Loué par Gounod qui voyait dans cette œuvre de jeunesse un pur produit de l’esprit français, mais par contre détesté par Debussy pour qui la partition trop sucrée devrait être interdite d’écoute aux diabétiques, l’opéra en trois actes, les Pêcheurs de Perles est le premier succès d’un Georges Bizet surdoué qui allait quitter la scène à 38 ans laissant derrière lui d’immenses promesses inaccomplies après le demi succès posthume de Carmen (l’opéra pourtant le plus représenté au monde actuellement !).
La représentation de ce dimanche 29 décembre n’a pas globalement modifiée la donne. Objectivement on ne peut que féliciter les maîtres d’œuvres toulonnais d’avoir choisi cette partition charmante, ce conte de fées oriental pour les fêtes de fin d’année.
Il s’agit d’une œuvre de transition ou se dévoile toute la science musicale d’un Grand Prix de Rome de 26 ans qui compose là son premier chef d’œuvre, selon des canons académiques, dans un style lyrique bien français, mais avec une orchestration élégante et « claire comme un alexandrin de Racine » pour reprendre les mots de son ami Ernest Guiraud, son compagnon de conservatoire.
Fraîcheur du plateau vocal.
Le premier grand mérite de la production toulonnaise est la fraîcheur du plateau vocal. Il s’agit de jeunes chanteurs qui honorent l’école française d’art lyrique par la qualité de la diction, l’élégance de la prononciation, l’adéquation entre les notes et le phrasé de notre langue. Anaïs Constans, Reinoud Van Mechelen, Jérôme Boutillier et Jacques–Greg Belobo ont tous bien défendus l’art du chant français.
Lisibilité de la Mise en scène.
Le deuxième mérite est sans doute l’humble lisibilité de la mise en scène de Bernard Pisani qui a déjà présenté cette coproduction à Nice, Limoges et Reims avec un grand succès public.
Basée sur un présupposé orientalisant style mille et une nuits, il en propose une lecture onirique voire hollywoodienne. Pour le soir du réveillon, c’est l’idéal. Tout est fait pour plaire à tout le monde, les belles lumières clinquantes plein feu, les décors stylisés sur roulettes, les costumes turco-hindou-bouddhistes-tamoul… Pourtant l’utilisation systématique des vagues hyper-colorées qui avancent et qui reculent puis qui reculent et avancent encore peut apparaitre un peu too much pendant deux heures et demi, écrasant la scénographie de ce drame déjà bien difficile à suivre. La « tentation tyrannique de la symétrie colorée » comme dirait Dmitri Tcherniakov efface un peu la dimension émotionnelle dans cette mise en place, sans doute sincère, mais qui résulte un peu kitsch.
Il paraît que c’était déjà, à l’époque, en 1863, le défaut congénital de cette œuvre car les librettistes n’avaient pas pris au sérieux ce jeune compositeur talentueux… Ainsi le texte invoque Brahma à Ceylan (Sri Lanka) une île qui se caractérise religieusement par le bouddhisme du petit véhicule, ultime refuge de la pensée de Bouddha, née pourtant en Inde au V° siècle avant JC, mais chassée du subcontinent indien par la Reconquista brahmanique…
Des talents prometteurs
Incontestablement le baryton Jérôme Boutillier incarna un Zurga imposant vocalement et scéniquement. Belle diction, musicalité excellente, présence scénique crédible, il campa parfaitement le héros partagé entre l’amour et l’amitié. Grand sommet de la partition (et de la représentation) fut le splendide arioso de l’Acte 3, Nadir tendre ami, véritable résumé de tout l’art du chant français, de Rameau à Berlioz, de Gluck à Gounod. Son sens de la déclamation-chantée et sa projection vocale à travers un maintien noble, lui valurent les applaudissements mérités du public des connaisseurs.
Reinoud Van Michelen, dans la prise de rôle du jeune pécheur Nadir, offrit un ténor vaillant aux sonorités feutrées. Lui aussi a débuté dans le baroque et le classique. Il en conserve les atouts les meilleurs et le sens de la musicalité au service d’un rôle difficile, à la tessiture tendue, exigeant aucune défaillance dans la ligne de chant. La romance je crois entendre encore a été très bien rendue, sans les habituelles scories et rajouts racoleurs des chanteurs chevronnés s’écartant le plus souvent de la pureté du texte et du style. Une belle carrière s’ouvre donc pour lui.
La toulousaine Anaïs Constans dans Leila n’a pas démérité. Cette jeune chanteuse a un réel potentiel. Une belle voix, un sens dramatique, un souci de musicalité. Elle n’a pas pris de risque et a su conduire à bon port sa partition de véritable soprano-dramatique, formant un couple musical fusionnel lors du beau duo avec Nadir à l’Acte deux. Elle possède le charme de la fraîcheur interprétative loin de toutes pauses castafioresques. Sa voix, mieux maitrisée dans certains aigus, pourra gagner encore en musicalité. Le Nourabad de Jacques-Greg Belobo est à féliciter pour sa prestance et son autorité.
Un écrin orientalisant
L’orchestre les chœurs de l’opéra de Toulon et les cinq danseurs ont su être, avec bonheur, l’écrin orientalisant de cette musique élégante sous la direction du jeune chef américain Robert Tuohy qui s’est épanouit progressivement mais prudemment. Certes, cette musique française demanderait un peu plus de vigueur d’implication de la part de la direction musicale pour être proposée à sa juste valeur. Mais soulignons cependant quelques interventions de qualité parmi les pupitres des cors, violoncelles, contrebasses et bois qui ont parsemé l’œuvre de Bizet de traits solistes bien remarqués.
Jean-François Principiano
Dernière représentation Mardi 31 décembre 20h « Les Pécheurs de Perles » de Georges Bizet Direction musicale Robert Tuohy, mise en scène Bernard Pisani, scénographie Alexandre Heyraud, costumes Jérôme Bourdin, lumières Nathalie Perrier.
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