Renflouement d’Areva : les « élites » françaises s’entêtent… avec l’argent public

0

Ce n’est pas nous, qui l’avons combattue depuis des années (*) pendant que tant d’autres l’encensaient, qui chercherons à dédouaner Mme Lauvergeon de ses lourdes fautes commises à la tête d’Areva. Cependant, il est trop facile de la désigner comme seule responsable du désastre industriel et financier de la filière nucléaire.

Ce n’est pas seulement une question de morale : le problème est que les « élites » françaises – dirigeants industriels, politiques, mais aussi de nombreux éditorialistes de la presse – masquent leurs responsabilités pour mieux renouveler leur soutien irrationnel à la filière nucléaire, pourtant totalement archaïque et sans avenir.

Les promoteurs de l’atome ne se cassent d’ailleurs pas la tête pour trouver des arguments : tout comme Mme Lauvergeon au début des années 2000, ils tentent à nouveau d’instrumentaliser la question du climat, s’appuyant en particulier sur la prochaine « Cop21 », le Somment mondial de Paris en décembre prochain.

Ainsi, émettant peu de co2, l’énergie nucléaire serait un outil incontournable pour « sauver la planète ». Nous ne développerons pas ici le caractère absurde de cette option (soigner la peste par le choléra ne sauve pas le patient !), il suffit largement de regarder l’évolution des données de l’énergie.

Ainsi, la part du nucléaire dans la production mondiale d’électricité est passée de 17,1% en 2001 à 10,9% en 2012(**). A titre de comparaison, les énergies renouvelables sont déjà à 21,2%, le double. La part de l’atome est donc l’objet d’un véritable effondrement commencé bien avant Fukushima… et qui va inexorablement continuer.

En effet, la grande majorité des 400 réacteurs encore en service sur Terre a dépassé les trente ans d’âge et s’approche de la fin de vie. D’ailleurs, pas moins de cinq réacteurs viennent d’être définitivement fermés aux USA (***), trop dégradés et/ou tout simplement non rentables.

Il est en effet toujours possible, comme entend le faire EDF en France, de rafistoler les réacteurs (à grands frais toutefois) pour prolonger leur durée de vie. Mais, outre la démultiplication du risque de catastrophe, cela rend l’électricité nucléaire tellement chère que les propriétaires de centrales préfèrent en rester là : deux des cinq réacteurs américains fermés venaient en effet d’obtenir 20 ans de durée de vie en plus.

D’ici une dizaine d’années – autant dire demain matin lorsque l’on parle d’énergie – les réacteurs nucléaires français seront majoritairement à l’arrêt. Il est d’ores et déjà trop tard – tant mieux ! – pour les remplacer par de nouveaux réacteurs, lesquels seraient de toute façon impossibles à financer, sans oublier qu’EDF et Areva s’avèrent incapables d’en construire un seul (respectivement en Finlande et à Flamanville).

Les promoteurs de l’atome, le gouvernement en tête, s’accrochent encore à l’idée d’exporter des centrales, prétendant que divers pays sont intéressés. Il est vrai que l’on compte de nombreux effets d’annonce avec tambours et trompettes – il faut croire que les chefs d’États, souvent des autocrates, croient encore se donner du prestige en prétendant accéder au nucléaire – mais il y a presque autant d’annulations… beaucoup plus discrètes.

Qui plus est, contrairement à un mythe entretenu dans l’opinion, l’industrie nucléaire française est totalement déconsidérée par ses échecs successifs. Or, d’autres pays proposent des réacteurs (Russie, Chine, Corée du Sud, etc) et ont beaucoup plus de chance de décrocher les rares projets qui se concrétiseront.

En résumé, la filière nucléaire française est dans l’impasse et n’a aucune perspective de sauvetage. Areva a certes encore du travail pour l’entretien d’une partie du parc nucléaire mondial, mais il ne faut pas se laisser tromper par ce qui n’est que la queue de la comète, les derniers feux d’un monde finissant.

Il est donc totalement insensé d’augmenter encore les factures d’électricité des Français pour permettre à EDF de racheter une partie des activités d’Areva, de tenter de mettre au point un prétendu EPR-NM (« nouveau modèle ») qui sera aussi défaillant que le précédant, de creuser encore les déficits incommensurables des deux entreprises. Et c’est sans parler des dépenses incalculables à venir pour le démantèlement des centrales et pour les déchets radioactifs, qui vont inévitablement être couvertes par l’argent public.

Au contraire, il faut profiter de ce que la majorité des salariés du nucléaire arrivent en fin de carrière pour réduire sensiblement les effectifs sans avoir besoin de licencier. C’est une « fenêtre de tir » unique qu’il ne faut surtout pas laisser passer, et qui peut encore permettre de basculer dans l’ère des économies d’énergie et des énergies renouvelables, bien plus créatrice d’emplois. Qui plus est des emplois qui ne nécessitent pas d’être irradié pour gagner sa vie.

Du fait de la catastrophe de Fukushima, le Japon, pays pourtant très consommateur d’énergie, a fermé ses 54 réacteurs nucléaires en environ un an. La France, qui compte à peu près le même nombre de réacteurs (58), peut donc faire de même, d’autant qu’elle compte deux fois moins d’habitants.

Bien entendu, ce n’est pas cela qui règlera les questions du climat et de l’accès de tous à l’énergie. Mais rester dans l’impasse nucléaire n’arrangerait rien, bien au contraire. Au final, chacun le sait bien, la seule solution serait que les Humains deviennent raisonnables et cessent de surexploiter la planète et leurs contemporains. Là est bien le noeud du problème, et ce n’est pas le nucléaire, avec ses catastrophes, ses déchets radioactifs, ses bombes atomiques, qui arrangera quoi que ce soit…

Stéphane Lhomme
Directeur de l’Observatoire du nucléaire
http://www.observatoire-du-nucleaire.org

(*) Video du 16 novembre 2004, France europe express, France3.
(**) Key world stat energy (Agence internationale de l’énergie): http://bit.ly/1czjKVd , page 24.
(***) Crystal River 3, San Onofre 1 et 2, Kewaunee 1 et Vermont Yankee

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.