L’industrie, stop ou encore ?

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Il devient difficile de parler sereinement d’industrie dans un environnement politico-médiatique en effervescence sur d’autres priorités, on peut le regretter, mais c’est un fait. Cela ne peut nous interdire de poursuivre la réflexion sur la réindustrialisation du pays.

Tout d’abord notre société que l’on qualifie souvent de post-industrielle va-t-elle encore avoir des usines et du travail d’hommes et de femmes dans ces lieux de travail ? L’image de robots multiples remplaçant la force de travail humaine est dans toutes les têtes car c’est ainsi qu’est montrée la modernité issue des nouvelles technologies. La machine remplace ainsi l’homme dans les discours comme dans les projets et l’on se met à rêver une nouvelle fois d’une humanité occupée à profiter de sa planète et de ses loisirs. Une analyse plus conforme à la réalité c’est que la transformation des modes de production ne conduit pas à une disparition du travail humain, mais à des modifications. Nous ne marchons pas vers un monde sans usines, nous avons, au contraire, à imaginer les usines du futur.  L’idée que l’étape à laquelle nous sommes arrivés est celle de l’effacement des centres de production est une utopie dévastatrice car elle a justifié une marche vers la désindustrialisation et le fameux « partage du travail » suicidaire. L’essor des nouvelles technologies a provoqué tout l’inverse de l’image d’Epinal propagée à longueur de temps par les médias. Les talents sont recherchés et fortement valorisés, ils sont aussi « pressurés » tout au long de leurs parcours avec des horaires déments et des carrières complexes avec des voyages, des vidéo-conférences incessants. Jamais le monde industriel n’a autant travaillé avec l’anxiété permanente de passer à côté du produit du futur, du marché de l’avenir.

Prenons quelques exemples pour illustrer ces propos très généraux. Le monde de l’énergie va se transformer avec deux impératifs, celui du développement durable et celui de l’utilisation des nouvelles technologies. Tandis que les discours préparent la fin des hydrocarbures, la plupart des pays producteurs comme consommateurs poursuivent leurs investissements et c’est l’ancien Président de la première entreprise privée mondiale qui est devenu le Chef de la politique étrangère américaine. On ne peut être plus clair, le monde n’est pas en train de s’organiser autour de la disparition du pétrole, du gaz et du charbon, il se rééquilibre en cherchant la place de cette source d’énergie à côté des autres. C’est finalement le marché et donc les couts qui décideront et si l’on veut faire évoluer le marché de l’énergie dans un sens défavorable aux hydrocarbures rapidement il faudra accepter au niveau planétaire un surcout que bien des pays ne peuvent accepter aujourd’hui. Appliquer une taxe carbone importante, c’est augmenter la note énergie de la population mondiale. Dans un premier temps ce sont les nouvelles technologies qui peuvent nous aider à réduire la facture, que ce soit dans le nucléaire, les hydrocarbures ou les énergies renouvelables, dans la rénovation des bâtiments comme dans la construction neuve, dans la régulation et l’optimisation des réseaux, dans l’utilisation « in situ » et le relais pris par ailleurs… Cela va-t-il faire disparaitre le travail humain ? Surement pas, bien au contraire, mais le fonctionnement de nos entreprises en « silos » avec des chapelles bien identifiées, va disparaitre au profit de plateformes collaboratives et de compétences transverses qui sont des impératifs de rendement optimum des investissements. Il y a donc permanence d’ateliers, d’usines, de travailleurs manuels, de concepteurs, mais les manières de faire sur le terrain ne seront plus les mêmes, avec des hiérarchies pesantes et des contrôles périodiques, les compétences seront utilisées au maximum avec des résultats immédiats, observés en temps réel et non plus différé. L’incompréhension actuelle du monde politique comme du monde médiatique vient qu’ils se sont éloignés du monde réel, qu’ils ne le comprennent plus et qu’ils élaborent donc des projets ou les commentent sans approcher les réalités.

