Rencontre accessoirement littéraire avec Frédéric Masquelier.

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Frédéric Masquelier est le Maire de Saint-Raphaël depuis 2017, réélu en 2020 avec 57,14% des suffrages exprimés, Président de l’Agglomération Estérel Côte d’Azur, avocat, docteur en droit. Ça vous pose un homme !

Il aurait pu comme beaucoup d’autres politiciens confier à un plumitif le soin de nous raconter son histoire enrichie d’anecdotes et de quelques piques à destination de ses coreligionnaires … Il n’en est rien sauf peut-être page 236.

Frédéric Masquelier vient de publier un livre aux éditions Hermann qui est une réflexion sérieuse sur l’administration et ses dérives bureaucratiques.
Dans un pays où les dépenses publiques avoisinent les 56% du PIB hors Covid, Frédéric Masquelier nous propose une étude approfondie de la complexité de l’organisation bureaucratique de notre pays.
Sujet aride s’il en est, l’auteur sait parsemer son argumentaire de quelques citations et de notes qui ne manquent pas d’humour. Par exemple page 132 il cite Georges Clémenceau « La France est un pays très fertile : On y plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts ». Mais ne nous y trompons pas, il ne s’agit pas d’un réquisitoire contre la fonction publique. L’homme devenu maire sait bien que sans services publics … il n’y a pas de République. L’auteur nous propose une réflexion approfondie sur cette machine implacable, sur cette hydre qui, au fil du temps, a su occuper la place laissée libre par des politiciens sans courage, trop préoccupés par les prochaines élections. Normes, certifications, cabinets d’experts … autant d’outils qui renforcent le poids de l’administration face à des élus résignés dans leur grande majorité.

Entré au conseil municipal de Saint-Raphaël comme conseiller municipal en charge du numérique au début du siècle, dans cet ouvrage il s’intéresse tout particulièrement à l’arrivée du numérique et de l’Intelligence Artificielle dans la bureaucratie avec le risque qu’elle devienne une démocrature, si nous n’y prêtons pas attention.

Dans son chapitre X, nous avons trouvé un point commun entre l’auteur, Karl Marx et Jean Paul II. Comme Karl Marx dans Le Capital livre 3, Jean-Paul II dans une de ses encycliques, l’auteur préconise de remettre l’Homme au cœur de nos préoccupations pour encore croire en un monde meilleur.
Il y a bien longtemps que nous n’avions pas lu un livre de cette qualité de la part d’un homme politique de la région. En plus d’être intéressant, Frédéric Masquelier est disponible puisqu’il a pris le temps de répondre à nos questions. Qu’il en soit ici remercié.

Laurent di Gennaro

Tv83.info : Pourquoi avoir écrit ce livre ?

Frederic Masquelier Maire de Saint-Raphaël

Frédéric Masquelier : L’idée de ce livre est venue en décembre 2020, après une discussion avec mon homologue de Cannes, David Lisnard, qui dénonçait une bureaucratie sclérosante. Il m’a semblé que j’avais aussi des choses à dire. J’ai lu de très nombreux ouvrages sur le sujet – dont celui référence de Max Weber – mais aucun ne permettait réellement de comprendre comment un employé de bureau pouvait avoir plus de pouvoir qu’un maire ou un président de département, sans jamais avoir été élu. La crise sanitaire, avec son florilège d’absurdités, de ratés, de restrictions, a accentué cette impression d’une bureaucratie étouffante, impuissante, inutile, très éloignée des préoccupations quotidiennes et de la vie réelle. J’y ai été confronté en tant que maire de Saint-Raphaël et Président de l’agglomération Esterel Côte d’Azur qui compte 116 000 habitants. De là a germé le projet de ce livre où j’ai souhaité mêler des analyses argumentées, chiffrées, étayées avec un ressenti plus personnel. J’y dénonce les excès de cette bureaucratie, qui existent dans les principales administrations, la police, la justice, l’éducation nationale, l’environnement. J’y apporte des solutions, sans pour autant verser dans la caricature. Ce n’est pas un livre contre l’administration en général, qui est nécessaire et qui existe depuis les Égyptiens, avec les scribes, mais contre la mainmise de cette administration sur le politique et sur les citoyens.

