Le Miel en Provence

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crédit photo : http://www.laviedesabeilles.fr

Rapport Moral -­‐ Jean-­‐Louis Lautard, président, en introduction de l’AG du SYMPAS    2015 (Syndicat des Miels de Provence et des Alpes du Sud)

La campagne de production 2014 a démarré sur une situation qui était déjà extrêmement tendue : pas de miel en stock, des difficultés à fournir le négoce sur les circuits longs et des prix déjà élevés.

Le début du printemps avait pourtant plutôt bien commencé. Puis les difficultés surviennent : une météo froide, pluvieuse, qui rend le travail sur les ruches extrêmement difficile dans les zones d’hivernage et de production de printemps (romarin, maquis, bruyère blanche,…).
Les colonies ont du mal à se développer, les productions de nectar et de pollen, inégales selon les zones, sont souvent faibles, avec comme résultat, globalement peu de miel récolté.

On retrouve une période de beau temps au mois de juin, mais c’est un peu tard. Les transhumances sur la lavande arrivent très (trop ?) vite. Les fleurs ont été bien arrosées mais souvent les ruches ne sont pas prêtes.

Malgré tout, la production du miel de lavande 2014 s’avère correcte, en tout cas sur le plateau Valensole où de fortes pluies sont tombées. Ce n’est pas le cas ailleurs où les productions sont bien en deçà des espérances.
Les exploitations qui ont fréquenté avec leurs ruches la vallée du Rhône, la Drome provençale ainsi que les plateaux du Vaucluse ont eu beaucoup de mal à produire des volumes suffisants (pour certains, c’était même une mauvaise récolte).
Le bilan de production 2014 est donc contrasté :

  • un déséquilibre entre la lavande et les autres miels qui sont assez peu présents
  • des résultats très différents selon les zones de productions de miel de lavande
  • le niveau de production est très disparate selon les exploitations (sur les zones de production

    déclarées sinistrées, certaines montent des dossiers de calamité).

À cette situation contrastée correspondent forcément des sentiments partagés : d’un coté une certaine réussite, de l’autre de l’inquiétude.

2014 n’est pas une bonne année, et elle fait suite à deux autres années compliquées. Le tout dans un contexte général qui est celui du manque de miel au niveau national où, dans de nombreuses régions, la situation est sans doute pire que la nôtre.
Tout cela crée un emballement sur les prix du miel en gros avec des niveaux jamais atteints. Une situation inédite dont on mesurera plus tard les répercussions qui, selon le cas, seront positives ou négatives.

Ce contexte de prix élevés repose la question de la situation fiscale très compliquée des exploitations apicoles. Nous avions déjà mis l’accent sur ce point lors de l’assemblée générale 2013. Le régime du forfait agricole qui fait que, passé 76 000 € TTC, on bascule vers le régime du réel est défavorable au développement des exploitations apicoles et au développement de notre démarche qualité. Ce passage au régime du réel fait peur à beaucoup (il faut dire qu’il est brutal financièrement !) et peut pousser tous ceux qui essaient de rester sous ce seuil du forfait à ne pas déclarer tout leur miel dans la démarche.

Cela déséquilibre le marché. L’année dernière, François Servel (1) qui avait assuré ce rapport moral avait présenté un tableau où il montrait à quel point l’évolution positive du prix du miel pouvait avoir des conséquences sur les quantités de miel présentes sur le marché. Plus le prix augmente, plus vite le plafond du forfait est atteint. Résultat : une pénalisation de la filière d’approvisionnement, des négociants qui ont du mal à trouver du miel, ou pire un marché occulte qui pourrait se développer avec toutes les difficultés que cela entraîne sur la structuration globale de notre métier.

La faiblesse de la production française entraîne une pression croissante des importations, et d’autant plus cette année. La Chine a repris son activité d’exportation importante vers l’Europe avec, et c’est très déstabilisant pour nous, des pays qui servent d’écran (des miels d’Espagne qui sont en fait des miels de Chine pour tout ou partie). Bien sûr, toutes les importations ne sont pas de la fraude mais il y a des importations qui le sont, et c’est inacceptable.

L’administration assure une veille sur le marché du miel, mais sans doute avec des moyens trop faibles. Cela-­‐dit, toute l’année 2013 une enquête portant sur la vérification de la qualité des miels en France a été réalisée.
Cette enquête nationale montre qu’il y a quand même beaucoup de miels qui ne sont pas conformes sous une forme ou une autre, à différents niveaux de gravité de ce que l’on appelle « fraude » : non-­‐ conformités du produit, adultération, problèmes d’étiquetage, etc.
Cécile Ferrus de l’ITSAP nous en parlera tout à l’heure.
En 2015, on sait aussi que les services des fraudes envisagent une opération d’envergure au niveau européen. On peut s’en réjouir.
Mais soyons lucides : il y a d’un côté une volonté politique de comprendre ce qui se passe au niveau du marché du miel déstabilisé par le manque de production française et la montée du niveau des importations, et d’un autre côté des moyens de mise en œuvre insuffisants.

Je pourrais aussi parler de l’INAO, notre institut de tutelle dont le rôle est notamment d’assister
les « filières qualité » dans la défense de leurs appellations protégées. Mais l’on se rend compte que lui aussi manque de moyens et court après l’argent pour réaliser ses actions.

