Une vision commune de la diversité des plantes cultivées

0

Dans les prochains jours, la Commission européenne publiera une étude sur les possibilités de mise à jour de la législation existante sur la production et la commercialisation des matériels de reproduction des plantes (MRP)[1]. Dans le contexte des changements potentiels de la législation, nous, en tant qu’acteurs de la diversité des plantes cultivées :

  • représentant les conservateur.rice.s de semences, les jardinier.ère.s, les agriculteur.rice.s, les sélectionneur.euse.s, les fournisseur.euse.s de semences, les producteur.rice.s d’aliments et les organisations de la société civile qui valorisent et travaillent avec la diversité génétique des plantes cultivées ;
  • définissant la diversité des plantes cultivées comme la diversité des espèces, des variétés et de la diversité génétique qu’elles abritent, ainsi que comme les connaissances traditionnelles associées à leur culture et à leur utilisation ;
  • travaillant souvent en parallèle, en tant qu’utilisateur.rice.s, développeur.euse.s et producteur.rice.s de la diversité des plantes cultivées ;exposons par la présente notre position commune sur la diversité des plantes cultivées en Europe.Pourquoi un changement est-il nécessaire ?
    Les règles actuelles de production et de commercialisation des semences favorisent l’uniformité et la productivité à court terme, au détriment de la diversité des plantes cultivées, de l’environnement et de la diversité des acteur.rice.s qui développent les semences et les rendent disponibles. Elles négligent le droit aux semences ancré dans le droit international, notamment par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysan.ne.s et autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP) et le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (TIRPAA). De plus, ces règles divisent les acteur.rice.s en deux catégories artificielles, celles « d’utilisateur.rice.s » et de « producteur.rice.s » de semences. La conservation, l’utilisation durable et la gestion dynamique de la diversité des plantes cultivées dans les jardins et dans les champs peuvent aller de pair.À la lumière des crises liées au climat et à la biodiversité, nous avons besoin de politiques qui reconnaissent, protègent et soutiennent le potentiel de la diversité des plantes cultivées afin de favoriser des systèmes alimentaires résilients et d’assurer notre future sécurité alimentaire. La diversité des plantes cultivées est le fondement des approches écosystémiques, nécessaires à la production agricole pour orienter la transition des systèmes alimentaires et inverser la perte de biodiversité.La pandémie de Covid-19 a renforcé ce besoin, en confirmant que la diversité est essentielle pour arriver à des écosystèmes et des régimes alimentaires sains, et que les chaînes d’approvisionnement courtes renforcent la résilience de notre production alimentaire face aux chocs externes. Elle a également entraîné une forte augmentation de la demande de semences à pollinisation libre adaptées localement ainsi qu’une forte augmentation de l’approvisionnement en produits directement auprès des producteur.rice.s. La sélection et la production locales, la gestion dynamique des semences et la diversité de l’offre de semences commerciales offrent aux agriculteur.rice.s de grandes opportunités pour exploiter cette demande croissante, par exemple en proposant des produits biologiques, des variétés traditionnelles, des espèces négligées et sous-utilisées et/ou des spécialités régionales.

    Cependant, le cadre réglementaire actuel ne convient pas aux agriculteur.rice.s et aux producteur.rice.s qui opèrent en dehors de l’agriculture industrielle, par exemple les agriculteur.rice.s qui travaillent dans des conditions agroécologiques ou biologiques certifiées, les agriculteur.rice.s qui veulent travailler avec des semences à pollinisation libre, et/ou les agriculteur.rice.s qui travaillent sur de petites superficies avec des liens étroits avec les consommateur.rice.s finaux.ales, car ils n’ont tout simplement pas accès à suffisamment de semences adaptées à leurs besoins et aux environnements de production locaux. À la lumière des nombreux défis auxquels l’agriculture est confrontée, il est inacceptable que le cadre de la commercialisation des semences soit discriminatoire à l’égard des agriculteur.rice.s et des producteur.rice.s qui souhaitent poursuivre des alternatives caractérisées par des pratiques respectueuses de l’environnement et du climat.

