Les réalités industrielles :un peu de pédagogie

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Tous les maux de notre pays ne viennent pas de sa désindustrialisation, et ils ne vont pas disparaitre d’un coup de baguette si nous réussissons à reconquérir notre place dans l’industrie mondiale, mais le problème industriel tient une place fondamentale dans le passé et l’avenir du pays. Tout ne se résume pas à l’industrie, mais la part de l’industrie est lourde. Aussi la compréhension de ce qu’a été l’industrie et de ce qu’elle risque de devenir est importante pour qui aspire à gouverner la France comme pour qui commente les promesses des uns et des autres.

Force est de constater que les visites guidées des sites industriels, que ce soit pour les politiciens ou pour la presse n’ont pas eu les effets escomptés, l’indigence des propos sur l’industrie dans la campagne présidentielle en est l’illustration. Si, par extraordinaire, une question pertinente est posée, la réponse gravement insuffisante du candidat n’est jamais contestée par l’auditeur en studio. L’autre auditeur, celui qui est derrière le poste, voudrait en savoir plus, mais il reste sur sa faim. Si bien que l’on peut tout dire sans jamais être mis en défaut tandis que, par exemple, on regorge d’experts et donc de discussions sur les conséquences d’une sortie de la zone euro dont les réalités passent très au-dessus du français qui, intuitivement, a tendance néanmoins à penser que le changement est un danger.

Prenons un exemple de ces dernières semaines. Plusieurs candidats estiment qu’il faut mettre fin au nucléaire, remplacer les énergies fossiles et promouvoir l’utilisation exclusive des énergies renouvelables. Les dates fixées pour ce paradis sont entre 2025 et 2050. La question de savoir si cela est faisable est évacuée par un rapport de l’ADEME qui habille cette hypothèse, mais celle de l’emploi induit, suppression des effectifs d’un côté et création de l’autre reçoit une réponse encore plus cinglante, les salariés du nucléaire seront chargés du démantèlement des centrales et les créations d’emplois dans les énergies nouvelles sont dix fois supérieures à celles des énergies classiques ! Et la répétition de ces propos sur les plateaux finit par valoir vérité.

La reconversion industrielle à laquelle j’ai été confronté dès 1981 est un des sujets les plus difficiles de la vie d’un industriel, un vrai calvaire ! La disparition d’une production, d’un site industriel, la création d’une « friche », la recherche d’une production nouvelle, la formation à ces nouvelles taches, l’enterrement définitif d’un savoir-faire ancestral est un traumatisme terrible pour le bassin d’emploi. Le passé de toute une population est déchiré par ces décisions, et ce n’est pas seulement la panique de l’avenir qui explique la colère, mais surtout la négation d’une fierté accumulée par des générations de travailleurs. J’ai vécu personnellement les fermetures des mines de fer, des mines de charbon, des usines textiles, et lorsque par la suite j’ai été en position de transformer un bout du paysage industriel je me suis efforcé d’être assuré de la pertinence de la décision et de solutions réelles pour l’avenir. Les révolutions technologiques et l’accélération de la mondialisation n’ont pas permis à mes successeurs et à mes anciens collègues de mesurer toutes les conséquences des ruptures qu’ils ont dû opérer. J’ai contesté en leur temps des évolutions qui ne me paraissaient pas indispensables et je continue à demander un respect des efforts passés et des savoir-faire. Mais le poids des financiers et des économistes dans l’action industrielle a balayé la sagesse des directeurs d’usines en prise quotidienne avec le réel.

