Opéra de Toulon : Turandot en État de Grâce

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Amadi Lagha

Grand succès  public pour l’œuvre inachevée de Puccini donnée à l’Opéra de Toulon mardi 29 janvier. Salle comble et ovation pour les trois principaux protagonistes, le ténor Amadi Lagha, la soprano dramatique Gabriela Georgieva et la soprano Adriana Gonzalez.

Une mise en scène symbolique et épurée.

federico Grazzini

La présentation de cette œuvre célèbre de Giacomo Puccini (1926) était confiée au metteur en scène Italien Federico Grazzini dans une belle production niçoise utilisant le final récent de Luciano Berio (2002).Trois qualités méritent d’être soulignées. Tout d’abord le dépouillement lyrique  gommant la chinoiserie trop facile ; ensuite la lisibilité théâtrale d’un modernisme bien tempéré ; enfin la ligne symbolique d’ensemble conduisant des ténèbres vers la lumière, sorte de rédemption de la princesse cruelle par l’amour vainqueur. Beaux costumes sobrement orientalisant de Valeria Donata Betella et  subtiles projections vidéos expressives de Luca Scarzella ont contribué à la féérie du drame.

Une direction d’orchestre précise.
Jurjen Hempel s’avère être un grand chef lyrique. Certes il bénéficie d’une phalange qui a beaucoup changé sous l’influence italianisante bénéfique  de Giuliano Carella, mais il apporte une précision des attaques, une ampleur des choix, une lisibilité parfaite de la partition. Hempel a une formation de chef de chœur et de chef de musique symphonique et contemporaine ce qui contribue à nourrir sa culture de direction d’opéra. Il n’y a qu’à écouter sa direction du deuxième acte et notamment de  la scène du trio Ping, Pang et Pong. Il a su mettre en valeur (sans esbroufe) toutes les qualités de l’orchestration du dernier Puccini ou les influences de Moussorgski, Debussy ou Stravinski se combinent avec un épanchement proprement latin des  lignes de chant.

Un plateau vocal de haut niveau.
Madame Gabriela Georgieva spécialiste du rôle de la Princesse cruelle envoyant à la mort ses soupirants a chanté d’un timbre clair et mordant le difficile In questa Regia. Elle s’est jouée des difficultés redoutables du rôle au deuxième acte (deux contre-ut en pleine puissance avec tutti d’orchestre et chœurs). Bien dirigée, Georgieva a caractérisé le rôle-titre avec efficacité impegnativa et profondeur.

Liu d’Adriana Gonzalez est apparue l’exact contrepoint de l’altière princesse. Particulièrement émouvante dans son Signor Ascolta ou dans la scène finale, ultime travail de la main de Puccini emporté par  le cancer à la gorge laissant l’œuvre inachevée.

Mais peut-être le triomphateur de la soirée fut le ténor Italo tunisien  Amadi Lagha. Voix puissante, large aux nuances judicieuses. Sa rigueur interprétative est admirable. Ainsi nous avons bien noté son magnifique contre-ut (facultatif mais de rigueur) sur la phrase  « No No principessa altera  ti voglio tutta  ardente d’amore ! » et son  splendide et insolent « Nessun dorma », justement acclamé !

Mention spéciale  très positive  pour les trois Ping, Pang, Pong en courtisans veules et rêveurs Fréderic  Gonçalvès, Antoine Chenuet et Vincent Ordonneau. Bonne tenue vocale et scénique de Luiz Ottavio Faria , Olivier Dumait et Sébastien Lemoine. Dans cette œuvre les chœurs sont omni présents. Ils ont été magnifiés par Hempel, sans décalages ni fautes d’intonation.

Le Final de Berio
Sans avoir l’efficacité vériste  de celui d’Alfano il a le mérite de correspondre  davantage aux intentions de Gozzi-Puccini. Remarquablement orchestré, il sonne comme le chainon manquant entre la modernité de Puccini (qui avait fait le voyage de Lucca à Florence pour assister à la première italienne du Pierrot Lunaire de Schoenberg) et les expériences orchestrales du premier Berio.

C’est sur des applaudissements bien nourris que tout ce beau monde  retrouva la prosaïque vie après cette féérie  vocale et  théâtrale. Refermant ce beau conte ou l’amour triomphe de la mort, on reste bouleversé par l’audace musicale de cette œuvre grandiose, aux sonorités orientales, où les chœurs occupent une place centrale et où les voix émergent tantôt cruelles, tantôt bouleversantes, toujours admirables. Inachevée, elle gardera toujours son mystère et la saveur de l’incomplétude  comme ces marbres de Michel-Ange qui se dégagent avec force de leur gangue primordiale. « Il suo mistero e chiuo in se ! »

Jean François Principiano.

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