L’Oratorio de Pâques de Jean-Sébastien Bach

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Le double message de Pâques
Nous sommes ce jeudi 1er avril 2021 entre Pessa’h, la Pâque juive et la Pâques catholique qu’on célèbrera le 4 avril. Il nous a semblé hautement symbolique de présenter l’oratorio de Pâques de Jean Sébastien Bach, 296 ans après sa création le 1er avril 1725.

Véritable opéra sacré, cette partition de 47 minutes saisit par la maîtrise des contrastes, la haute spiritualité de l’inspiration et le raffinement de son écriture qui mêle selon le plan dramaturgique, les styles italiens, français et allemand.

L’Oratorio de Pâques, en allemand Oster-Oratorium (BWV 249) fut donné la première fois le dimanche 1er avril 1725. Trois versions présentant des différences notables ont été conservées. Le texte, rédigé par Picander, s’inspire d’un passage des Évangiles dans lequel les apôtres Pierre et Jean découvrent le tombeau vide de Jésus le jour de Pâques, mais aussi de l’Ancien testament notamment du Cantique des Cantiques.

Jean-Sébastien Bach

Bach donna cet oratorio deux jours après avoir fait entendre la Passion selon saint Jean, le vendredi saint (30 mars) 1725, sous les voûtes de l’église Saint-Thomas de Leipzig. Opéravenir devait s’y rendre lors du voyage en Allemagne hélas annulé.

En fait l’oratorio tel qu’il nous est parvenu (en copie seulement) résulte d’un travail de réutilisation de la cantate profane dite « des bergers » BWV 249a que Bach avait donné cinq semaines plus tôt à Weissenfels.

Bach semblait tenir particulièrement à sa partition puisqu’on sait qu’il l’a remaniée une dizaine d’années plus tard pour un Oratorium festo Paschali (Oratorio pour la fête de Pâques) et à nouveau après 1740.

Picander – Un mini opéra Sacré
Christian Friedrich Henrici dit Picander est né le 14 janvier 1700 à Stolpen près de Dresde dans une famille juive d’origine vénitienne et mort le 10 mai 1764 à Leipzig. Il a étudié le droit à l’université de Wittemberg, puis à celle de Leipzig. Il a commencé sa carrière de poète en 1721 en publiant des comédies et poèmes érotiques dont un resté célèbre Le Secret des courtisanes, qui lui valut l’expulsion et quelques mois d’emprisonnement. En 1725, sous le pseudonyme de Picander, il écrit pour Bach le texte de plusieurs cantates profanes et passions. Le texte de l’Oratorio de Pâques est extrait d’un recueil de poèmes mystiques.

« Venez, hâtez-vous, courez d’un pas rapide, atteignez la caverne, qui couvre Jésus !
Rires et ambiance joyeuse accompagnent les cœurs,
Car notre salut est racheté, il est ressuscité notre sauveur »

On peut trouver le texte complet du poème de Picander sur ce site :
http://www.bach-cantatas.com/Texts/BWV249-Fre6.htm

Jean Sébastien Bach, le maître des maîtres !
31 mars 1685 à Eisenach – 28 juillet 1750 (à 65 ans) à Leipzig
Johann Sebastian Bach est né dans une famille de musiciens (dont il est le huitième enfant). Il reçoit sa première éducation musicale de son père, Johann Ambrosius Bach, violoniste de talent. Il apprend l’orgue avec un cousin de son père. Johann Sebastian se montre très doué pour la musique, possédant, de plus, l’oreille absolue.

En 1707, il est organiste à Mühlhausen. Il y écrit sa première cantate. En 1708, il est organiste et violon solo à la Chapelle du Duc de Weimar. Plus tard, il compose ses plus grandes œuvres pour luth, flûte, violon (sonates), clavecin, violoncelle. Il se rend ensuite à Leipzig et compose la Passion selon Saint Jean.

Vingt ans plus tard, il mène une vie intellectuellement et musicalement riche, constituant une bibliothèque spécialisée en musicologie, théologie et mystique. C’est à Leipzig qu’il compose plus de 200 cantates et d’autres chefs-d’œuvre, des Passions, Magnificat et Oratorios dont la cantate 249a qui deviendra l’Oratorio de Pâques 249b.

