aménagement de réseaux de transport collectif et des restrictions diverses à l’utilisation des automobiles individuelles,(diminution des voies autorisées, stationnements réglementés , péages…) privilégiant les piétons en tentant de retrouver un air plus respirable. Ces solutions ne correspondent pas à toutes les conurbations dont certaines sont de plus en plus engorgées, respirent de plus en plus mal, sont envahies de motos et mobylettes, et sont désormais incapables de faire fonctionner des transports collectifs sans parler de créer un réseau de métros ou de tramways que leur situation financière ne peut permettre. Malheureusement ces situations sont majoritaires dans le monde d’aujourd’hui et donc les orientations que prennent ou vont prendre les pays « riches » ne seront d’aucun secours pour les autres, chacun va devoir trouver comment ne pas détériorer encore plus sa vie quotidienne !

Dans notre pays où les restrictions à la circulation automobile dans les concentrations urbaines sont en voie d’accélération, se pose le problème du choix de l’énergie embarquée. Tout ce qui ressemble à un hydrocarbure est montré du doigt avec plus ou moins d’aveuglement selon le niveau intellectuel des décideurs et des commentateurs. Nous vivons donc aujourd’hui avec l’idée que le véhicule électrique est « propre » et qu’il recevra son énergie des « énergies renouvelables «  propres également. Il est donc urgent de remplacer tous les véhicules individuels par des « voitures électriques » où l’on affiche fièrement la pureté qui en résulte. La plupart des « gens qui comptent » sont effectivement à Paris, sa conurbation ou les grandes métropoles, et une grande partie de la population avec elles. La voix de la réflexion est à peine audible, elle conduit à des anathèmes et même des menaces, mais peut encore parler et écrire ici, profitons en !

D’où provient l’électricité ? A travers le monde, d’abord du charbon, puis des autres hydrocarbures, puis de l’hydraulique et du nucléaire, et enfin des fameuses énergies renouvelables solaire et éolien. Promouvoir le véhicule électrique à travers le monde c’est donc décider d’accroitre la consommation électrique dans des pays « hydrocarbonés » qui vont, s’ils le peuvent financièrement, choisir la solution la moins chère , la centrale charbon ! Avant donc de « montrer l’exemple » au monde à partir de  Paris, Londres, Pékin, Shangaï ou Manhattan, examinons bien si nous nous ne nous trompons pas ! Que cette orientation soit rendue indispensable pour les gens qui vivent dans ces mégalopoles, c’est probable, que ceci conduise à l’amélioration mondiale des émissions de « gaz à effet de serre », c’est possible mais reste à démontrer .

Mais pour savoir si l’intuition dominante qui mobilise tous les commentaires ne débouche pas sur le vide, il faut examiner le point de vue technique et industriel et se pencher sur le contexte géographique et institutionnel dans lequel est posée la question

Technique, d’abord . D’où vient l’électricité ? Au Québec en majorité de L’hydraulique, en France du nucléaire, en Pologne du charbon … Si l’on veut dans les grandes villes plus de véhicules électriques, il faut produire plus d’électricité, et les « énergies éoliennes et solaires «  sont intermittentes, il faut donc éviter la pénurie et donc investir ailleurs. Le plus « propre », le plus rapide  et le moins cher sera la centrale électrique à gaz…en n’oubliant pas que le nucléaire reste la solution sans émission de gaz à effet de serre ! A Paris, pour l’instant, la voiture électrique reste une voiture « électro-nucléaire » (comme le vélo électrique d’ailleurs).  Les conurbations, essayant de diminuer les émissions polluantes chez elles déplacent donc le problème ailleurs sur les « territoires « . Les citoyens des campagnes comme des petites villes ne sont donc pas prêts à accepter des changements « élitistes » , s’accrochent à leur diesel ou leur essence et lèvent les yeux au ciel en espérant qu’on ne va pas leur « coller » encore une éolienne ou une décharge près de l’endroit où ils espèrent pouvoir continuer à vivre .

Technique, encore, le stockage de l’électricité, puis sa restitution vers un moteur sont d’un rendement faible et les progrès depuis quarante ans n’ont pas été décisifs. Certes les batteries au lithium ont fait des progrès, mais l’utilisation universelle de ce matériau n’est pas évidente, il explose à l’air et à l’eau et ses réserves prouvées les plus accessibles sont dans trois pays seulement. La modération actuelle des prix ne résistera pas à une accélération de son usage.

Industriel ensuite, les constructeurs d’automobiles doivent tenir compte des prescripteurs politiques, surtout comme en Chine quand leurs préconisations sont des ordres, mais leurs clients peuvent aussi exprimer des désirs et il leur faut y répondre ! On peut même dire que les contraintes étatiques peuvent tomber dans le déni de démocratie à partir du moment où elles apparaissent idéologiques . L’industriel va donc devoir s’assurer que la logistique autour de la voiture électrique rassure sa clientèle. On parle d’autonomie, de temps de recharge, d’échanges et de propriété de batteries, de profondeur acceptable de décharge…on change, on s’adapte, mais le téléphone portable est un véritable service EN PLUS par rapport au fixe, pour la voiture électrique il faut convaincre de la fluidité de l’utilisation, (est-ce bien pratique pour mon mode de vie ?) et cela est loin d’être gagné ! La pollution sera moindre dans les villes, mais cela c’est collectif, et les couts d’utilisation apparaissent bien moindres, c’est là un attrait individuel. Mais l’industriel sait qu’il sera compris si le temps de charge est court, si la logistique du pays la permet partout, et ceci dépend de la disponibilité de plus de courant électrique avec un réseau renforcé, cela ne dépend pas de lui mais d’un effort collectif dont il n’a pas la maitrise.

Enfin on a bien compris le phénomène chinois où la forme de démocratie autoritaire peut ordonner un changement de cap suivi par le peuple, mais je doute que notre pays, l’Europe en général et la plupart des autres pays Inde comprise, puisse se plier rapidement à des diktats parlementaires ou gouvernementaux conduisant de façon radicale à un changement dans la propulsion de véhicules. Cela se fera avec la démonstration de l’intérêt individuel et non par la loi. La cohabitation entre les villes polluées où la voiture électrique sera préconisée et les « territoires » qui auront à la fois les centrales électriques et une faible incitation au changement (difficultés de réseaux et absence de pollution ) conduira au maintien des véhicules à propulsion hydrocarbonée.

Il ne faut pas se tromper, personne n’a le droit de pousser l’industrie dans une impasse stratégique, le véhicule électrique va progresser, il sera de l’intérêt des constructeurs d’en proposer des versions et d’en expliquer l’intérêt pour les clients, mais c’est finalement lui, celui qui achète, qui  décidera de la vitesse de pénétration et du ratio de cohabitation. Les grandes villes seront équipées, pas les campagnes, l’Europe va avancer en ce sens, la Chine encore plus, mais d’autres continents ne pourront pas suivre ! Il faudrait commencer par l’électricité ! Paris n’est que Paris, pas le centre du monde !

Loïk Le Floch-Prigent

 

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