Fraude fiscale : Le gouvernement sauve de justesse le privilège de Bercy

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On en parle beaucoup en ce moment de ce « verrou de Bercy » qui donne au ministre du budget le monopole de décider ou non des poursuites pénales pour fraudes fiscales. Ainsi, selon l’avis du ministre des finances, certains fraudeurs peuvent éviter des poursuites judiciaires.

Un privilège qui a ainsi permis à des parlementaires récents et célèbres d’échapper aux poursuites pénales. Il y a des justiciables privilégiés, c’est bien connu. C’est justement l’objet prétendu du projet de loi sur la moralisation de la vie publique que d’y mettre fin. Mais ce gouvernement, comme les précédents, ne tient pas à abolir tous les privilèges dont celui-là !

Le débat parlementaire l’a montré, en ce mois de juillet. Même des députés de LRM se sont trouvés en porte-à-faux en votant certains amendements en commission, ainsi que d’autres chez les « constructifs », classés à droite.

Le Sénat, à majorité de droite, avait adopté à l’unanimité un amendement du sénateur communiste Eric Bocquet (1), allant dans le sens d’un « déverrouillage partiel » de ce dispositif que la Cour des Comptes avait jugé, en son temps, critiquable ainsi que de nombreuses associations citoyennes.

Mais la commission des lois est revenue sur cet amendement et l’a fait rejeter par 25 voix contre 24. Puis l’assemblée nationale a voté de justesse contre l’amendement Bocquet par 155 voix contre 133 ainsi que les amendements similaires. La moitié des députés étant absents.

Reste que ce débat a ouvert une brèche dans la majorité LRM puisque des députés de quatre groupes (PCF, Insoumis, Nouvelle gauche, « constructifs ») ont tenu une conférence de presse ensemble et que des députés LRM et LR ont voté pour l’amendement ou se sont abstenus.

Eric Woerth, (LR), président de la commission des finances, est venu au secours du gouvernement pour conserver le privilège qui a si bien protégé, entre autres, deux éminents parlementaires LR(2) (Balkany ex-député et Dassault toujours sénateur) qui défraient la chronique judiciaire depuis des dizaines d’années.

Députés communistes et insoumis voulaient supprimer complètement le verrou « qui empêche une lutte efficace contre la fraude fiscale… » Macron ne voulait que de l’affichage, du faux semblant sans toucher au fond : dissuader vraiment la fraude fiscale sous toutes ses formes et placer tous les contribuables à la même enseigne. Pas de contribuables privilégiés qui peuvent négocier leurs pénalités selon leur toute puissance financière et même échapper aux pousuites. C’est le contraire de l’équité et ça sent l’ancien régime.

Pas de nuit du 4 août
Nous approchons du 4 août, une date de notre histoire de France : celle de l’abolition des privilèges en 1789 : des droits féodaux, des privilèges selon les ordres, les provinces, les villes, les corporations…un des moments forts de la Révolution française qui suscita un enthousiasme considérable en Europe et dans le monde. Et qui fit de la France une nation à la pointe du progrès social et humain.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce qui reste à conquérir 228 ans plus tard à l’heure de la « mondialisation » d’un système qui a fort peu à voir avec les idéaux dont tout un peuple se réclame toujours et qui semblent tellement loin des espoirs de celles et ceux qui les avaient fait naître.

Le peuple souverain…l’égalité devant la loi… »tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux… » ? Vraiment. Les privilèges abolis ? Qui pourrait l’affirmer ? Les libertés ? certains le sont plus que les autres, disait Coluche à propos de l’égalité. La fraternité entre les humains quelles que soient leurs origines, la couleur de leur peau, leur religion…la marge de progression n’est-elle pas considérable ?

On objectera les progrès de la science, les conditions d’existence aujourd’hui et du temps de la monarchie…qui n’a pas disparu, loin de là, certes mais est-on sûr que tous les humains peuplant la planète ont des chances égales de s’épanouir et de vivre dignement ?

On ne cesse d’alerter sur le fait que la planète elle-même se trouve menacée par les choix de ceux qui décident de fuir en avant dans un productivisme ravageur, nullement libérateur.

S’éloigne-t-on du débat parlementaire qui suscite autant de passions aujourd’hui ? Il témoigne de deux conceptions de la démocratie dont tous se réclament et que ceux qui la gèrent, aujourd’hui comme hier, confondent avec le service des intérêts privés supposés répondre à l’intérêt général.