En 1745, il commence à perdre la vue. Il meurt le 28 juillet 1750 à cause d’une infection, après avoir été opéré des yeux (cataracte et glaucome) par le chevalier John Taylor, un ophtalmologue anglais, aujourd’hui considéré comme un charlatan. A sa mort, sa famille a regroupé toutes ses œuvres et les a classées par ordre chronologique.

L’Oratorio de Pâques 1725-1742
« Venez, hâtez-vous et courez » Kommt, eilet und laufet
L’Histoire est simple. C’est celle de la résurrection du Christ, vécue par quatre personnages, Marie Madeleine (alto), Marie, mère de Jacques l’un des premiers apôtres (soprano), Simon Pierre (ténor) et l’apôtre Jean (basse).

Les deux hommes marchent vers le lieu où l’on a déposé le corps du Christ après sa crucifixion. Ils rencontrent les deux femmes qui leur reprochent la tiédeur de leurs sentiments. Constatant que le corps a disparu, ils en concluent à l’inutilité de leurs efforts pour l’embaumer comme le veut la coutume juive. Marie-Madeleine leur apprend qu’un ange lui a annoncé que le Christ était ressuscité. Pierre découvre le suaire plié et en déduit que la mort n’est qu’un long sommeil*. Les deux femmes expriment alors leur désir impatient de revoir le Christ. Tandis que l’apôtre Jean se réjouit de sa résurrection tous entonnent un chant d’allégresse et d’action de grâce.

La Sinfonia instrumentale introductive avec flûtes, trompettes et hautbois d’amour compose l’ouverture majestueuse selon le schéma d’un concerto italien (vif, lent, vif), avec une même tonalité éclatante de ré majeur. Une citation empruntée à l’évangile de Marc convoque les fidèles qui se dirigent vers la sépulture de Jésus, donnant l’occasion à un grand chœur de dialoguer avec l’orchestre.

Les solistes apparaissent, j’allais dire sur scène, dignes et graves ; ils se retrouvent   tout près du tombeau.

Après quelques récitatifs, se détache une très belle aria notée adagio en si mineur, avec flûte traverso (certaines versions utilisent un violon soliste ou une flûte traversière moderne) dans laquelle la soprano invite à renoncer aux parfums et onguents de l’embaumement pour choisir les lauriers, annonciateurs de la victoire du Christ ressuscité.

Marie Madeleine précise alors qu’un ange est venu annoncer la Résurrection du Sauveur. Ainsi Pierre dans son aria en sol majeur adopte le calme serein d’une mélodie « cantabile » pour exprimer avec les flûtes à bec, la profonde certitude de la paix intérieure, après la proclamation du miracle christique.

Tendre et compatissante, Marie-Madeleine se demande où le Christ lui apparaîtra (air en la majeur, avec hautbois d’amour sur rythme de gavotte). Tandis que l’apôtre Jean invite chacun à se réjouir.

Jean-Sébastien Bach conclut par un chœur de réjouissance où l’éclat des trompettes commente la réalisation de la transfiguration finale. Ce dernier épisode suit un plan en deux parties : dans un style français et d’une élégance hiératique, j’oserai presque dire théologique tout d’abord, puis sur un rythme de gigue fuguée où l’ivresse collective saisit le peuple des croyants. Un chœur triomphant célèbre la victoire sur la mort dans une péroraison irrésistible.

Les trompettes, timbales, hautbois, violons, altos, bassons orgue et clavecin continuo et tout le chœur mixte en quatre parties.

« Gloire à l’éternel, chantons ses louanges.
L’enfer et le mal sont défaits, Jésus est ressuscité
Ouvrez vos arcs de Triomphe armée des anges
La mort est terrassée les portes du mal sont broyées,
Dans son triomphe immense le Lion de Juda va passer ! »

Les caractéristiques de l’œuvre
Soulignons tout d’abord la beauté spirituelle et mystique du texte de Picander, le Da Ponte de Bach, paradoxale pour ce juif franc-maçon connu pour son libertinage dans la première partie de sa vie.

Ce poème possède une force d’évocation profonde. Pourquoi ? Il émeut car il est à la source de notre civilisation judéo-chrétienne. Comme disait Roland Barthes c’est un texte scriptible. C’est-à-dire qu’il incite à aller plus loin dans le commentaire.

Les quatre personnages annoncent le plan de la vraie vie : vaincre la mort et le mal à travers la liberté retrouvée.

