L’érosion du littoral : le climat a parfois bon dos

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Lors d’une conférence dédiée à l’avenir du littoral français, le 28 août 2014 à Marseille, M. Ronan Le Delezir, maître de conférences en aménagement du territoire à l’université de Bretagne-Sud (2) , s’interrogeait sur nos attentes contradictoires vis-à-vis de cet espace singulier, enjeu majeur pour l’aménagement du territoire, et les convoitises qui le menacent :

« (…) Le littoral français est le théâtre de mutations profondes et brutales. Dans une économie mondialisée, la mer, dernier espace commun de la planète, est devenue l’objet tout à la fois de fantasmes et de convoitises ; les littoraux, les derniers fronts pionniers. Ils sont aujourd’hui l’objet de tous les intérêts, de toutes les pressions.
Depuis la fin des années 1990, une pression touristique et de villégiature s’y applique d’une manière difficilement contrôlable, tant l’attrait que ce littoral suscite est fort, répondant en cela à l’engouement de populations, souvent urbaines, conditionnées par les logiques d’une société de consommation. (…)
Le phénomène se traduit par une envolée du prix des terrains et de l’immobilier, et par un développement de la résidence individuelle, souvent à fonction secondaire.
Toute la société se trouve aujourd’hui déstabilisée par l’arrivée sur nos territoires de cette mono activité de villégiature : urbanisation en nappe, éviction progressive des activités primaires ou secondaires traditionnelles, exclusions sociales et générationnelles, nécessité de satisfaire les besoins nouveaux en eau, en matériaux (…) ».

En ces temps de grande fébrilité à la veille de la COP 21 et de ses enjeux planétaires, illustrons ce propos par  les exemples maintes fois entendus de la multiplicité des cataclysmes, de la montée irréversible des eaux , du recul des traits de côtes (le point des plus hautes eaux), des inondations et de leurs conséquences comme on en connaît sur le littoral méditerranéen et atlantique.

Non pour nier les dangers d’une élévation des GES dans des proportions inquiétantes, accélération due aux activités humaines mais parce qu’il y a urgence à stopper la fuite en avant dans le productivisme, grand prédateur des richesses limitées de la planète, du bien-être et de la santé de ses habitants.
La croissance à n’importe quel prix, n’a pas de sens. Elle n’est un indice ni de bonheur, ni de mieux-vivre, ni de qualité de vie. Comment peut-on continuer à investir des milliards d’euros ou de dollars dans les énergies fossiles, les gaz de schistes…? Et ne pas aider les pays pauvres à éradiquer la pauvreté, à accéder à l’électricité, à l’eau, aux soins, à l’éducation…à un développement durable ? C’est les pousser à aller à l’encontre des objectifs que l’on prétend atteindre.

Mieux percevoir ces enjeux c’est s’engager dans la transition vers une autre société respectueuse de la nature donc cessant d’en détruire les grands équilibres. L’écologie prenant le pas sur l’économie et l’économie sur la finance pour être mise au service des hommes et non l’inverse, ce qui suppose une montée en puissance de l’exigence citoyenne autour d’objectifs audacieux répondant aux besoins humains.

Dans la plaquette « OSONS » qu’il vient de sortir Nicolas Hulot nous rappelle que « si la planète peut se passer de nous, nous ne pouvons pas nous passer d’elle…et que le Nord doit plus au Sud que l’inverse…que la violence capitaliste a colonisé tous les cercles de pouvoir…qu’un autre monde est d’ores et déjà possible…osons nous affranchir du pétrole, du charbon et du gaz…osons nous émanciper de l’argent-roi, de la technologie souveraine, de la consommation addictive… »

C’est toute la plaquette qu’il faudrait citer tant elle est riche de lucidité et d’enthousiasme, de réalisme et d’audace. La nature, source de vie n’est-elle pas aussi source de rêves, de poésie, de mystères et de tant de complexité. « De fantasmes et de convoitises », comme l’écrit Marc Laymé le 4 novembre 2015 dans Le Monde Diplomatique dont nous avons extrait les deux premiers paragraphes ci-dessus. (Lire son article « Guerre du sable sur les côtes de France).

Jean-Louis Borloo dans l’éditorial de la plaquette éditée par son ministère au moment du Grenelle de l’environnement sur « la gestion des traits de côte » écrivait :

« L’érosion des côtes est un phénomène naturel que l’on observe partout dans le monde.
En France près d’un quart du littoral s’érode. Ce phénomène peut avoir un impact important sur les activités humaines en matière de développement économique, d’urbanisation du littoral, de tourisme et de protection de la biodiversité… »

Oui, mais pas seulement naturel. L’urbanisation à grande échelle du littoral à travers les continents, y compris dans des zones inondables ou/et empiétant sur le domaine maritime contribue à modifier le paysage  au détriment de la protection de l’environnement marin et de la sécurité des habitants de ces zones où la population s’accroît plus vite et le paye très cher, au double sens du mot.

Les inondations exceptionnelles qui ont frappé les Alpes Maritimes le 3 octobre dernier, faisant 20 morts, ont fortement mis en évidence que « le bétonnage de la Côte d’Azur a joué un rôle majeur dans ces inondations ». Mandelieu, ville traversée par la rivière Riou,  se trouve pour une bonne partie en zone inondable. Les parkings des immeubles construits dans le lit de la rivière ont piégé les habitants. Le réchauffement climatique y est-il pour quelque chose ?  « Impossible de faire un lien direct de causalité avec ce qui vient de se passer » avait répondu sur France 2 le spécialiste interrogé, venu avec cartes à l’appui montrer ce qu’étaient ces zones littorales jusque dans les années 1960, des terres libres de toute construction.

Il ne faut pas, en effet, confondre météo et climat. La météorologie ce sont les prévisions du temps à très court terme, la climatologie c’est l’étude de l’évolution du climat sur de très longues périodes ainsi que des innombrables et complexes facteurs qui interviennent, naturels et anthropiques.

Combien sont-ils à travers le monde et en France les sites à hauts risques du fait d’un urbanisme spéculatif qui ne faiblit pas, en même temps que les mal-logés croissent  ? (car on ne construit pas pour eux dans les communes du littoral…enfin si peu).

Les mêmes catastrophes se répéteront si la course aux espaces rares à bétonner ne s’arrête pas, d’abord sur le littoral…qui vaut de l’or. La solution oppose deux conceptions :
Une conception de l’évolution de notre société  vers un monde compatible avec la nature, ou un monde qui la détruit et qui se détruit avec elle. Ce qui se passe sous nos yeux.

Oui mais comment changer de direction ? Et quand ? Le plus tôt sera le mieux, nous n’avons guère de choix. Des idées, des expériences, il y en a , elles se multiplient et la conscience des peuples grandit. L’humanité a tout à y gagner.

René Fredon

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