Les bons œufs de Hollande : cassez m’en une douzaine (Fernand Raynaud)

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En plein été, enfin une bonne peur pour la France et toute l’Europe, les œufs au fipronil venant de Hollande ! Dans les années soixante Fernand Raynaud faisait un numéro chez l’épicier qui lui proposait des bons œufs de Hollande, les cassés 15 francs et les pas cassés 20 francs ! Nous parlons d’anciens francs, bien sûr ! Et après beaucoup d’hésitations il concluait par « cassez m’en une douzaine « .

Pour éviter que l’on se repose calmement sur la plage, certains scientifiques en rajoutent, en 2050 ils prédisent des étés à 50 degrés en France et nous disent que l’abus d’antibiotiques dans l’élevage a « des conséquences qui peuvent être dramatiques sur l’homme ».

Fini l’été, fini l’élevage, finis les œufs, cassés ou pas cassés et toujours la même rengaine : « un monde sans pétrole où on fait mieux avec moins est tout aussi désirable ! « C’est vrai sans pétrole plus de fipronil, plus de camions diesel, plus d’œufs venant de Hollande …Mais à propos s’est-on interrogés une fois dans la multiplicité des articles et des émissions consacrés aux œufs sur la raison de ces transports d’œufs à travers l’Europe ? Est-ce que les champions des « circuits courts » ont trouvé là matière à réflexion et action ? Bien sûr que non, tellement attachés à leur message pour une politique de décroissance, ils ne voient même plus quand les évènements plaident pour certaines de leurs préconisations. Je vais donc les aider un peu à réfléchir à partir des œufs.

Plutôt que de faire peur à la population française devenue désormais soupçonneuse sur ses œufs, ses pâtes, sa biscuiterie, sa pâtisserie, il aurait mieux fallu l’éclairer sur un phénomène, un grand pays, la France, importe des œufs d’un petit pays, les Pays-Bas, n’avons non donc plus assez d’espace pour élever des poules et obtenir des œufs ? Que les gens du Nord aient cru bon d’aller chez leurs voisins pour obtenir des œufs, pourquoi pas, mais qu’il y ait eu au mois de Juillet 2017 l’arrivée de 195 000 œufs de Hollande dans le Morbihan en Bretagne comment cela peut-il se faire ? Comme d’habitude chacun prend des postures et on cherche les coupables… avant de déclarer que les doses de fipronil dans les œufs en question sont négligeables et ne représentent aucun danger ! On fait peur, puis on minimise tandis que l’on oublie de se poser les bonnes questions.

En France on produit 15,7 milliards d’œufs par ans , et l’on en consomme le même nombre, soit donc 240 œufs par an et par habitant, soit la production d’une poule par habitant. Mais la loi de l’offre et de la demande , en disponibilité, en qualité et en prix, conduit à ce que nous importions 10% de notre consommation et que nous exportions également 10% de notre production. C’est ainsi que certaines industries alimentaires consomment de l’œuf hollandais. Pourquoi la Hollande ? Parce que la tradition rappelée par Fernand Raynaud est  la qualité batave et sans doute aussi le prix ! Les hollandais produisent d’ailleurs trois fois leur consommation, leur réputation est clairement établie .

Mais nous savons, par ailleurs, qu’au premier semestre 2017 notre consommation a cru de 4,4% et que nous n’avons pas pu produire plus , donc nous avons importé. Ce n’est pas uniquement pour les œufs, c’est pour toute notre appareil productif que le problème s’est posé, mais restons un moment sur les œufs. Qu’est ce qui empêche les producteurs d’œufs du Morbihan de servir cet industriel voisin avec 195 000 œufs au mois de Juillet ? D’une façon plus générale, puisque nous sommes capables d’exporter 1,57 milliards d’œufs par ans, pourquoi n’en produisons-nous pas plus ? Si nous sommes compétitifs pour 1, 57  milliards d’œufs, pourquoi pas plus ? Et pourquoi n’arrivons-nous pas à satisfaire le marché intérieur puisque nous avons l’espace, les éleveurs, les poules et toute l’organisation production-distribution ?

Pour ma part, je ne suis pas un spécialiste des œufs, vous l’avez compris, je suis néanmoins parmi les français qui vivent sur l’autoconsommation d’œufs (12%), qui nourrissent leurs poules et qui mangent leurs œufs ! Mais j’observe que dès qu’un problème se pose, la meute des commentateurs se rue sur les dangers, les risques et le catastrophisme alors que visiblement le problème est ailleurs ! Il faut que d’urgence on explique à la population française pourquoi un industriel du Morbihan a eu besoin au mois de Juillet de 195 000 œufs de Hollande, comme il faut que les politiciens qui n’arrêtent de demander que l’on favorise  la consommation pour accélérer la production nationale (le fameux carnet de commandes) m’expliquent comment ils interprètent le premier semestre 2017.

Je plaide donc encore une fois pour de vrais débats sur ce que peut être notre avenir collectif !

La lutte contre le pou rouge des élevages de volailles nécessite un insecticide , si le fipronil est interdit, lequel est permis, et si aucun ne marche comment supprimer les élevages qui favorisent l’extension du pou rouge ! Entre l’œuf « Bio » ou « plein air » et l’œuf à risques « élevages en poulaillers ou cages » quelle différence de prix et le consommateur est-il prévenu ? On va retrouver cette problématique sur toute la chaine alimentaire. Ce qui est vrai de l’alimentaire n’est pas éloigné des autres secteurs de consommation…on voit donc combien la réflexion sur les œufs de Hollande peut être instructive et comment l’interrogation de Fernand Raynaud sur les œufs cassés ou pas cassés était prémonitoire. Il n’y a pas d’avenir sans maitrise de notre appareil productif, cela ne veut pas dire qu’il faille tout faire en autarcie, mais qu’il faut comprendre pourquoi nous devons acheter des produits à l’extérieur et pourquoi nous devons promouvoir des exportations sur des produits qui sont indispensables à nos voisins. Nous ne devrions pas avoir besoin d’œufs hollandais et nous devrions pouvoir en vendre plus à l’extérieur compte tenu de la qualité de nos éleveurs.

Pour moi il n’y a donc pas de catastrophe fipronil, pas plus que de catastrophe alimentaire, ou de catastrophe énergétique, il y a de bonnes questions à se poser sur notre appareil productif, agricole, alimentaire, industriel, et sur sa capacité à répondre aux nécessités du pays, en termes de consommation, de qualité  et d’emplois, sans idéologie et sans interprétations abusives de résultats scientifiques.

Loïk Le Floch-Prigent

 

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