L’oratorio s’ouvre sur deux mouvements instrumentaux contrastés, un concerto grosso noté Allegro interprété par l’orchestre baroque au complet avec des sections solistes pour trompettes, violons et hautbois, et une mélodie de hautbois. Il est suivi d’un Adagio central haletant sur des motifs « Seufzer » (des soupirs) dans les cordes, figurant l’attente.

Contrairement à l’Oratorio de Noël, l’Oratorio de Pâques n’a pas de narrateur mais quatre personnages affectés aux quatre voix : Simon Pierre et l’apôtre Jean apparaissent dans le premier duo découvrant que la tombe de Jésus est vide. Ils y rencontrent Marie-Madeleine et « l’autre Marie », Marie Jacobi que des anges ont averti de la transfiguration de Jésus.

Dans la première version le chœur n’était présent que dans le mouvement final mais en 1742 Bach lui assigna un rôle au début, dialoguant avec les quatre protagonistes.

La musique dégage un esprit festif car il s’agit d’un moment d’espérance et de conquête spirituelle. De nombreux passages en rythme de marche illustrent le mouvement ascendant des pèlerins vers la tombe.

« Saget, saget mir geschwinde », l’aria de Marie-Madeleine, est basée sur des citations u Chir Hachirim – le Cantique des Cantiques « Où se trouve mon bien aimé, sans lui je suis complètement orpheline et désolée ». Les mots de l’aria sont proches de ceux qui ouvrent la deuxième partie de la Passion selon Saint-Matthieu, dont le texte si émouvant est également dû à Picander.

Le dernier mouvement en deux sections contrastées ressemble au Sanctus composé pour Noël 1724 de la Messe en si mineur.

Le sens de l’œuvreLe double message de Pâques
Il y a dans cette œuvre un message caché dans le texte comme dans la musique. Le choix de Bach / Picander est de mêler l’Ancien testament et l’Evangile. A l’occasion de l’événement Pascal ils adressent un double message très mystique bien dans l’esprit européen des lumières.

On sait que la Pâque Juive et la Pâques des chrétiens sont intimement liées bien qu’elles possèdent chacune une signification différente :

La Pâque juive (Pessa’h) commémore un événement particulier de la Torah : la sortie d’Égypte des hébreux poursuivis par Pharaon. Symboliquement c’est la délivrance de tous les emprisonnements.

La Pâques des chrétiens commémore les derniers jours de la vie du Christ, notamment la Cène, la Passion et la Résurrection – évangile de Marc XVI 1 à 8 – des événements historiques décisifs qui se sont déroulés lors de la Pâque juive à Jérusalem.  Symboliquement c’est aussi la délivrance de la peur de la mort.

La différence est donc claire. Pour les chrétiens, Pâques est le souvenir de la mort du Christ et la commémoration de sa Résurrection. Pour les Juifs c’est le renouveau de la vie après la sortie d’Egypte.

L’une est la victoire sur la mort, l’autre la victoire sur le mal. Entre un hymne à la Vie Eternelle et un Chant de Liberté, Bach ne tranche pas. Il conduit l’auditeur devant ce double mystère et par sa musique nous en dévoile l’essence.

Picander, lui, tente ouvertement dans son texte de faire une synthèse des deux. Il utilise soit des formules empruntées à l’Ancien Testament soit aux Evangiles (Epître de Paul aux Corinthiens V 6 à 8). Ainsi, dans l’attente de la résurrection, il paraphrase le Cantique des Cantiques, un des plus beaux textes de la Torah, comparant l’attente de la résurrection du Sauveur à celle de l’attente du retour de la bien aimée.

Cioran disait que « Dieu doit beaucoup à Bach ». La musique, les musiciens et les mélomanes aussi. Pour lui rendre grâce à notre tour, nous vous proposons d’écouter l’œuvre dans la version de John Elliot Gardiner sur instruments d’époque, entourée de quelques bonus.

Joyeuses Pâques à tous ! Shabbat Shalom Pessa’h !

Jean-François Principiano

*Est-ce en repensant à cette œuvre que le girondin Condorcet, autre Franc-maçon notoire, avait répondu à Fabre d’Eglantine qui se plaignait de l’absence de formule consolatrice aux frontons des cimetières d’inscrire : « La mort est un sommeil sans fin » ?

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