L’Elixir d’amour de Donizetti On en a bien besoin !

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Alors qu’une lueur d’espoir se dessine pour reprendre une vie normale, Opéravenir persiste dans la légèreté avec ce petit chef-d’œuvre de l’Opéra Bouffe pour sa 30eme rencontre virtuelle.

Gaetano Donizetti

Une œuvre de circonstance
Considéré comme l’un des opéras  les plus réussis du répertoire bel cantiste, L’Élixir d’amour a longtemps été l’ouvrage le plus populaire de Donizetti (1798-1848). Une véritable comédie sentimentale où se mêlent avec bonheur l’efficacité d’un livret comique et une écriture musicale de toute beauté.

L’histoire est simple : Nemorino est un jeune villageois amoureux d’Adina, riche et belle héritière. Pour arriver à la séduire, il achète un élixir d’amour qui se révèle être du simple vin de bordeaux… Mais après de nombreuses péripéties, les deux amoureux finiront par convoler en justes noces.

Donizetti aurait été lui-même étonné si on lui avait dit que cette œuvre allait devenir  une des plus  jouées de son immense production, (47 opéras)  lui que l’on surnommait avec mépris « dozzettino » ! À la douzaine !…faisant allusion à sa fécondité… En fait l’Élixir d’Amour est une commande d’Alessandro Lanari, impresario du Théâtre de la Canobbiana de Milan, le rival de la Scala  qui demande à Donizetti d’écrire l’opéra en un temps réduit à six semaines pour remplacer le projet avorté d’un autre compositeur.

Le livret de Felice Romani s’inspire de celui d’Eugène Scribe, écrit pour Le Philtre (1831) un opéra oublié de Daniel-François-Esprit Auber.

Donizetti est âgé de trente-cinq ans lorsqu’il compose ce chef d’œuvre. C’est son quarantième opéra, après avoir connu  son premier grand succès avec Anna Bolena (1830) à Milan ! L’Elisir d’amore est  donc créé le 12 mai 1832 dans la même ville : ovationné par le public lors de la première représentation, l’œuvre  sera donnée trente-trois fois pendant la première saison.

Entre 1838 et 1848, c’est l’opéra le plus joué en Italie. Avec Rossini et Bellini, Donizetti devient un emblème du mélodrame  romantique italien de la première moitié du XIXe siècle. Il incarne par ailleurs le  renouveau de la conscience nationale de l’Italie du Risogimento naissant, juste avant Verdi.

Comédie à l’italienne
Acte 1
À la campagne, au début du XIXe siècle. Nemorino (ténor), un jeune villageois naïf et touchant, aime l’inaccessible Adina (soprano), une fermière riche et instruite qui se moque de ses sentiments (cavatine du ténor « Quanto è bella, quanto è cara »). Pendant que ses paysans se reposent, elle leur lit l’histoire de Tristan et Iseult et du philtre d’amour bu par cette dernière (cavatine « Benedette queste carte!… Della crudele Isotta »). Nemorino aimerait se procurer un philtre semblable.  Arrive le sergent Belcore (baryton), un bellâtre prétentieux, et ses soldats. Il demande en mariage Adina qui désire réfléchir avant de s’engager.

Restée seule avec Nemorino, Adina ne lui prête aucune attention.

Le docteur Dulcamara (basse), un charlatan ambulant, arrive au village et persuade notre amoureux que la bouteille de bordeaux qu’il lui vend et que le soupirant s’empresse de boire, est un philtre d’amour.

Acte 2
Sous l’effet de l’alcool, Némorino ignore Adina, qui vexée, accepte d’épouser le sergent, sous les yeux désespérés du jeune homme.

Adina, souhaitant humilier Némorino, soumet la signature du contrat de mariage à sa venue. Le jeune homme, désirant plus que jamais séduire sa bien-aimée, s’engage dans l’armée pour obtenir une prime et acheter ainsi  une nouvelle bouteille d’élixir.

En outre, il est seul à ignorer que son oncle, en mourant  lui a légué une fortune, qui le rend irrésistible aux yeux des jeunes filles et suscite la jalousie dans le cœur d’Adina.

La furtive larme qu’il remarque alors sur sa joue convainc Nemorino des sentiments qu’elle lui porte.

Adina rachète à Belcore l’engagement de Némorino et lui avoue enfin son amour. La sublime aria «  Prendi, per me sei libero ».

Non sans humour, le sergent déclare que des milliers de femmes l’attendent ailleurs, tandis que Dulcamara quitte le village, fortune faite sous les acclamations des villageois dans  un final lumineux de bonheur.

Une partition brillante
S’il adopte volontiers des formes conventionnelles dans les airs, Donizetti s’inscrit dans la lignée de ses confrères italiens en atténuant les ruptures stylistiques entre récitatifs, airs et ensembles et en créant différents  univers musicaux selon le strict déroulement de l’intrigue, avec un élan théâtral constamment renouvelé.

Ainsi, l’orchestre crée un lien de complicité  entre les personnages par des formules d’accompagnement typiques du bel canto du XIXe siècle (l’orchestre n’ayant pas de rôle expressionniste, ses mélodies n’ont d’intérêt qu’en tant qu’accompagnatrices de la voix).

