Que ne nous avait-on pas dit lors de la privatisation des chaînes intervenues à l’issue d’un long processus qui avait démarré avec l’éclatement de l’ex-ORTF en 1975 jusqu’à la création de Canal +, sous Mitterrand en novembre 1984, première chaîne privée financée par les seuls abonnés, première banderille dans le monopole d’État.
Le 20 novembre 1985, la Cinq est confiée à Seydoux-Riboud et Berlusconi, le 28 janvier 1986, la Six est concédée à Publicis-NRJ-Gaumont.
« De nouveaux espaces de liberté supplémentaires… » nous étaient promis avait déclaré Mitterrand. Chirac allait s’y atteler dès son accession à la tête du gouvernement de cohabitation, en mars 1986. La droite voulait privatiser deux des trois chaînes publiques d’alors TF1 Antenne2 et FR3.
Ce sera TF1 qu’obtiendra…le groupe Bouygues après moult péripéties, face au favori Hachette-Lagardère pourtant dans la communication. (1) La Commission nationale de la communication et des libertés a tranché.
Léotard, alors ministre de la communication déclarait devant l’assemblée nationale, le 14 mais 1986 qu’il s’agissait « d’éloigner l’État de l’information, de réduire le service public et de favoriser l’existence d’un secteur privé de qualité, c’est-à-dire de création… » Pardi !
Le patron de TF1, version Bouygues, Francis Le Lay, devait se montrer plus terre à terre, en parlant, plus tard de l’objectif « culturel » qui consistait à « vendre du temps de cerveau humain disponible… »pour rendre efficaces les messages publicitaires.
La citation exacte : « dans une perspective ”business”, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit … Nos émissions ont pour vocation (…) de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages… »
Voilà où on en est au moment où les chaînes -encore en partie publiques- comme la 2, la 3, France 4 (la 14), la 5, la 7 (franco-allemande), France O… regroupées dans France-Télévision, restent gratuites mais de plus en plus envahies par la publicité et perdant de plus en plus les retransmissions directes, sportives et culturelles passées sur des chaînes payantes. À plus de 90% ! Sans parler des chaînes thématiques, la plupart privatisées.
Mais les propos, les faits et gestes du gouvernement et de sa majorité restent très bien couverts…aux frais de la princesse et abondamment. Quel qu’en soit le coût. Le pluralisme et les oppositions beaucoup plus discutables et très sélectivement.
Et ce n’est pas la sanction infligées par le CSA au PDG de la maison, Mathieu Gallet, qui suffira à redorer son blason. Avec un gouvernement qui trouve encore que l’audio-visuel public coûte trop cher et qu’il a, lui aussi, besoin de réformer. Sans doute mais dans quel sens ?
Notons que la redevance ne s’est pas réduite avec la réduction du champ de la télé publique, voilà que, désormais, TF1 dénonce la convention qui permettait à Orange de relayer l’ensemble de ses chaînes gratuites et inversement.
Ce qui permettait aux clients des deux opérateurs de bénéficier de l’accès à davantage de chaînes gratuites dont le nombre, du coup, va se réduire encore. Car nous sommes devenus des clients, des consommateurs (voire conso-mateurs) et non plus des usagers pleinement citoyens à qui l’on doit un service au demeurant payé par une redevance.
Voilà donc les téléspectateurs pris en otage, perdant encore ce qui reste d’accès gratuit à des chaînes généralistes parce que les opérateurs font monter les enchères entre eux.
On pourra rétorquer qu’il en reste encore beaucoup, de chaînes gratuites donc accessibles à tous. Mais ce qui intéresse le téléspectateur français, c’est combien en France, non pas par nationalisme mais parce qu’il comprend la langue, il s’intéresse naturellement à sa proximité de vie. Ce qui ne s’oppose nullement à son besoin de comprendre le monde, d’accéder aux autres cultures, aux autres faits qui concernent l’humanité tout entière, son histoire comme sa géographie.
L’un des grands bienfaits de la télévision comme du numérique…c’est de favoriser le rapprochement des peuples, de leurs échanges (pas seulement commerciaux), leur accès aux savoirs, au dialogue, de permettre la solution des innombrables problèmes auxquels nous sommes confrontés mais à des degrés divers. Si on en a la volonté politique.
Réduire la télévision à un usage finalement économique et politique favorable aux pouvoirs en place, tout en proclamant le contraire, en limite sérieusement les potentialités.
Macron, comme tous ses prédécesseurs, a l’intention de réformer l’audiovisuel. Ils ont tous eu de grandes ambitions. Ce qui veut dire, au passage, qu’aucun n’a réussi à faire ce qu’il promettait. Comme pour le chômage. A chaque fois on s’est enfoncé un peu plus dans la privatisation, le rapport économique et financier pour les actionnaires et les annonceurs comme critère. L’audimat comme mesure de l’audience, principale « qualité » !
Macron est d’autant plus attendu au tournant qu’il a parlé de « honte pour la République », s’agissant de l’audiovisuel public dont il veut réduire le budget d’au moins 50 millions, avec regroupements de services voire de stations envisagés. L’austérité quoi ! comme partout … sauf pour les « premiers de cordée ».
Cela fera encore plus de téléspectateurs à deux vitesses : ceux qui ont les moyens de s’abonner à une ou plusieurs chaînes payantes -l’offre est illimitée- et ceux qui ne les ont pas et dont la liberté de choix se trouve amputée. Ils n’osent pas forcément le dire. Ce qui n’empêche pas la redevance d’atteindre 138 euros (+20 euros en dix ans), avec moins de choix.
On n’arrête pas le progrès de marcher…à reculons. Mais on y peut quelque chose.
René Fredon
(1) http://www.mandorine.fr/la-privatisation-de-la-television-francaise-tf1-c-est-du-beton/