Ainsi peut-on entendre que l’emploi ne souffrira pas de l’arrêt des centrales nucléaires puisque les personnels seront reconvertis dans leur démantèlement. Et la reconversion des techniciens du thermique se fera tranquillement dans l’installation et la marche des centrales éoliennes ou solaires ! Tout est facile quand on raisonne sur des chiffres, le petit commerce est remplacé par les caissières des Hypermarchés, pour le bien de tous ! Mais chacun sait bien que cette modernité qui balaie le travail ancien et son organisation débouche sur des drames humains qui peuvent conduire à des séismes politiques. Nous sommes en train de le vivre et nous voulons dans un désespoir d’autruche croire aux facilités des solutions que l’on nous assène. Les créations d’emplois sont dans les PME et TPE, il suffit donc de les favoriser, haro sur les grands groupes affameurs du peuple, glorification du « made in France » , légalisation de la préférence nationale, sortie de l’Europe avant sortie du monde… Et chacun de donner un exemple sur la petite usine ou le petit atelier qu’il vient juste de visiter avec tapis rouge et cameras ! On s’échappe du réel et on résout les problèmes dans le monde imaginaire qu’on se crée à partir d’une conviction rassurante : « j’étais dans une usine X et le dirigeant m’a bien montré que… » L’ancrage est là, mais il ne peut faire illusion, il vaut mieux aller voir les vaches dans le pré qu’au Salon de l’Agriculture ! L’auditeur ou le spectateur n’est pas dupe de l’amateurisme des observations, des reportages, il « décrypte » tout seul.

Les fermetures sont des drames, les reconversions aussi, les grands groupes sont irritants mais indispensables pour les moyens et les petits, leurs disparitions ou leurs changements de propriétaires conduisent à des catastrophes en cascades et les créations de nouvelles entités sont de longues randonnées peuplées d’écueils redoutables… Les fusions qui amusent tant sont des remises en question humaines compliquées et ne portent des fruits que dans bien peu de cas. Les différences de cultures industrielles finissent la plupart du temps par la disparition de techniciens hors pair, et dans le domaine de l’énergie secoué par des vagues idéologiques depuis des années, il serait nécessaire de garder la tête froide pour observer ce qui peut être fait dans notre pays. Nous avons de l’ordre de 220 000 personnes qui travaillent dans l’industrie nucléaire avec plus de cinquante réacteurs qui produisent plus de 70 % de notre énergie électrique. Les pointes sont assurées par le thermique, gaz, charbon et fioul, par l’hydraulique, et non par le solaire ou l’éolien qui, intermittents, dépendent de facteurs climatiques ! Notre réseau électrique national est bâti à partir de la structure de production existante et permet le service universel. Lors de la période hivernale c’est encore grâce à la centrale au fioul de Porcheville que le réseau a été alimenté, elle sera démantelée au cours de l’année et ne sera plus utilisable l’an prochain ! La fermeture définitive avait été prévue de longue date, il y a eu grèves et protestations, pas de drame national, mais souffrances locales qu’il ne faut pas minimiser. Tout cela coute !  Mais les hommes du fioul à Porcheville ne se transforment pas en démanteleurs en claquant dans les doigts. On ne doit pas raisonner en chiffres mais en individus avec leurs histoires et leurs compétences. Je ne dis pas qu’il faut ne rien changer, je veux faire toucher du doigt les difficultés des changements et à certains égards leurs impossibilités technique et humaine. La transformation numérique de l’appareil industriel est en marche, elle est douloureuse aussi, elle est indispensable et conditionne notre survie industrielle, n’y rajoutons pas des délires idéologiques porteurs de chaos. La France restera un pays de « mix » énergétique et rien ne sert de vouloir presser le pas des énergies nouvelles si l’on n’a pas construit des assises solides sur la production industrielle correspondante, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Changer de métier au cours d’une vie, impensable hier, va devenir la norme. C’est la raison pour laquelle des fonds importants de formation professionnelle sont disponibles nationalement. Mais toutes les transformations sont difficiles et il faut arrêter de laisser entendre que puisque c’est inéluctable c’est indolore. Le peuple ne peut plus entendre ce langage et retire sa confiance à ceux qui leur en parlent de cette façon. Ils sont prêts à écouter alors les promoteurs du renfermement sur soi , de l’isolationnisme et du protectionnisme. A qui la faute ?

Loïk Le Floch-Prigent

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