Énergie et industrie

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Le 21 Novembre de cette année, le groupe français EREN a annoncé l’heureuse conclusion de sa demande de financement d’un projet déjà en construction d’une centrale solaire au Burkina-Faso dans la mine d’or d’Essakane exploitée par le canadien Iamgold. Cette unité sera couplée à une centrale à fioul existante et permettra d’économiser 6 millions de litres par an de combustibles. Voilà l’illustration de ce que l’on peut faire vraiment pour diminuer l’émission de CO2, l’hybridation bien localisée dans une mine à ciel ouvert et roche dure nécessitant une énergie abondante. Il y a du soleil là-bas et on est au Nord-Ouest du pays très loin de l’approvisionnement en hydrocarbures. Voilà un projet pragmatique, privé et rentable !

Pendant le même temps dans la baie de Saint-Brieuc, grand lieu de pêche, avec 60 espèces de crustacés et poissons et surtout la récolte de la moitié des coquilles Saint-Jacques françaises, la population se débat contre un projet de construction d’éoliennes en mer, 62 appareils s’élevant à 215 mètres au-dessus de l’eau. Le projet impliquerait plus de 100 Km2 à 16 km d’une merveille de la nature, le Cap Fréhel, et du port coquillier d’Erquy, une beauté exceptionnelle également. L’association Gardez les Caps combat depuis 6 ans , argumentant sur tous les plans, site, installation avec 256 forages à 42 mètres, rejets des sédiments, pêche, qualité des paysages, oiseaux migrateurs, dauphins, vents tournants et instables, bruit à 111,7 Décibels , et surtout nécessité, vue l’intermittence, du couplage avec une centrale thermique tandis que le courant produit serait garanti à 4 fois le prix. Là, aucun pragmatisme, de l’idéologie pure et aucune écologie véritable, on massacre la nature plusieurs fois tout en demandant une hybridation de 70% avec une centrale à gaz. Projet absurde, dont on ne devrait même pas entendre parler, mais on annonce l’arrivée de bateaux qui vont faire des sondages ! Au nom des énergies renouvelables on ne devrait pas pouvoir faire n’importe quoi !

Ces deux exemples ont pour but de nous faire réfléchir en rajoutant un élément, celui des matériels utilisés pour produire l’électricité. Nous sommes conscients que partout où on le pourra on va chercher à remplacer l’énergie fossile par le renouvelable, mais à coté d’une installation rentable comme au Burkina-Faso, le fait de voir un projet anti-écologique comme celui de la baie de Saint-Brieuc ne pourrait avoir qu’une justification, celle d’expérimenter du matériel français en vue de l’exporter vers des pays qui ont plus de vent que nous et qui pourraient le rentabiliser. Mais cet argument ne tient pas, nous nous sommes lancés dans une politique énergétique en ignorant délibérément la politique industrielle c’est à dire l’approvisionnement de matériel créateur de richesses et d’emplois. Et c’est bien là que le bas blesse alors que les idéologues ne cessent de dire que les énergies renouvelables sont créatrices d’emplois en France par centaines de milliers. C’est faux car nous n’avons pas mené la politique d’innovation industrielle correspondant à nos choix énergétiques ! Tant que nous n’aurons pas compris ce divorce et les mesures qu’il convient de prendre pour y remédier, la réindustrialisation du pays sera en difficultés.

En ce qui concerne notre outil industriel qui a construit et assuré la maintenance de nos centrales nucléaires, le grand carénage prévu le préserve et peut préparer des futurs développements. La vente des turboalternateurs Arabelle d’Alstom à General Electric a été une catastrophe nationale, mais on a encore les moyens de contrôler l’avenir si on le veut.

Notre outil thermique tant décrié peut encore progresser, même si General Electric a désormais la maitrise de l’outil industriel ex-Alstom, en particulier grâce aux travaux réalisés par EDF depuis cinq ans pour bruler des résidus ligneux dans ses centrales charbon.

