Siemens – Alstom sera une entreprise française

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Le PDG de Siemens, Joe Kaeser, a donné un interview au journal « Le Figaro »  daté du 23 Mars 2018, je n’ai pas le sentiment qu’il ait passionné les autres rédactions, je le regrette car il pose bien, à mon sens, les problèmes de l’industrie française et de son avenir.

Nous avons vécu ces trente dernières années avec une compétition intense entre la France et l’Allemagne tandis que nous célébrions par ailleurs le « couple franco-allemand » qui dirigeait l’Europe et que nous mettions en exergue la coopération de l’aéronautique autour de l’Airbus devenu l’exemple à suivre pour l’ensemble de notre appareil de production. Beaucoup d’entreprises françaises se sont développées en Allemagne, et également dans l’autre sens, nos économies sont totalement imprégnées, et l’on peut dire que dans certaines régions frontalières il devient même difficile de déterminer qui est qui . Mais tandis que l’industrie allemande continuait à progresser en augmentant son importance dans le PIB du pays, la notre régressait environ de moitié ! Beaucoup ont voulu y voir une volonté de pouvoir des entreprises allemandes, on sait que je ne suis pas de cet avis et que je pense que ce sont  nos dysfonctionnements qui ont la responsabilité majeure dans cette évolution. C’est pourquoi je demande à tous les responsables économiques de faire le diagnostic de l’affaire Alstom et d’essayer d’en tirer les conséquences.

Tout d’abord, au moment où le chef d’entreprise d’Alstom décide de jeter l’éponge et de vendre 70% de son activité( l’énergie) aux Américains de General Electric, il apparait que l’hostilité du corps social français se porte sur le concurrent allemand, Siemens ! Dans ces domaines de l’énergie et du ferroviaire, c’est l’histoire de nos deux pays qui a été mal digérée et qui refait surface. J’ai pu mesurer cet écueil fondamental lorsque j’étais Président de la SNCF, les techniciens d’Alstom d’alors méprisaient les efforts de leurs voisins considérant qu’ils possédaient une avance indiscutable et éternelle grâce aux exploits célébrés dans le monde entier. L’arrogance était de mise, elle est toujours de mauvais augure, on ne s’en méfie jamais assez. Plus près des décisions que j’ai par la suite combattues (sans succès), j’ai voulu remettre le sujet de la coopération entre les deux groupes, et je me suis fait rappeler sévèrement à l’ordre, comme un grand nombre de responsables français qui avaient des amitiés outre-Rhin. L’envolée des désirs d’Alstom vers l’outre-Atlantique avait même à certains moments des accents antigermaniques glaçants.

Il est clair aujourd’hui que la bonne solution pour notre pays était bien celle d’un rapprochement d’ensemble avec Siemens et que , comme le fait remarquer Joe Kaeser, le troisième partenaire envisagé, Mitsubishi, convenait parfaitement à l’avenir du secteur nucléaire. Pour un industriel responsable,  le nom d’Alstom est internationalement lié à l’excellence dans le ferroviaire, l’hydraulique et le nucléaire, et il convient de conserver le caractère « français » pour augmenter les chances de conquérir les marchés internationaux. En ce qui concerne le seul morceau qu’il a pu acheter, pour l’instant, à savoir le transport ferroviaire, il annonce donc clairement que « Siemens -Alstom sera une entreprise française, avec un siège en France, cotée sur le marché français …mais qui va bénéficier du bouclier Siemens…qui aura la majorité du capital » .

Et nous revenons là , grâce à la franchise du Président de Siemens, aux origines du mal français industriel. Nous avons voulu sauver l’entreprise Alstom et nous avons oublié qu’elle vivait dans un monde cyclique et qu’il lui fallait donc des ressources en fonds propres, un adossement à un ensemble susceptible de lui faire passer les mauvaises années en poursuivant ses investissements et ses dépenses de recherche-développement. En d’autres termes nous avons voulu faire du capitalisme sans capital et le résultat, malgré un carnet de commandes bien  garni a été une vente par appartements d’un fleuron du génie national . Si nous continuons à ne pas vouloir flécher notre épargne vers le monde industriel, nous ne sommes qu’au début de nos problèmes. Nos voisins allemands, les industriels, en sont bien conscients, et ne s’en réjouissent pas, ils ont trop le souci de leurs concurrents réels,  Chine, USA, Inde … ils voudraient que nous prenions du muscle  « l’Europe a besoin de parler d’une seule voix pour protéger ses intérêts face aux superpuissances » .

Il ne fallait pas se tromper , et c’est ce que nous avons , hélas, fait. La difficulté que les bureaucrates européens ont à considérer que la concurrence est désormais hors d’Europe a été aussi pour beaucoup dans nos erreurs passées. Nous n’aurons pas toujours des dirigeants comme Joe Kaeser pour avoir la vision de l’avenir qui maintient en France les centres de décision après absorption d’entités. Nous devons aussi prendre notre destin en mains et ne pas attendre que ce soient les allemands ou d’autres qui viennent investir dans nos entreprises , car nous observons tous les jours avec General Electric ce qu’il en coute des décisions qui ne privilégient pas un partenariat avec des entreprises européennes. Malgré nos différences nationales, malgré des guerres nombreuses, nous avons un fond culturel commun apte à des coopérations fructueuses dans le respect de nos identités. C’est ce que le Président de Siemens nous propose, il aurait été plus conforme aux intérêts de la France  de faire la négociation d’ensemble il y a trois ans entre égaux avec une société Alstom soit réellement adossée à Bouygues, soit recapitalisée, nous avons préféré collectivement l’outre Atlantique et le rêve d’une société française à produits uniques cycliques, nous connaissons le résultat. Il est visiblement difficile pour nous de passer dans le monde réel .

Loïk LeFloch-Prigent

 

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