    Toute réforme de la législation relative à la commercialisation des semences doit faire progresser le Pacte vert pour l’Europe, la stratégie en faveur de la biodiversité et la stratégie « De la ferme à l’assiette », ainsi que les objectifs de l’UE en matière de changement climatique, en promouvant les droits des paysan.ne.s aux semences, et les semences qui, en raison de leur diversité génétique, facilitent les pratiques agricoles à faibles intrants, biologiques et agroécologiques. La législation doit respecter et soutenir les développements stimulants du nouveau règlement sur l’agriculture biologique, et reconnaître également les charges considérables et coûteuses imposées à la production et à la circulation des semences par le nouveau règlement phytosanitaire, en particulier pour les petit.e.s opérateur.rice.s. Elle doit être cohérente avec les engagements pris dans le cadre du TIRPAA et de la Convention sur la diversité biologique. Enfin et surtout, elle doit faire respecter le droit aux semences et les obligations des États de mettre ce droit en place et de le respecter en vertu de l’UNDROP.

    À quoi devrait ressembler ce changement ?
    Il y a eu quelques améliorations au cours de la dernière décennie, notamment grâce aux directives sur les variétés d’amateurs et de conservation et, plus récemment, dans le nouveau règlement européen sur l’agriculture biologique. Cependant, la diversité reste en fin de compte limitée à des niches bureaucratiques, chacune d’entre elles s’accompagnant de son propre ensemble de restrictions, et la complexité du cadre lui-même freine de nombreux.euses petit.e.s acteur.rice.s. Les crises liées au climat et à la biodiversité, ainsi que les changements sociétaux, économiques et technologiques survenus au cours des décennies qui ont suivi l’adoption des règles dans les années 1960, sont la preuve qu’une refonte fondamentale est nécessaire.

    Une réforme de législation sur la commercialisation des semences doit soutenir, plutôt que de discriminer, la diversité intra-spécifique et intra-variétale, favorisant ainsi l’adaptation au changement climatique, la transition vers une agriculture plus respectueuse du climat et de l’environnement, la production locale de semences et d’aliments, les droits des agriculteur.rice.s et des régimes alimentaires plus sains. Elle doit également reconnaître et soutenir la multiplicité des systèmes de semences et offrir un plus grand choix à l’ensemble des agriculteur.rice.s et des producteur.rice.s.

    Pour atteindre cet objectif, toute réforme doit reconnaître, protéger et récompenser le rôle central joué par les systèmes semenciers informels dans la conservation, l’utilisation durable et la gestion dynamique de la diversité au sein des fermes et des jardins, et dans la garantie de la résilience de nos systèmes alimentaires. Elle doit garantir la participation, la collaboration et la représentation de tous les types d’agriculteur.rice.s, d’éleveur.euse.s, de consommateur.rice.s et d’autres acteur.rice.s de la chaîne alimentaire dans les projets de recherche en amont et à tous les niveaux de décision. Parallèlement à la législation sur la commercialisation des semences, l’octroi de droits de propriété intellectuelle ne doit pas porter atteinte au droit aux semences. Tous les cadres juridiques pertinents et leur mise en œuvre doivent être améliorés pour éviter le détournement de la diversité, en particulier de la diversité des plantes cultivées non enregistrées, y compris l’utilisation d’informations sur les séquences numériques.