Pour l’hydraulique , nous avions avec Alstom (ex Neyrpic) la première compagnie mondiale, comme je l’ai indiqué nous pouvons revenir sur l’accord avec General Electric et constituer un nouveau leader mondial en y associant des constructeurs de petites centrales comme Mecamidi.

Mais pour les énergies nouvelles nous avons lancé des programmes industriels ambitieux « étatiques » qui ont tous échoué. Les causes en sont simples, il n’y avait pas d’industriels dans ces projets, seulement de l’argent public et des fonctionnaires, aucun argent privé. Les installations prévues dans la baie de Saint-Brieuc étaient prévues pour des espagnols achetant des éoliennes à Areva spécialiste des centrales nucléaires ! Résultat : Areva a revendu à ses partenaires espagnols qui ont fini dans les mains de Siemens, les allemands. Le programme concurrent a été financé par l’Etat chez Alstom, vendu à General Electric, puis abandonné par manque de rentabilité. Les programmes « volontaristes » imaginés par des gens très intelligents cela ne marche pas parce que l’industrie se fait d’abord avec des industriels. Ces patrons qui connaissent les métiers et qui sont prêts à se mobiliser pour le pays existent, mais ce ne sont pas eux qui sont, en général, sous le robinet des promesses électorales. Et c’est ainsi que de l’argent est gaspillé et ne conduit pas à réindustrialiser le pays dans les perspectives nouvelles des énergies renouvelables. Ce diagnostic doit être fait et partagé avant d’aller plus loin et il faut gommer ces décisions régaliennes basées sur des fantasmes .

Revenons aux réalités, les techniques évoluent vite, très vite, et si, dans un premier temps, nous paraissons être dépendants des matériels chinois pour le solaire (panneaux photovoltaïques) et pour l’éolien des danois et des allemands, nous ne sommes pas à la fin de l’histoire , loin s’en faut. Ce qui est vrai des matériels de production l’est encore plus du stockage électrique et non électrique où les alternatives scientifiques et techniques sont encore nombreuses. J’entends part exemple que pour les batteries automobiles la filière lithium-ion plébiscitée par monsieur Musk a gagné ! Je n’en sais rien, l’avenir nous le dira, j’ai travaillé vingt ans dans ce domaine de l’électrochimie et il y a encore des surprises à attendre. Dans les énergies nouvelles (éolien, solaire et stockage), nous sommes encore dans les balbutiements de la technique et de l’industrialisation, ce qui veut dire que si nous menons une politique d’innovation et d’industrialisation basée sur des travaux de recherche et l’utilisation du numérique nous pouvons de nouveau être à la pointe et compétitifs. Mais ce n’est pas un travail de salon, c’est un travail d’industriel et cela ne part pas d’en haut mais d’en bas avec l’aide de ces gens de terrain qui savent faire marcher les machines ! Autrement dit la réindustrialisation du pays à partir des énergies nouvelles est possible, il suffit de ne pas déverser tout l’argent public dans les tonneaux des Danaïdes des intellectuels brillants et éthérés .

Il est donc clair que ceux qui réalisent un dispositif hybride au Burkina-Faso sont dans l’histoire, ceux qui mettent dix ans à ne pas faire une horreur au cap Fréhel sont dépassés et qu’il faut revenir à des calculs simples, les énergies nouvelles financées par de l’argent public doivent être écologiques , avec du matériel français et compétitives, autrement le contribuable paie trois fois, l’atteinte à son environnement, sa note d’électricité, et le soutien à un filière qui finit par disparaitre. Je ne me résous pas à considérer que la transition énergétique préconisée aujourd’hui conduit à la perte des filières classiques de l’industrie française au profit des matériels chinois et autres . Tout indique que nous allons vivre avec la cohabitation de toutes les sources d’énergie, les « hybrides » du Burkina- Faso, nous avons tout en mains pour réindustrialiser la France et exporter nos techniques et notre expérience , ne gâchons pas tout avec des anathèmes, des abandons et des idéologies dépassées, le monde avance, nous sommes encore dans l’histoire, restons-y .

Loïk Le Floch-Prigent

 

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