Une nouvelle vie pour le nucléaire français ? Est-ce possible encore ?

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Beaucoup se sont étonnés de ma position très critique sur la décision des pouvoirs publics d’engager dès maintenant les travaux sur le programme britannique d’EDF à HINKLEY POINT. J’ai attendu un peu pour m’exprimer de nouveau, espérant avoir tort et prêt à modifier mon analyse. Je maintiens ma position réservée et je veux m’expliquer, on n’a pas le droit de dire « si vous n’êtes pas pour HINKLEY POINT, c’est que vous êtes du côté des fossoyeurs de la filière nucléaire française » c’est tout le contraire.

Quelques points fondamentaux d’abord pour éclairer le sujet
La construction d’une centrale nucléaire est probablement l’un des problèmes les plus compliqués qui existe, compétence technique et organisation optimale du chantier sont indispensables.

C’est la continuité et l’expérience accumulée qui permet d’améliorer les processus, chaque construction nouvelle bénéficie de la précédente, la « rupture » est un risque inacceptable.

Après avoir arrêté l’installation du programme français des 58 réacteurs nucléaires, la filière française a essayé de trouver une nouvelle vigueur avec une coopération chinoise mais la compétence technique nationale s’est néanmoins effritée avec des réductions d’effectifs, des restructurations et des nominations injustifiées sur le plan scientifique et technique.

Au redémarrage souhaité par les pouvoirs publics on a monté un programme ambitieux politique, franco-allemand, qui se voulait une rupture avec le travail précédent. C’est ainsi qu’est né le fameux EPR qui n’est pas dans la continuité des succès des réacteurs installés et de la « filière » amplement célébrée. Cette erreur conceptuelle pèse encore lourdement sur l’industrie nationale. On a pris le risque de la rupture et on a voulu ignorer tous les signaux d’alerte des ingénieurs et techniciens puisque les politiques et les financiers les faisaient taire.
La conclusion s’impose d’elle-même, on ne sait plus faire au meilleur prix, c’est-à-dire que tout se passe comme si on avait ignoré le programme précédent et qu’on avait redémarré une autre aventure en jetant par-dessus bord tout le personnel compétent qui avait réussi.

Devant cet échec catastrophique, il faut bien réfléchir et ne pas considérer que l’orgueil national va résoudre toutes les difficultés. L’EPR de FLAMANVILLE, le prototype, va couter trois fois plus cher que prévu. La question à se poser est simple : « est-ce que cette voie choisie pour des raisons extra-industrielles doit être poursuivie » ou « arriverons-nous avec cette configuration à redevenir compétitif dans un monde de l’énergie qui évolue avec des prix qui tirent vers le bas » ? ou encore la même question autrement « arriverons-nous à des prix comparables aux réacteurs nucléaires de la concurrence comme celle des russes ? ».

Je ne connais aucun technicien en France ou à l’étranger qui puisse répondre oui à cette question avec des arguments, seulement pour certains des professions de foi.

Revenons donc sur terre. Le numérique permet de simuler ce que pourrait être à la fois le chantier et le fonctionnement de l’EPR. Il y a une nouvelle dynamique sur Flamanville, et, en attendant la mise en route, on peut essayer d’imaginer ce que pourrait être le monde nouveau, c’est-à-dire des programmes futurs qui seraient en continuité du prototype en question. Cette avancée, si elle parait intéressante, va d’abord profiter aux programmes chinois qui sont dans la même veine et qui sont dans une phase de construction analogue. Mais en dehors des incertitudes sur les choix effectués, il apparait en pleine lumière une insuffisance de compétences techniques chez le constructeur AREVA. Ce n’est pas anormal puisque l’organisation n’avait pas été sollicitée depuis des années sur l’opérationnel, mais c’est un fait qui a d’ailleurs des conséquences sur l’autre programme, vital celui-là pour le pays, le grand carénage, c’est-à-dire le maintien pour dix ou vingt années futures des 58 réacteurs existants qui produisent 75% de l’électricité nationale à des prix compétitifs.

Quelles sont donc mes réticences à engager le programme HINKLEY POINT, et pourquoi je pense que ce n’est pas la solution pour » sauver « la filière nucléaire française ?
Nous n’avons pas encore tiré les enseignements de FLAMANVILLE et nous ne savons pas si l’EPR peut conduire à un programme 50% moins cher que réalisé, ce qui est l’exigence de la compétition mondiale.

Le programme HINKLEY POINT n’est pas dans la continuité de Flamanville, aussi bien sur le contexte d’installation (comme les prises d’eau et les rejets) que sur les conditions techniques exigées par l’autorité de sureté britannique. Ce sont encore deux prototypes qui sont envisagés à des couts inconnus et sans utiliser les progrès du numérique de Flamanville ! A part le nom du réacteur tout change, y compris la plupart des sous-traitants, il n’est envisagé que très peu de retours d’expérience, c’est vrai des techniques comme des hommes !
Le risque est immense et n’est pris que par EDF au niveau de sa capitalisation boursière !

