Un beau revolver

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On ne s’en doute pas avant de devenir septuagénaire mais entrer dans la vieillesse procure aussi de menus bonheurs. On découvre à la vie quelque chose de tendre, des saveurs automnales, une espèce de lenteur après laquelle on a, toute sa vie, couru si vite ! Et l’on assiste à la renaissance de vieilles amours calmes. Des amies presque oubliées qui resurgissent et que l’on se surprend à chérir en tout bien tout honneur. Ou alors des copains vrais de vrais perdus de vue et retrouvés avec lesquels, n’étaient ces lombalgies qui vous importunent parfois, on rejouerait aux billes.

Puissance exquise de la joie ! Plus l’âge avance et moins l’on se blase. Tout vous affriande. Qui aurait cru par exemple que l’on pouvait tomber en pâmoison devant un simple kiosque de presse, chargé de sa littérature instantanée (les quotidiens), hebdomadaires (les magazines à “news”) ou mensuels ? La jeunesse, atteinte de strabisme divergent (un œil sur son nombril, l’autre sur son Smartphone) ne s’y arrête jamais : un édicule pour anciens cela s’évite et pourquoi poser son regard louche sur ces “unes” que Le Monde, Le Figaro, Libération, Le Parisien, L’Humanité, La Croix, L’équipe même, s’acharnent à produire chaque jour, L’Express, Le Point, Le Canard Enchaîné, L’Obs (etc.) chaque semaine ? Réponse : parce que ces “unes” ne parlent pas de vous mais des autres, de tous les autres ; parce qu’elles ne vous font finalement aucun cadeau ; parce qu’elles disent le monde dans lequel nous vivons, tel qu’il est, tel qu’il va, tel qu’il pourrait devenir à brève échéance. La remarque vaut aussi pour les médias audiovisuels dont la jeunesse se détourne au profit des réseaux sociaux qui flattent en permanence l’égocentrisme adolescent, ce mal nécessaire des jouvenceaux, à condition de savoir s’en extraire. Ils ne s’en extraient pas souvent hélas. Même au volant puisqu’ils conduisent des voitures dites sans permis.

Que ne lisent-ils donc, ne serait-ce qu’une fois par semaine, un vrai journal papier ! Ils y trouveraient tant de choses. De grands articles, des petits, des entrefilets, des titres, des analyses, des synthèses, des reportages ou des billets. Qu’ils essaient donc dès demain matin : un quotidien, une tasse de café, un croissant peut-être ou bien une tartine beurrée comme on en dégustait autrefois à la terrasse de bistros où l’on vous offrait en général la petite presse régionale du jour. Déployons-là. Tiens des faits divers ! Bien relatés avec de ces “tiroirs” – interviewes, éclairages – qui donnent toujours de l’ampleur à l’information principale si bien que l’on se surprend à commander un second café. Qu’il ferait nuit tôt, pour nous les vieux, si l’on nous privait de cette provende ! Ces textes mais aussi ces clichés, comme l’on ne dit plus. Car le photojournalisme devient un art à lui tout seul. Il suffisait de suivre à la télévision la couverture de la débâcle du monde libre à Kaboul pour s’en convaincre. Les cameramen de toutes les chaînes émettant depuis l’aéroport, opéraient des arrêts sur image pour tenter de rivaliser avec les auteurs d’instantanés aussi fixes qu’inspirés. Tragédie lointaine (enfin, pas tant que ça) mais d’une beauté singulière paraissant s’appuyer sur certaines pages inoubliables de Joseph Kessel dans “Les cavaliers”. Écoutez plutôt : « Le soleil paraissait suspendu au sommet de son orbe jusqu’à la fin des mondes. »

Quel reporter, Kessel, au fait. Quel poète aussi. On devrait réécouter au moins chaque mois le fameux “Chant des partisans” qu’il composa avec son neveu Maurice Druon, celui des “Rois maudits” qui peignit une France où l’on haïssait, où l’on assassinait, où l’on trahissait, où l’on se couvrait alternativement d’honneur et de sang. Ne ressemble-t-elle pas un peu à la nôtre où tant de gens crient « haro ! » avant de réfléchir ? Où l’on fulmine. Où l’on parle de marcher sur l’Élysée comme les factieux de 1934 se ruaient vers le Palais Bourbon en hurlant « À mort la gueuse ! » Cette gueuse-là, c’était tout simplement Marianne, notre prude république à l’inaltérable beauté que d’aucuns voudraient couvrir d’une burqa ou d’un linceul.

Mais comme nous y allons ! Kaboul, l’Afghanistan, les fascistes et la nuit islamiste… tout ça pour dire qu’il faut lire la presse et un peu moins ces réseaux sociaux, intarissables boîtes de Pandore où risquent de se noyer de trop jeunes cervelles. À quand l’instauration d’une écologie intellectuelle mettant nos chères têtes blondes à l’abri de ces pollutions ? À quand le retour triomphal de l’esprit critique et du rationnel ? À quand l’avènement de l’information vérifiée ?

En attendant cette espèce de Godot médiatique, chacun peut se défendre avec ses petites armes personnelles. Pour ma part, quand j’entends crier que nous sommes en dictature, je sors mon abonnement au journal Le Monde.

C’est un beau revolver.

Bernard Oustrières
Gazetier honoraire

Crédit photo la1ere.francetvinfo.fr

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