Les conséquences sur l’expression démocratique sont en train d’apparaitre, ce sont les hommes d’entreprise qui, ayant réussi à bâtir le futur de leurs entreprises ou de leurs secteurs d’activité veulent prendre officiellement les rênes des Etats pour là aussi réussir ! C’est ainsi que l’on pourrait décrire l’arrivée de Donald Trump au pouvoir de la première démocratie mondiale. La tentation des hommes d’entreprise de diriger les pays n’est pas neuve, mais elle passait auparavant par des relais, ce n’est plus le cas désormais, nous avons eu Berlusconi en Italie, comme un précurseur et nous voyons apparaitre la « société civile » au secours de notre appareil politique qui a « loupé le coche de la modernité ».

Tandis que nous passons notre temps à un examen nombriliste de nos pratiques politiques passées, tous nos voisins se mobilisent pour la réindustrialisation de leurs pays, Madame May en Grande Bretagne comme Monsieur Trump aux USA. Nous avons passé ainsi des semaines à écouter des logorrhées sur la fin du travail comme on avait eu autrefois la production sans usines. Nous avons droit de craindre le caractère et le mode de fonctionnement de tel ou tel dirigeant politique, et je lis comme tout le monde des déclarations qui me laissent perplexes, mais derrière cette pièce de théâtre finalement plutôt médiocre, il y a une réalité, celle des hommes d’entreprises qui veulent adapter le politique à la marche du monde technique. Certains y verront la justification de leurs thèses sur la nécessité de la décroissance mondiale, mais je n’ai pas à rentrer dans ce débat car je ne fais qu’observer ce qui est en train d’arriver, à savoir que les entrepreneurs s’organisent pour stimuler l’investissement, l’innovation et ainsi créer des emplois en commençant par les USA, « America First », je dirais, comme d’habitude. Comme la Chine n’est pas en reste et qu’elle professe avec une autre forme de gouvernance une vision de l’avenir semblable, c’est à nous, français et européens, d’en tirer les conséquences.

Le fait nouveau sur lequel il nous faut d’urgence réfléchir plutôt que disserter c’est le nouveau décret américain pour « soulager les banques » et détricoter les règles issues de la crise de 2008 qui ont conduit aux nouvelles règles prudentielles qui ont plombé l’industrie dans la plupart des pays du monde. Alors que les trente dernières années notre appareil productif mondial a été divisé par deux, que nous subissons les assauts des USA d’abord, mais aussi de l’Allemagne, de la Chine ou du Japon, que nos fleurons sont avalés un par un par nos concurrents, c’est ceux-là qui disent « nous sommes allés trop loin « et nous ne créons plus suffisamment ! Quel avertissement !

Nos techniciens et beaucoup de nos entreprises sont encore en état de marche, elles ont montré leurs talents dans l’innovation et dans le numérique, elles sont prêtes à jouer les premiers rôles dans la compétition mondiale, mais notre épargne nationale n’est pas incitée à les renforcer. Notre épargne ne va pas à l’industrie et c’est une des causes essentielles de notre déclin. Monsieur Donald Trump vient de nous donner une leçon, c’est bien parce que les USA n’ont pas suffisamment investi que les citoyens américains se sentent floués. Il faut, disent les hommes d’entreprises désormais aux commandes de la première économie mondiale, revenir sur les réglementations et les systèmes de taxation pour soutenir l’investissement, l’innovation et les emplois américains. Si nous ne sommes pas capables, nous aussi, et rapidement, de trouver des mesures incitatives pour qu’épargnants et entrepreneurs investissent avec confiance dans l’avenir de notre production, nous n’échapperons pas à la poursuite de notre désindustrialisation avec l’augmentation du chômage associée.

Je laisse le mot de la fin à Bernard Charlès dirigeant d’une des très belles entreprises françaises qui fait honneur à notre pays et qui possède plus de 2000 chercheurs aux USA

« Si les industriels américains doivent rapatrier une partie de leur appareil de production, nous disposons de tous les outils nécessaires pour les aider à développer les usines du futur qui leur permettront de rester compétitifs «

Et si, nous aussi, nous prenions le problème de cette façon ?

Loïk Le Floch-Prigent

 

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