Il faut donc, pour moi, remettre à plat l’ensemble de la filière nucléaire française et redéfinir une politique avec un leader industriel compétent et respecté.
Tous les acteurs potentiels doivent être mobilisés et les compétences doivent être jugées. Il y a des individus talentueux partout, mais ils ne sont pas aux postes de responsabilité et ceux qui y sont ne sont pas des industriels responsables car il règne partout  une bureaucratie arrogante . Les constituants essentiels de la filière française doivent se recomposer autour de notre bien commun ce qui ne peut être, dans un premier temps du moins, du ressort de la spéculation privée. Il faut donc considérer que c’est de l’argent public qui va être utilisé et que ceci bénéficiera aux sociétés françaises nationales ou privées. Il devrait être, par exemple hors de question que les turbo-alternateurs Arabelle vendus à General Electric ne reviennent pas dans le giron français. C’est une partie du « bien commun » que nous allons chercher à valoriser en redéfinissant une stratégie nationale conquérante, il faut donc recomposer le contexte d’intervention. General Electric ne tient pas plus que ça à ce secteur, il faut rapidement renégocier avec eux, mais il y a d’autres composants qui sont devenus aussi avec le temps américains ou chinois, il faut reprendre en mains notre destin.

Entre EDF, AREVA, DASSAULT SYTEMES ,CAP-GEMINI et les entreprises de travaux publics, nous avons l’essentiel de la filière, et les sous-traitants sont connus et appréciés. Il faut une gouvernance industrielle claire, pas un Ministre soumis à la communication électorale ou un bureaucrate, un vrai connaisseur du nucléaire comme l’étaient Pierre Guillaumat, André Giraud ou Georges Besse, quelqu’un qui ne se fasse pas « avoir » par des communicants incultes ou des ingénieurs incompétents et prétentieux.  Mais comme un des points fondamentaux est de retrouver de la compétence, il faut aussi quelqu’un qui soit en mesure d’en juger et de transformer les outils existants à EDF, AREVA…en outils performants pour satisfaire à la fois aux nécessités de la transformation des réacteurs existants et à la définition du programme du réacteur de demain compétitif. Ce sont les hommes et les femmes qui vont réussir, pas la bureaucratie hésitante et timorée ou des personnes « obéissantes », et il va falloir prendre des risques parce que nous avons pris du retard avec un programme mal défini, mal dirigé, et pharaonique.

En supposant que nous considérions que la signature du programme britannique nous engage irrémédiablement, cela ne veut pas dire qu’il faut désormais faire des âneries en n’utilisant pas au mieux tous les enseignements des progrès actuels de Flamanville, et donc unifier tous les outils et toutes les équipes. C’est-à-dire qu’il faut un commandant pour le navire et non une pluralité !  Nous pouvons sans doute encore sauver la filière, mais dans la tempête il faut avoir au moins un objectif clair et un diagnostic partagé…et un commandant !

Ce commandant doit pouvoir s’appuyer sur un pouvoir politique fort , conscient des réalités, et qui arrête de mentir aux français. Dans le fonctionnement normal 78% de l’électricité est fournie par le nucléaire, 10% par l’Hydraulique, 6% par les Energies Renouvelables ENR, et seulement 4% pour le thermique (gaz et charbon). Mais lorsque le froid arrive ou d’autres perturbations climatiques, le thermique doit se remettre en route et produit 20% de l’électricité, tandis qu’hydraulique et ENR ne peuvent augmenter leur part.  Le Nucléaire va représenter pour le pays la possibilité d’avoir tous les jours de l’électricité, et le thermique(gaz et charbon relayé dans les installations existantes par la biomasse) devra continuer à servir par grand froid car les ENR sont intermittentes et ne produisent donc pas « à la commande . Dans le ralentissement du nucléaire allemand il est impératif de dire et redire qu’il y a eu redémarrage des centrales à charbon et lignite de l’autre côté du Rhin, car les ENR ne permettent pas aujourd’hui de garantir l’approvisionnement en électricité !

Le nucléaire est donc indispensable aujourd’hui à notre survie électrique, il faut des décisions claires et un industriel compétent pour les mettre en œuvre, si l’on arrive à prouver aujourd’hui que l’EPR de FLAMANVILLE peut dériver vers un projet compétitif pour demain, que nous pouvons diviser par deux les couts, poursuivons. Si ce n’est pas le cas, repartons de ce que nous avons déjà fait et que nous allons améliorer avec le grand carénage et tout le monde y trouvera son compte, y compris les Britanniques.

Loïk Le Floch-Prigent

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