En résumé, la situation est préoccupante. Avons-­‐nous a les moyens d’aller jusqu’au bout de nos ambitions et de notre souhait de moraliser le marché ? Que peut-­‐on faire en tant qu’Organisme de Défense et de Gestion2 ?
Nous pouvons faire circuler l’information, être vigilants, nous porter partie civile quand un dossier judiciaire va jusqu’au bout… mais forcément, notre pouvoir de moralisation du marché dépend du niveau de l’implication des pouvoirs publics.

Quoiqu’il en soit, à mon sens, nous devons être exemplaires.
-­‐Il faut que nos propres miels soient parfaits ; nous n’avons pas le droit de décevoir les

consommateurs dans un contexte où il commence à avoir de la suspicion liée aux fraudes.
-­‐ ne jamais perdre de vue que nos miels de Provence, à commencer par le miel de lavande, sont

sur un secteur de marché « haut de gamme ».
-­‐ bien entendu, contrôler la qualité de nos miels certifiés
-­‐ accompagner les exploitations sur le plan technique
-­‐ développer tout ce qui peut aller dans le sens de la qualité (l’identification correcte des différents

crus, le travail sur le goût, un travail de pédagogie auprès des apiculteurs et auprès du grand public).

Nous sommes dans une région où la production de miel est difficile. Nous produisons peu, mais ce sont des miels de qualité qui se vendent chers. Alors que faisons-­‐nous de cela ? Conscients de notre positionnement haut de gamme, nous devons absolument nous donner les moyens de poursuivre nos efforts dans ce sens, car c’est ce qui fait que notre métier d’apiculteur provençal peut tenir la route.

Je terminerai mon point sur le marché du miel en évoquant la problématique des prix. J’ai dit qu’ils étaient élevés.
Là aussi on peut s’en réjouir, et on peut s’en inquiéter.

S’en réjouir parce que globalement nous avions pris du retard sur les prix pendant des années. En effet, vendre aujourd’hui nos miel autour de 20 € le kilo est tout à fait normal si l’on confronte ce prix au travail fourni, aux investissements nécessaires, à la faiblesse des volumes récoltés, et à la qualité gustative de nos miels.

Mais cette hausse des prix est arrivée brutalement. En 2 ans, on s’est retrouvé avec des prix qui ont pris 30/40 %, et c’est le marché intermédiaire qu’on appelle le demi gros qui en subit les conséquences.
Ceux qui vendent au détail peuvent toujours expliquer les raisons de cette hausse (sur le marché ou dans sa miellerie, on a le client en face ; on peut se faire entendre, les gens goûtent, et ça se passe en général assez bien).

Sur le marché de vrac, pour l’instant, dans la mesure où le miel se vend, les prix élevés compensent partiellement le manque de volume. Mais à terme, si des entreprises de conditionnement du miel n’arrivaient plus à faire accepter le prix au client professionnel (à l’acheteur intermédiaire), il y a un risque. Celui d’une situation insupportable, où un miel réputé, rare, et apprécié des consommateurs, se retrouverait absent des linéaires… Là aussi, il y a un travail de pédagogie à faire, en particulier auprès des acheteurs des GMS.

Je ne plaide pas pour que les prix baissent, et il y a de toute façon une clientèle pour les miels de qualité.
Producteurs, coopératives, conditionneurs, militants des miels de Provence, nous devons tous faire en sorte que les choses s’équilibrent :

-­‐ dans l’intérêt des apiculteurs – qui ne vivent pas dans l’opulence-­‐ mais aussi des intermédiaires et des distributeurs.

-­‐ dans l’intérêt des consommateurs pour qu’ils continuent à trouver longtemps des miels de Provence de qualité.

Enfin un mot court pour une actualité nationale, qui est la mise en place d’une interprofession apicole. En tant qu’ODG, nous sommes sollicités pour y participer officiellement. Le Ministère l’a souhaité, nous faisons partie des personnes morales qualifiées pour rentrer dans une interprofession.

Aujourd’hui l’enjeu principal est le financement de notre Institut Technique (l’ITSAP3) qui vit sous subventions publiques.
Le deuxième enjeu est de redresser la barre au niveau de la production de miel en France (nous sommes tombé bien bas… 10/12000 tonnes aujourd’hui contre plus de 30000 il y a 15 ans !)

Une interprofession pourrait en effet être l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics, l’outil de récolte des fonds nécessaires au fonctionnement des structures apicoles, une instance où se discutent les orientations générales de la filière.
Les choses avancent (vite !). Une association de préfiguration du collège producteur (présidée par une apicultrice corse) vient de se monter officiellement.

Le SYMPAS va devoir se prononcer sur son adhésion à cette association. Sans préjuger de la qualité de la méthode qui nous est proposée, cette question de l’Interprofession est, je le répète, un enjeu très important.
Merci de votre attention.

 

(1) Président de la coopérative Provence Miel, et apiculteur professionnel à Arles

(2) Le Syndicat des Miels de Provence et des Alpes du Sud (SYMPAS) est l’ODG chargé de la gestion et de la défense des Signes de Qualité Officiels (SIQO) que sont l’Indication Géographique Protégée (IGP) « Miel de Provence », et les deux Labels Rouges : « Miel de lavande de Provence » et « Miel de Provence Toutes Fleurs »

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