Il contribue à l’unité et à la fluidité musicale des scènes, notamment dans la caractérisation progressive des personnages.

Pour autant, le compositeur joue aussi  sur les atmosphères orchestrales et rompt cette continuité au fil des nombreux rebondissements du livret de Felice Romani. L’Elixir d’amour est l’un des derniers melodrammi giocosi de Donizetti et démontre tout le génie théâtral du compositeur. On retrouvera cette science du théâtre chanté  dans les œuvres qui suivront telles Lucia di Lammermoor (1839), La Fille du régiment (1840) ou Don Pasquale (1843).

La verve du bonheur
Bellini meurt en 1835 et Rossini ne compose plus d’opéras après Guillaume Tell (1829), ce qui laisse le champ libre à Donizetti pour devenir l’un des emblèmes de l’opéra italien du XIXe siècle, autant par le bel canto que par le rythme théâtral de ses opéras.

Donizetti inscrit bel et bien son Elixir d’Amour dans une verve de gaîté et de légèreté grâce à l’efficacité du livret de Felice Romani, en conservant une caractérisation des rôles propres à l’opéra bouffe, en particulier avec le rôle du docteur Dulcamara.

On notera la grandiloquence du commerçant charlatan, dont témoigne l’accumulation de qualités qu’il attribue à ses filtres dans son air « Udite, o rustici » (acte I), ainsi que les caractéristiques musicales spécifiques  au genre de basse-bouffe (débit rapide des paroles, notamment) qui se retrouvent dans le duo ironique « Quanto amore ! » (Acte II) avec Adina.

L’évolution des personnages est bien  perceptible. La plus flagrante concerne Adina qui, d’une jeune fille coquette et cynique, devient une amoureuse sincère et désintéressée.

Le personnage de Belcore toujours sûr de lui accepte sans rancune le revirement d’Adina.

L’évolution concerne également  Nemorino, celui-ci poursuivant son but malgré toutes les péripéties et prenant progressivement de l’assurance : il est le véritable fil conducteur de l’opéra. Dulcamara est finalement le seul personnage à camper sur ses positions, ce qui le cantonne définitivement dans la sphère comique de cet opéra.

Le sens de l’œuvre
Donizetti mêle constamment les caractères comiques et sérieux dans l’Elixir d’amour (Elisir d’amore), suivant l’ambiguïté inhérente au genre opératique du melodramma giocoso, ou dramma giocoso, qui désigne littéralement un « drame joyeux ».

C’est un genre que l’on trouve dès le XVIIIe siècle sous la plume de Mozart (Don Giovanni, Cosi fan tutte), de Cimarosa (Le Mariage secret), puis au début du XIXe siècle chez Rossini (La Cenerentola), où se côtoient les dimensions légères et caustiques d’un côté, mélancoliques et sentimentales de l’autre.

Ainsi, malgré la dominante comique de l’intrigue et son issue heureuse, ce mélange des genres ouvre la voie aux opéras romantiques italiens de la seconde moitié du XIXe siècle qui tendent à s’émanciper progressivement de la catégorisation stricte des genres opératiques.

Avec Donizetti, l’introduction dans le comique de la sentimentalité et de la mélancolie romantiques devient plus manifeste encore avec les colorations harmoniques minorisées (bien que les airs restent dans un mode majeur) comme dans l’air d’Adina «Prendi, per me sei libero» (acte II) où elle révèle enfin à Nemorino ses vrais sentiments.

Au milieu de passages d’une irrésistible drôlerie,  on trouve également des moments où le pathos amoureux prend toute son ampleur, comme dans la romance de Nemorino « Una furtiva lacrima » (acte II scène 8) introduite par un sublime solo de basson où le bel canto et le lyrisme portent l’effusion sentimentale à son comble. C’est le moment clef de l’œuvre, lorsque Nemorino comprend qu’Adina en laissant échapper cette larme furtive avoue son amour pour lui.

Qui ne connaît cette célèbre romance si souvent chantée en récital par les plus grands ténors ? Elle a acquis une sorte d’existence indépendante de l’ensemble de l’ouvrage et plus d’une personne charmée à son écoute serait surprise d’apprendre que cette émouvante mélodie est extraite d’un « opera buffa » dont elle est sans doute la plus belle page.

Dans le soin apporté à la crédibilité psychologique des deux personnages principaux, métamorphosés  par le sentiment qui les unit, on décèle les apports du romantisme naissant.

Mais au-delà de son  charme mélancolique, cette musique nous indique que  tout se mêle, tout se tient dans le tourbillon de la vie et qu’une  furtive pointe de nostalgie peut suffire  à étancher notre besoin d’amour.

Version d’anthologie
Toute la saveur de ce chef d’œuvre se retrouve dans cette version irrésistible de l’Opéra de Vienne que propose YouTube avec sous-titrage français ou brillent les meilleurs interprètes du moment dans une mise en  scène classique d’Otto Schenk et surtout un orchestre exceptionnel dirigé  avec subtile légèreté par Alfred Eschwé, Nemorino  Rolando Villanzón, Adina Anna Netrebko, Belcore  Leo Nucci,  Dulcamare  Ildrebrando D’Arcangelo.

Jean-François Principiano

« Una furtiva Lagrima » par Enrico Caruso

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