Au point que les adversaires d’hier, acquis au libéralisme, se retrouvent ensemble pour gouverner aujourd’hui, toujours dans le même sens. On le vérifie amplement chaque jour avec les projets du gouvernement, tous tendus non pas vers un renversement des priorités en faveur de ceux qui n’ont pas le nécessaire pour vivre dignement, mais pour une accentuation des privilèges de ceux qui vivent dans l’aisance, dans l’opulence ! L’exemple des 5 euros de moins sur les APL en dit long.

Que ceux qui prétendent moraliser la vie publique commencent par moraliser les finalités et les pratiques de leur « modèle » de société, précisément inconciliable avec la démocratie parce qu’ il divise la société. D’un côté, une minorité qui possède les moyens de production, la finance et les médias, instruments majeurs de domination, de l’autre l’immense majorité qui ne possède que sa force de travail, utilisée ou non, au gré des premiers et de leurs intérêts de classe. Ils ne se confondent pas avec ceux du monde du travail pas plus que le MEDEF se confond avec les syndicats de salariés.

Ils ne veulent surtout pas donner aux dominés la représentation nationale qui correspond à leur nombre et à leurs intérêts. Par un système électoral qui le permette : la proportionnelle intégrale. Le reste n’est que tripatouillages pour favoriser la caste au pouvoir. La pseudo « révolution » de Macron n’a strictement rien changé au rapport de forces politiques, si ce n’est en pire. Il se propose d’aggraver les politiques libérales précédentes. Mêmes causes, mêmes effets.

Ce qui est fondamentalement immoral c’est qu’un candidat arrive avec 24% des suffrages au 1er tour, à imposer son programme au second tour, s’attribuant le soutien politique d’une majorité de voix dont la signification était claire : faire barrage au FN et non adhérer au programme du candidat Macron !

Et comble de perversité, cette majorité hétéroclite va permettre à un candidat minoritaire sur son programme mais arrivant en tête, d’obtenir une large majorité de députés pour voter son application ! Cela sur fond d’un niveau d’abstentions record aux législatives : 51,29% !

C’est parfaitement légal et même tout à fait dans l’esprit de la constitution de la 5è République. C’est la constitution qui permet de vérouiller la démocratie ! Macron ne va pas la déclarer obsolète, elle l’a si bien servi.

Mais déjà, au sein même de ses troupes de marcheurs, une fronde encore timide se dessine. Des adhérents de l’association « en marche » viennent tout de même de saisir la justice pour faire annuler le vote sur les statuts ! La chute brutale de la popularité du président les inquiète. Ses méthodes aussi. Ce n’est déjà plus l’euphorie. Une douzaine de députés LRM ont voté pour l’amendement communiste, autant se sont abstenus. Le signe que cette majorité est fragile et vulnérable.

Pour peu que les salariés (es) et les progressistes se rassemblent pour mettre en échec les projets ultra-conservateurs du pouvoir.

L’intérêt général commande de ne pas laisser faire.

René Fredon

 

1. Eric Bocquet et son frère, l’ex-député Alain Bocquet, sont les auteurs d’un livre révélateur sur le sujet : « Sans domicile fisc » aux éditions Cherche Midi

2. Le 25 juillet, le parquet national financier (PNF) a demandé le renvoi en correctionnelle du couple Balkany dans la vaste enquête sur le patrimoine du maire de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) et de son épouse. Le PNF demande que Patrick Balkany, 68 ans, sa femme Isabelle, 69 ans, adjointe au maire, et l’un de leurs enfants, Alexandre, soient renvoyés pour « blanchiment de fraude fiscale aggravée » et que Patrick Balkany soit aussi jugé pour « corruption passive » et « prise illégale d’intérêts », affirme la même source. Le parquet requiert également que le couple soit aussi jugé pour « déclaration incomplète ou mensongère » à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, chargée de contrôler les revenus des élus.
L’industriel Serge Dassault soupçonné d’avoir caché des millions à l’étranger pendant quinze ans, a été condamné, ce jeudi 2-2-17, à cinq ans d’inéligibilité et deux millions d’euros d’amende. Son avocat a immédiatement annoncé qu’il allait interjeter appel.
Dans un réquisitoire sévère contre l’avionneur et patron de presse, c’est ce que le parquet national financier (PNF) avait requis au mois de janvier, lors de son procès pour blanchiment de fraude fiscale. Neuf millions d’euros d’amende avaient été réclamés contre le sénateur LR (Les Républicains) : un élu qui «a piétiné toutes les lois qu’il a votées sur le thème de la fiscalité» et «trahi son mandat», avait martelé le parquet. (Extrait du Parisien 2-2-17)

Dans les deux cas, ils avaient bénéficié du refus des assemblées de lever leur immunité parlementaire et Bercy n’avait pas jugé bon de les poursuivre au pénal. Et ils sont loin d’être les seuls, protégés par leurs relations avec le pouvoir politique.

 

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