Norma de Bellini ou le triomphe de la diva

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À la jonction du  néo-classicisme et  du romantisme naissant, Norma, composée par Vincenzo Bellini (1801-1835) est l’opéra le plus célèbre de ce compositeur mort très jeune à Paris. L’œuvre fut créée triomphalement à  la Scala de Milan en 1831  avec les meilleurs chanteurs du moment (Giuditta Pasta,  Giulia Grisi, Giovanni Battista Rubini et  Luigi Lablache).

L’œuvre s’inspire d’une tragédie d’Alexandre Soumet intitulée Norma ou l’infanticide empruntant beaucoup aux Martyres de Chateaubriand (1809) et au mythe de Médée. Le livret de Felice Romani a été salué par Wagner qui y voyait « la quintessence moderne du drame antique ».

Un péplum romantique
Acte 1 lors de la conquête de la Gaule Orovese père de la druidesse Norma convie les Gaulois à gravir la colline sacrée pour invoquer la lune (« ite sul colle »).

Le Proconsul Romain Pollione, qui a eu deux enfants de Norma, aime désormais la jeune prêtresse Adalgisa mais il a eu un songe funeste (« Meco all’altar di venere »).

Paraît Norma qui exhorte les Gaulois à la patience (« Sediziose voci ») en attendant l’heure d’attaquer les romains. Elle invoque la déesse lune (« Casta diva ») puis elle se réjouit du retour de son bien aimé (« ah bello »).

Adalgisa survient emplie de remords (« Sgombra é la sacra selva ») rejointe par Pollione qui l’invite à fuir avec lui à Rome (« Vieni a Roma »).

Chez elle  Norma s’inquiète du silence de Pollione. Adalgisa vient la consulter sur sa passion coupable (duo « Sola furtiva »), mais Pollione en apparaissant se dénonce comme étant l’objet de cette passion. Norma laisse éclater sa fureur et met en garde Adalgisa.

Acte II Norma lève le poignard sur ses enfants, mais ne peut se résoudre au geste (« Teneri figli »). Elle appelle Adalgisa et souhaite lui confier ses enfants avant d’aller expier cet amour que sa condition de prêtresse lui interdisait (duo « Mira o Norma »).

Dans la forêt sacrée, Orovese se prépare au combat avec les guerriers Gaulois (« Ah del Tebro »). Norma attend le retour de Pollione, mais apprenant que celui-ci a tenté d’enlever Adalgisa, elle pousse les Gaulois à massacrer les Romains. Seule avec Pollione (« In mia man alfin tu sei ») elle le supplie d’oublier Adalgisa, mais devant son refus, décide de les envoyer tous deux au supplice. Puis prise de repentir elle se désigne comme victime expiatoire et monte au bûcher, transfigurée, avec Pollione.

Le sens de l’œuvre
Norma constitue sans doute un des opéras majeurs du XIXe siècle. Son originalité réside dans le fait d’être une tragédie classique que Bellini traite avec des moyens purement romantiques. Les personnages y agissent en fonction de leur sensibilité. Norma, troublée par un conflit triangulaire (amour divin, amour humain, amour maternel), est une sorte de Médée chargée d’humanité. Adalgisa, au contraire, est toute d’innocence et de fragilité.

L’opéra italien des années 1810-1850 s’est épanoui dans l’équilibre sans cesse renouvelé entre la tradition classique – perçue comme un élément identitaire de la culture nationale italienne, mais également suspecte en tant qu’expression d’un temps  aristocratique à dépasser – et le goût romantique universaliste. Son message a nourri une centaine de grandes œuvres de Spontini, Rossini, Donizetti, Bellini, Mercadante, Boito jusqu’à  Verdi. Toutes décrivent à des degrés divers la condition humaine partagée entre des aspirations spirituelles  élevées et des pulsions matérielles irrépressibles.

La douleur est constitutive de la nature humaine et de sa grandeur. Dans Norma, Romani et Bellini parviennent à faire de ces deux tendances les pôles d’une dialectique dramaturgique renouvelée. Les ingrédients esthétiques de cette synthèse aboutissent, au bout d’un parcours tourmenté, à la récupération du modèle tragique et de sa vision du monde, propre à l’idéal héroïque du Risorgimento. Chacun doit aller au bout de son destin.

L’art de Bellini
Techniquement, la partie vocale de l’opéra exige des interprètes rompus à l’art du chant, surtout l’héroïne, soprano aux aigus puissants se conjuguant avec les teintes sombres d’une mezzo.

Aucune musique n’est aussi purement mélodique que celle de Bellini ; son lyrisme semble couler naturellement d’une source inépuisable très pure. Elle fut admirée par son contemporain Chopin. Pourtant le bel canto épouse toujours le texte dans un juste équilibre entre musique et théâtre, préfigurant  ainsi la réforme wagnérienne de l’Opéra.

L’air d’entrée de Norma, Casta diva, est l’exemple le plus célèbre de cet art. Durant le prélude, le chant éperdu de la flûte s’élève sur un accompagnement élégiaque des cordes. C’est un moment exceptionnel, où le temps se trouve comme suspendu. Suspendu pour l’adoration de la lune dans la forêt sacrée, mais suspendu aussi en raison de l’hésitation de Norma entre les Gaulois et les Romains ou plus exactement entre sa patrie et son amour pour le beau proconsul.

Une œuvre novatrice.
On a trop souvent dit que Bellini était uniquement un mélodiste, chez qui l’inspiration de la ligne vocale masquerait la pauvreté des structures harmoniques et ferait oublier une orchestration banale. Quelle erreur ! Dans le final de l’œuvre les voix de Norma, de Pollione et d’Orovese sont soutenues par le chœur dans un chromatisme élaboré ; les progressions harmoniques et l’écriture vocale et orchestrale y préfigurent certaines pages de Wagner.

Dans l’air célèbre Casta diva on remarque immédiatement, bien sûr, la ligne de chant d’une beauté exceptionnelle, mais aussi on perçoit l’opposition entre  la mélodie principale et les interventions assourdies du chœur donnant à la déclamation lyrique une palpitation sublime.

Mais plus encore que dans les airs, c’est dans les duos tels que celui de Norma et Adalgisa au premier acte qu’éclatent la pure virtuosité vocale et la richesse de l’expression des sentiments.

Les qualités dramatiques  du livret soulignent le sens profond de l’œuvre. Elles mettent en relief les deux aspects antinomiques du personnage de Norma- prophétesse inspirée, mais aussi mère et amante trahie ; elles lui opposent le personnage très nuancé, mais non moins douloureux d’Adalgisa : deux rôles de première importance dans toute l’histoire du théâtre lyrique, et qui exigent des interprètes d’exception. Le personnage de Pollione prend toute sa grandeur lorsqu’il redécouvre la noblesse de Norma à l’instant de son autodénonciation (« Ah troppo tardi ti ho conosciuta sublima donna ! » Trop tard je te découvre, femme sublime)

Cet opéra à l’aube du romantisme italien fait encore appel à certains échos du belcantisme classique de Vivaldi ou Haendel tout en réclamant de l’héroïne une force tragique peu commune. Le rôle de Norma, un des plus écrasants du répertoire, n’a que rarement trouvé une interprète à sa mesure ; après sa créatrice  Giuditta Pasta citons Callas et Joan Sutherland ou Montserrat Caballé.

Jean François Principiano.

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