    Propositions spécifiques pour une éventuelle réforme de la législation sur la commercialisation des semences
    À la lumière de l’étude sur la législation relative à la commercialisation des semences qui a été demandée par le Conseil des ministres en novembre 2019 et qui sera publiée par la Commission européenne en avril 2021, nous exposons les principes généraux qui devraient trouver un écho dans

    la législation :
    -Le champ d’application de la législation sur la commercialisation des semences doit être délimité par une définition stricte de la commercialisation des semences limitée aux activités commerciales ciblant les utilisateurs professionnels de semences. La législation sur la commercialisation des semences ne doit en aucun cas réglementer la conservation, l’utilisation durable et la gestion dynamique de la diversité des plantes cultivées à la ferme et au jardin, y compris les échanges de semences entre agriculteurs et jardiniers qui sont gratuits ou qui ne demandent qu’un remboursement des frais. En particulier, il ne devrait pas y avoir de registre des opérateurs. Les systèmes de semences paysannes, tels qu’ils sont inscrits par l’UNDROP, doivent être exclus des règles de commercialisation des semences.

    -La législation sur la commercialisation des semences doit assurer la liberté de choix des agriculteur.rice.s et des cultivateur.rice.s, tant en ce qui concerne les semences (espèces, variétés, populations) que les normes de production.

    -Il doit y avoir une distinction claire entre les régimes accordant des droits de propriété intellectuelle sur les nouvelles variétés végétales et ceux permettant l’accès au marché. L’enregistrement fondé sur les essais DHS et VATE, lorsqu’il est choisi, doit être adapté et proportionné aux besoins et aux réalités des différents obtenteur.rice.s, développeur.euse.s et mainteneur.euse.s, ainsi que de leurs client.e.s.

    -La législation doit garantir la transparence des méthodes de sélection et des droits de propriété intellectuelle pour toutes les semences mises sur le marché.

    -Les règles relatives aux mécanismes de contrôle de la santé et de la qualité d.es semences doivent être adaptées aux risques sanitaires ainsi qu’aux circonstances spécifiques et à l’échelle de la commercialisation des semences, en reconnaissant les différentes attentes des utilisateur.rice.s de semences et des client.e.s en ce qui concerne les critères de qualité des semences.

    Louise Puel

    Signataires
    Union européenne/organisations régionales
    Demeter Federation
    Demeter Czech & Slovakia
    European Coordination Via Campesina
    Reseau Meuse-Rhin-Moselle

    Autriche
    Arche Noah
    ÖBV-Via Campesina Austria

    Belgique
    Boerenforum
    Vitale Rassen

    Croatie
    Biovrt-u skladu s prirodom – Biogarden – in harmony with nature)
    Croatian Organic Farmers’ Associations Alliance
    Život – Association of Croatian family farms
    ZMAG – Community Seed Bank

    République Tchèque
    Permasemnika

    Chypre
    Cyprus Seed Savers

    Danemark
    Demeterforbundet i Danmark
    Frøsamlerne – Danish Seed Savers

    Estonie
    Maadjas – Estonian Seed Savers

    France
    Demeter France
    Mouvement de l’Agriculture Bio-Dynamique
    Le Réseau Semences Paysannes

    Allemagne
    Dachverband Kulturpflanzen- und Nutztiervielfalt e.V.
    Getreidezüchtung Peter Kunz
    ProSpecieRara

    Grèce
    Aegilops
    Peliti

    Hongrie
    Magház – Seed House

    Irlande
    Irish Seed Savers Association

    Italie
    Associazione per l’Agricoltura Biodinamica in Italia
    Demeter Associazione Italia
    Rete Semi Rurali

    Lettonie
    Latvian Permaculture Association

    Luxembourg
    SEED Luxemburg

    Malte
    Nadir for Conservation

    Norvège
    Biologisk-dynamisk Forening – Biodynamic Association Norway

    Pologne
    Foundation AgriNatura for Agricultural Biodiversity

    Portugal
    GAIA – Environmental Action and Intervention Group

    [1] La législation s’applique à tous les matériels de reproduction et de multiplication des plantes, qui seront tous désignés par le terme « semences » dans le présent document.

     

    [1] La législation s’applique à tous les matériels de reproduction et de multiplication des plantes, qui seront tous désignés par le terme « semences » dans le présent document.

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.