Succès pour le spectacle « Sous d’autres cieux » inspiré par l’Eneide de Virgile à Châteauvallon.
Lit-on encore Virgile ? Où en est le latin à l’école de la République de nos jours ? C’est la question que l’on pouvait se poser hier soir devant la réussite de ce spectacle dû à Maëlle Poésy et Kevin Keiss, proposé par la Cie Crossroad.
Modernité de Virgile
Il semble que Virgile ait beaucoup de choses encore à nous dire depuis 2000 ans ! Par exemple que l’épopée d’Enée a quelque chose d’éternel ; que sa quête de jours meilleurs après le sac de Troie nous interpelle toujours ; que le sens initiatique de sa vie, de ses souffrances et que sa descente au pays des morts nous rappellent sans cesse que nous avons besoin de nos racines et que pour aller de l’avant il faut être sûr de ses arrières (dans sa fuite il porte son père Anchise sur son dos !) Et surtout que ce sont les migrations qui font les nations. Que les ponts et les routes sont meilleurs pour les hommes que les frontières et les murs.
Une riche scénographie
Dans une habile installation sur scène, jaillissent de l’ombre des grappes d’hommes et de femmes courant en haletant vers leur destin. Ils courent sous nos yeux. On ne peut pas ne pas les voir. Passant d’espérances en humiliations, ils voyagent sur la mer méditerranée, à travers les vastes steppes ou au sommet des crêtes des âpres montagnes. Ils voyagent. Ce sont des migrants en quête d’un recommencement. Roms, Juifs, Arméniens, Syriens, Maghrébins, Subsahariens, Touaregs, Mongols, Kirghizes, Latins, Vikings, Basques, Etrusques, Indo européens, Kazakhs, Amdo, Kham, Chan Tang, Ladakh, Arabes, Alains, Goths, Francs, Vandales, Celtes, Lombards, Aztèques, Incas, Chichimèques, ce sont eux, tous ces peuples nomades qui ont peuplé l’œkoumène. Leur parrain à tous c’est le « Pieux Enée », le héros troyen qui a tout perdu, en quête d’Italie.
Les premiers chants de l’Éneide
Le spectacle s’inspire subtilement des premiers chants de l’Eneide, respectant l’esprit et préservant la forme séquentielle, très moderne, de l’œuvre chère à l’empereur Auguste car elle offrait un « roman national » à l’Empire romain naissant. En surimpression l’itinéraire suit l’errance d’Enée et de ses compagnons. Les dieux de l’Olympe lui ont réservé un destin de fondateur. Echappant aux flammes et à la fureur des Grecs, il doit atteindre l’Italie. Ce désir d’Italie est bien rendu par la mise en scène et par le jeu distancié des comédiens-danseurs Comment ne pas penser à la crise migratoire.
Un mythe mondial
On a besoin de mythe comme d’air pur. Celui d’Enée comme celui d’Ulysse a servi pendant des siècles à désigner la finalité du monde occidental. Lutter, combattre, espérer, construire. Toute la morale de ce beau poème est dans cette expression « Possunt quia posse videntur » On peut parce qu’on croit pouvoir ! Les comédiens de Sous d’autres cieux dans leurs langues respectives, français, italien espagnol, Farsi iranien délivrent de larges extraits des meilleurs vers de l’Eneide relus par Kevin Keiss. Des tableaux se succèdent alors sous nos yeux dans un déploiement d’effets visuels et lumineux qui évoquent sans écraser, qui suggèrent sans défigurer, qui explicitent sans appuyer. Place est donc laissée au mystère poétique ou chacun peut ensemencer son angoisse, ses craintes ou ses raisons d’espérer en l’humanité. Par exemple l’accueil de Didon (Véronique Sacri) au groupe de migrants troyens arrivant sur les rivages de Carthage, à bout de force, est très symbolique. En s’adressant au public en une frontalité sans équivoque, son texte résonne comme une admonestation éthique toujours ravivée par l’histoire…
En somme, ce spectacle choral émouvant, riche en déploiement, bien soutenu par diverses tutelles culturelles régionales et notamment la région Sud-Provence Alpes Côtes d’azur a une valeur exemplaire. Il est aussi le résultat positif de la mutualisation des moyens amenée par l’entité culturelle Châteauvallon-Liberté.
Jean-François Principiano
