Un fort et beau moment  de théâtre au Comedia

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Les trompe-la-mort de l’an II

André Neyton

André Neyton, en véritable homme de théâtre, sait parfaitement mêler l’histoire et l’actualité et montrer à travers ses textes une puissante évocation des tourments et des  passions humaines. Sa dernière création que  nous avons eu le  plaisir d’apprécier  hier soir est une réussite totale tant sur le plan du texte, de la conception théâtrale et de la scénographie. De plus c’est une belle performance des comédiens.

Une narration théâtrale haletante
Le  sujet choisi était  délicat, il s’agissait de montrer l’opposition historique entre l’esprit jacobin parisien et la pensée girondine fédéraliste à travers une narration théâtrale haletante. Elle oppose deux hommes, eux-mêmes républicains, mais défendant ces deux  courants opposés.

Le spectacle vaut déjà largement le déplacement par la qualité du texte. Il s’appuie sur la riche chronique intitulée Pièges que François Trucy, l’ex-maire de Toulon, avait rédigé sur les mésaventures d’un de ses ancêtres, un notaire transporté à Paris en charrette pour y être jugé pour tiédeur républicaine. Sous la menace de la mort avec ces malheureux compagnons d’infortunes il subit insultes et brimades pendant ce triste et sinistre voyage. Ils furent sauvés in extrémis puisque le temps de leur arrivée dans la capitale Robespierre était  déjà guillotiné…L’espoir de construire l’égalité sociale s’était envolé.

Jacques Maury et Xavier -Adrien Laurent

Une performance  de comédiens
Les deux protagonistes Xavier-Adrien Laurent et Jacques Maury sont des comédiens de haut lignage. Ils tiennent la scène avec tour à tour émotion, passion et efficacité.

En Barras madré, corrompu mais réaliste on retrouve avec Xavier-Adrien Laurent le meilleur  exemple d’une incarnation historique juste et précise, bien réglée par la mise en scène vigilante d’André Neyton.

Jacques Maury campe face à lui un personnage à la pensée tout aussi pénétrante, découvrant avec stupeur l’immensité labyrinthique de la perversité politique. Son humanité transparaît à travers son jeu personnel, simple et poignant. Ici tout est efficace théâtralement et cette heure en compagnie de ces deux hommes est étonnante de vigueur, d’efficacité émotionnelle et de vérité historique.

La liquidation du fédéralisme français
Le texte d’André Neyton est un monument d’érudition ; il dégage en une heure les thèses du girondisme français qui s’opposa courageusement, au péril de la vie, au centralisme jacobin parisien. Une belle leçon d’histoire théâtralisée. On comprend mieux pourquoi  ce courant politique était incompatible avec l’esprit révolutionnaire des sans-culottes parisiens : les girondins voulaient préserver certains aspects de l’ancien régime comme les langues régionales – jacques  Maury s’exprime dans la pièce  de Neyton souvent en Provençal- les coutumes, les traditions, les libertés particulières, les corps intermédiaires garants de libertés. Au fond chez les Montagnards Jacobins  l’égalité l’emportait sur la liberté. Chez les Girondins la liberté l’emportait sur l’égalité.  Mais l’égalité totale  est-elle compatible avec la liberté ?

Une utilisation judicieuse des effets spéciaux.
J’oserais dire que le spectacle est du cousu main. On sent le travail d’équipe au niveau des lumières, Michel Neyton, des costumes Isabelle Denis, de la musique   Miqueu Montanaro au piano : Maya Tris Krakatau  ou de la création vidéo : Hélène Cicollela. Montage vidéo : Hélène Bez. C’est d’ailleurs cet habillage   d’images et de documents historiques qui sert de fil rouge émotionnel réservant un suspense jusqu’à la dernière scène, la dernière confrontation. L’ombre de Robespierre et de la guillotine plane sur cette soirée  qui réserve une surprise heureuse dans l’ultime face à face, lorsqu’on découvre le véritable  rôle politique de Barras, grand maître de la récupération bourgeoise de la Revolution française.

Pour toute ces raisons ce spectacle devrait bien tourner en France car il s’appuie sur une documentation à haute teneur pédagogique tout en restant un beau moment d’art de la scène.

En tout cas il honore l’Espace  Comedia  de Toulon dont la permanence, au-delà des aléas, d’une ville qui n’en n’a pas fini  d’assumer son passé – parfois à contrecourant de l’histoire-  témoigne grâce au talent d’auteur, de metteur et d’acteur d’André Neyton, d’une vigueur artistique toujours renouvelée.

Le spectacle sera donné  encore vendredi 3 mars  20h 45  et dimanche 5 mars  16 h  au Comedia place d’Orves le Mourillon Toulon   infos et réservations : 04 94 42 71 01.

Jean François Principiano

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