Tv83.info : Saint Raphaël est la première et peut-être la seule ville en France à s’être dotée en mars 2022 d’un référent anti-bureaucratie. Quel est l’objectif de ce poste ? Quels sont les premiers résultats ?
Frédéric Masquelier : Il s’agit en effet d’une première en France. J’ai fait le constat que les élus locaux produisent, eux aussi, un certain nombre de normes, ils ont donc le pouvoir de lutter efficacement contre la bureaucratie. En février dernier, nous avons donc désigné un référent anti-bureaucratie, Monsieur Frédéric Heudiard, 7ème adjoint délégué aux relations avec les usagers du service public. Son rôle est d’alléger le quotidien des 35 000 habitants de la commune en fluidifiant les procédures administratives qui sont souvent excessivement longues et incompréhensibles pour les administrés. Ces derniers sont souvent renvoyés de service en service, perdus entre la municipalité, l’agglomération ou le conseil départemental, qui se renvoient la balle au lieu de passer à l’action. Le référent anti-bureaucratie doit également relever les dysfonctionnements, retards, blocages, excès de règlementations qui pèsent sur les citoyens. Tous les Raphaëlois peuvent le saisir s’ils estiment être pénalisés par un excès de lenteur ou une absence de réponse. Depuis février, une dizaine de dossiers a déjà été traitée, avec l’objectif de simplifier et d’accélérer, dans l’intérêt des usagers. Ce référent a, par exemple, facilité l’ouverture d’un cabinet de kinésithérapie en centre-ville dont le dossier était bloqué pour des problèmes administratifs. Il est également sollicité sur des questions d’urbanisme dont la réglementation est complexe.

Tv83.info : La France compte 400 000 normes, 11 500 lois, 80 codes et 130 000 décrets. Est-ce bien raisonnable ? à qui la faute si ce n’est aux politiciens ?
Frédéric Masquelier : La France est en effet championne du monde des normes, lois et décrets. C’est à la fois dû à notre histoire – une très forte centralisation – et à l’emprise croissante de la bureaucratie qui s’est transformée en « bureaucrature », c’est-à-dire en une dictature des bureaux. Les bureaucrates, aidés par les experts, empilent des normes sans que leur justification soit évidente. C’est un système qui s’autoalimente, une norme ou une loi venant défaire, compléter ou complexifier celles existantes. Les domaines de la santé ou de l’environnement sont à ce titre édifiants ! Le politique a évidemment sa part de responsabilité. Et contrairement à une idée reçue, les nouvelles technologies et le numérique ont accéléré le phénomène et n’ont pas contribué à diminuer leur nombre, mais à les diffuser plus rapidement.

Tv83.info : Le politique par manque de convictions et/ou de courage n’est-il pas co-responsable de la sclérose bureaucratique ?
Frédéric Masquelier : Tout le système est à revoir, il n’y a pas de remède miracle. Il faudrait réformer l’État et redéfinir ses missions et surtout faire davantage confiance aux élus locaux. La bureaucratie c’est quoi ? C’est la mise à l’écart du politique et du citoyen par le pouvoir des bureaux, qui n’ont aucune légitimité démocratique. Le politique a bien sûr une part de responsabilité dans cet état de fait car il a laissé faire, par connivence ou par manque de courage. Le politique doit reprendre la main sur les bureaux et sur les experts, il doit inverser le processus, sous peine d’être englouti dans un monde kafkaïen qui entrave nos libertés et notre initiative individuelle. La bureaucratie ne doit pas être un « objet autonome », sans contrôle, elle doit être à nouveau au service de la décision politique. Cela demande du courage et de la responsabilité, cela comporte des risques – dont celui de perdre une élection – mais c’est la seule voie possible. La priorité, c’est de remettre l’humain au cœur du système. En tant que maire, je m’attache à faire en sorte que les politiques publiques se fassent avec les citoyens.

 

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