Pour retrouver une électricité bon marché, il faut se défaire des exigences de Bruxelles

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TRIBUNE COLLECTIVE PARUE DANS LE FIGARO

Il est urgent de suspendre le mécanisme européen d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) afin de retrouver une électricité dont le prix est aligné sur son coût de production.

Alors que l’énergie est dans les traités un domaine réservé des États, la France a accepté en 1996 la directive européenne définissant les modalités du marché unique de l’électricité. Soucieuse que nos entreprises continuent à bénéficier du faible coût de l’électricité nucléaire, elle a néanmoins maintenu les tarifs régulés de vente de l’électricité (TRVE), en contradiction avec la réglementation européenne. Une procédure fut même ouverte par Bruxelles pour s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’aides d’État.

La commission Champsaur, mise en place pour remédier à cette procédure, a proposé en 2009 qu’EDF cède une partie de sa production à d’autres fournisseurs pour amorcer une concurrence sur le marché de l’électricité. En 2010, la loi Nome (nouvelle organisation du marché de l’électricité) introduit l’Arenh (accès réglementé à l’électricité nucléaire historique): EDF devra vendre 25 % de sa production (100 TWh) au prix fixé de 42 €/MWh, inférieur au coût complet du nucléaire.

Cette commission précisait notamment que «la régulation doit inciter, à terme, les nouveaux acteurs à investir dans des moyens de production (…). Une concurrence sur la fourniture d’électricité qui dépendrait durablement et exclusivement d’un approvisionnement auprès d’EDF ne doit pas être considérée comme une solution soutenable.» Il n’en a rien été. La centaine de «fournisseurs alternatifs» qui se sont installés dans ce fromage ne sont en fait que des traders qui ne produisent que des factures.

Explosion des prix de l’électricité
Jusqu’en 2021, les prix de marché étant plus faibles que celui de l’Arenh, ces fournisseurs font des offres à un prix inférieur au TRVE d’EDF et prennent mécaniquement des parts de marché à l’acteur historique. Certains ont même dénoncé leur contrat d’approvisionnement lorsque, en 2020, les prix sur le marché spot, très abondant, étaient déprimés.

Un an plus tard, ce dernier se tend avec des prix de marché qui atteignent 600 €/MWh. Les «fournisseurs alternatifs», incapables de respecter leurs engagements contractuels vis-à-vis de leurs nouveaux clients, se précipitent sur l’Arenh pour réclamer 160 TWh.

C’est cette demande d’Arenh supplémentaire de la part de cette centaine de «producteurs de factures» qui a provoqué l’explosion des prix de l’électricité. En effet, chaque semestre, la commission de régulation de l’énergie (CRE) fixe l’évolution des tarifs régulés de vente de l’électricité. Ils sont déterminés sur la base de 70 % d’Arenh quand la demande afférente est inférieure à 100 TWh, et d’une proportion décroissante quand la demande excède ce plafond. Le complément est indexé sur les prix de marché.

C’est ainsi que le tarif applicable à partir du 2 février 2022, avant l’invasion de l’Ukraine, conduisait à une augmentation artificielle de 45 % des prix régulés en France pour les particuliers. Difficilement imaginable à deux mois d’une élection présidentielle! D’où la mesure imaginée par le gouvernement pour limiter cette augmentation à 4 %: la différence sera compensée par une réduction des taxes sur l’électricité (8 milliards d’euros à la charge des contribuables) et par une augmentation de 20 TWh du volume de l’Arenh, soit une perte évaluée à 8 milliards d’euros pour EDF, qui a dû racheter l’équivalent sur le marché à un prix prohibitif pour pouvoir vendre à 46 €/MWh son électricité et permettre à ses «concurrents» de survivre.

Suspendre sans délai et compenser l’Arenh
Avec la tension sur les capacités de production françaises et la pénurie de gaz suite à l’invasion de l’Ukraine, les prix spot ont encore atteint des sommets en 2022. Au 2 février dernier, avec une demande de 150 TWh pour 100 TWh disponibles, les TRVE sont alors censés… doubler! Non seulement inacceptable mais impraticable, sauf à mettre une grande partie de l’économie française, déjà affaiblie, à genoux.

Grâce à un bouclier tarifaire, le gouvernement a donc décidé de «limiter» l’augmentation des tarifs régulés à 15 %, ce qui selon certaines estimations coûtera au contribuable une centaine de milliards, soit une quinzaine d’EPR 2. Les entreprises quant à elles ont vu leur facture multipliée par trois, quatre, voire dix!

Sans ce calcul ubuesque de l’Arenh imaginé par la France pour se conformer aux exigences de Bruxelles, le marché européen de l’électricité n’exercerait qu’une influence marginale avec des prix de marché représentant moins de 10 % du prix final contre plus de la moitié aujourd’hui.

Comment justifier une telle dérive alors qu’EDF produit 90 % de nos besoins en électricité à un coût de production de 6 centimes par kWh – un chiffre stable depuis trente ans? Il faut suspendre sans délai et compenser l’Arenh pour retrouver une électricité bon marché alignée sur son coût de production.

La loi Nome prévoit qu’«en cas de circonstances exceptionnelles les ministres chargés de l’Énergie et de l’Économie peuvent, par arrêté conjoint, suspendre le dispositif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique et la cession par EDF de tout ou partie des volumes d’électricité correspondant à ce dispositif». Nul doute que la crise économique provoquée par l’explosion des prix de l’électricité constitue une «circonstance exceptionnelle».

Faire croire que l’Arenh est dans l’intérêt du consommateur français et de la compétitivité de nos entreprises est une imposture. Aujourd’hui, ce système ne sert qu’à sauver ceux qui se sont enrichis sur le dos des consommateurs en suçant le sang d’EDF. Ce mécanisme a fait la preuve de son échec: il est temps de mettre fin au carnage qui décime nos TPE et PME, dont les défaillances sont au plus haut depuis huit ans.

* Signataires: Arnaud Montebourg, entrepreneur, ancien ministre de l’Économie et du Redressement productif ; Raphaël Schellenberger, député, président de la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France ; Henri Proglio, ancien PDG de Veolia et d’EDF ; Loïk Le Floch-Prigent, industriel, ancien PDG de GDF, d’Elf et de la SNCF ; Hervé Machenaud, ancien directeur exécutif d’EDF ; Nicolas Meilhan, entrepreneur, ancien conseiller scientifique à France Stratégie.

 

 

Loïk Le Floch-Prigent

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