Splendide récital de Jean-Marc Luisada au théâtre Denis consacré à Mozart, Schumann et Schubert.
C’est donc une initiative heureuse de la Ville de Hyères qui a déroulé son charme vendredi autour d’un des plus grands représentants de l’école française du piano.
Après une présentation sobre et élégante de François Carassan qui soulignait avec chaleur les nécessités de la musique et de la culture. Jean Marc Luisada se présenta tout sourire devant un théâtre comble.
Une intériorité lyrique
Le récital débuta avec la Sonata alla turca de Mozart. Abordant l’œuvre dans un tempo soutenu, sans virtuosisme artificiel, Luisada installa un climat fait de clarté classique et d’épanchement pré romantique. La qualité du toucher reste inégalable. On nota également ce sens des ruptures rythmiques et cette lisibilité impeccable. On comprend l’immense qualité de cet artiste qui est aussi un des meilleurs pédagogues actuels : une interprétation constamment nourrie de sa lecture continuelle de la vérité des textes. Utilisant la partition durant le récital, il y retrouve sans doute toute une vie de réflexions et de recherches.
Jeunesse, maturité et méditation sur la mort.
Dans son introduction François Carassan avait dressé la toile de fond de ce récital placé sous le signe du plan de vie qui nous conduit tous vers la vérité ultime à travers les combats et les aléas de l’existence. Luisada a illustré parfaitement cet engagement dans son interprétation des Davidsbündlertänze (les Danses des compagnons de David). Dix-huit danses (qui d’ailleurs n’en sont pas vraiment), définissant à la fois un projet amoureux et un dessein esthétique. En 1837, pour les 18 ans de sa bien-aimée Clara Wieck, Robert Schumann publie –en lui adressant indirectement – ces 18 pièces. En effet ces « compagnons de David » c’est la confrérie imaginaire de Schumann, celle qui va l’aider à combattre les Philistins réactionnaires, puisque Schumann est aussi bien musicien que critique et fondateur d’une revue musicale – la Neue Zeitschrift für Musik – la Nouvelle Revue pour la musique. Se confondent ici la foi dans la modernité de l’art et l’espoir dans un mariage que lui refuse le père de Clara. Sous les doigts de Luisada c’est surtout une réflexion mystique d’une profondeur rare (encore plus perceptible par la structure du théâtre Denis qui favorise cette prégnante proximité). Il en a laissé par ailleurs une interprétation de référence l’an dernier chez RCA.
Le message fraternel de Schubert.
La force du récital aurait pu se limiter à cette démonstration de puissance intérieure, mais Luisada a voulu ajouter à l’action la méditation. Schubert dans ces dernières sonates est déjà de l’autre côté de la vie. Le concertiste a donc choisi cette sonate ultime (D960) dont les premières mesures s’ouvrent sur un chant fusionnel. Luisada a montré, avec ce mélange de virtuosité tempérée et d’effusion lyrique, que le message de Schubert s’adresse à tous : la souffrance nous construit, la vie est courte, le bonheur est fragile, l’amour est désespéré, la vérité est à la surface des choses sans rhétorique, la musique est le langage universel qui nous touche en profondeur. Le mouvement central de cette sonate de Schubert a été un moment très fort dans cette soirée inoubliable.
Rayonnant de bonheur Luisada a répondu à l’ovation du public par trois bis généreux notamment une belle page de Chopin, sans doute le compositeur qui l’a révélé aux mélomanes avertis au début de sa carrière. Pourtant, c’est sur une touchante référence au dernier Mozart, cet adagio pour Glassharmonica que se clôtura cette heure précieuse. C’est donc avec cette humble métaphore de la puissance universelle de la musique que l’artiste nous quitta. Chacun dans sa nuit s’en allant vers sa lumière.
Jean-François Principiano.